Dans le cadre de mon cours d’Anthropologie interculturelle à l’Université catholique de Lille, j’ai exposé jusqu’ici la succession des écoles anthropologiques, ainsi que le totémisme que l’anthropologie traita en tant que question de la « mentalité primitive ».
J’évoquerai ensuite la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols ainsi que l’actualité brûlante du passé esclavagiste des États-Unis.
Je m’intéresserai enfin au rapport historique conflictuel entre le monde chrétien et le monde musulman. Le fait que mon enseignement se déroule dans le cadre d’une université « catholique » n’a pas déterminé cet objet : pas moyen de parler du rapport entre les cultures en éludant cette question là. Je parlerai donc des Évangiles, et de la même manière, du Coran, non pas en pamphlétaire ou en polémiste, mais puisqu’il s’agit d’un enseignement universitaire, « en savant » bien entendu.
Que sont les Évangiles ?
Les Évangiles sont quatre narrations de la vie de Jésus de Nazareth.
D’autres d’évangiles nous sont connus, qui n’ont pas été retenus par les pères de l’Église comme composantes du Nouveau Testament aux côtés des épîtres de Paul de Tarse et d’autres rédacteurs, des Actes des Apôtres, et de l’Apocalypse de Jean de Patmos.
Pourquoi les évangélistes Mathieu, Marc, Luc et Jean ont-il rédigé leur texte ? Et pourquoi tant de versions de la vie de Jésus ? Les évangélistes ont-ils copié l’un sur l’autre ? Y a-t-il à leur texte une ou plusieurs autres sources ?
Les exégètes se sont affrontés et entredéchirés sur ces questions durant deux millénaires. Pourtant la réponse est – comme c’est le plus souvent le cas – étalée là sous nos yeux. Luc fait en effet débuter son évangile par ces lignes :
Plusieurs ayant entrepris d’écrire l’histoire des choses qui ont été accomplies parmi nous, suivant le rapport que nous en ont fait ceux qui dès le commencement les ont vues de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la parole, j’ai cru, très-excellent Théophile, qu’après avoir été exactement informé de toutes ces choses, depuis leur premier commencement, je devais aussi vous en représenter par écrit toute la suite afin que vous reconnaissiez la vérité de ce qui vous a été annoncé. *
Que dit Luc ?
« Des choses ont été accomplies parmi nous » : il s’agit de la vie de Jésus dont il va nous entretenir.
Certains « les ont vues de leurs propres yeux ». Il s’agit des témoins oculaires qui étaient là : les douze apôtres en particulier à l’exception de Judas Iscariote qui s’est pendu avant la crucifixion.
Ces témoins oculaires ont fait « rapport » : ils ont raconté l’histoire. Ils étaient « les ministres de la parole », ils servaient la parole : la relation qu’ils ont faite était orale.
« Plusieurs ayant entrepris d’écrire l’histoire des choses qui ont été accomplies parmi nous ». Plusieurs se sont attelés à mettre par écrit l’histoire de Jésus de Nazareth qui circulait jusque-là comme un récit, comme une récitation.
Bien qu’il s’abstienne de mentionner le nom de ses prédécesseurs, Luc fait comprendre qu’il n’est ni le premier évangéliste, ni non plus le second puisqu’il dit « plusieurs ayant entrepris » avant lui : il se joint à une entreprise dont il est donc, au mieux, le troisième participant.
Luc laisse entendre aussi qu’il n’est pas satisfait de la rédaction du rapport des témoins oculaires qu’il a pu voir : « afin que vous reconnaissiez la vérité de ce qui vous a été annoncé ». Il entend offrir sa propre version, sa valeur ajoutée personnelle étant d’avoir « été exactement informé de toutes ces choses ».
Qui donc l’aurait informé si « exactement » ? L’opinion commune est que Luc est par ailleurs le rédacteur des Actes des apôtres, le texte qui attribue à Paul de Tarse, dont on sait qu’il ne fut pas un témoin oculaire, le statut d’« Apôtre, à titre honorifique », pourrait-on dire.
Que de mystères historiques résolus en un instant à la seule lecture du premier paragraphe d’un des quatre évangiles !
* J’utilise systématiquement le texte de la Bible de Lemaistre de Sacy.
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