Ouvert aux commentaires.
Quelques réflexions sur le Covid-19
Nous sommes sévèrement confinés, assignés à résidence, il y a donc un grand danger qui nous menace. Quel est-il exactement ? D’après les flots d’information (?) qui nous submergent à toute heure du jour et de la nuit, il ressort, quand on laisse décanter, que le danger qui nous tient au bout de son flingue est moins l’agressif « coronavirus » lui-même que la possible/probable incapacité de nos hôpitaux à soigner tous les contaminés. C’est ce discours sur les lits disponibles, les respirateurs et même les masques et le gel hydro alcoolique qui phagocyte toutes les antennes. Nous sommes d’autant plus prêts à l’entendre que l’hôpital public, victime de coupes sombres dans ses budgets, a été un des « gros » sujets de polémique politique ces dernières années et que l’ensemble du personnel soignant nous a tous alertés par de longues grèves sur la précarité de son sort. Nous savons donc que nous sommes « en guerre » et que, dans l’armée, c’est la débandade. Non seulement on manque de fusils, mais aussi de bandes molletières ! Les communiqués alarmistes nous bombardent sans le moindre répit, annonçant des chiffres de contaminés qui sont hautement fantaisistes en l’absence de tests systématiques et des additions de décès, eux bien réels mais difficiles à évaluer faute d’échelle significative par rapport à d’autres causes courantes. Les professeurs en médecine, urgentistes et autres grands chercheurs en épidémiologie envahissent nos écrans, s’y répandent à qui mieux mieux pour achever d’embrouiller tout et de faire monter la panique populaire en mayonnaise. Sans parler des images qui s’y diffusent en boucle : on peut faire confiance à nos médias pour sélectionner les plus trash et les plus anxiogènes. Les lits de réanimation et leur machinerie angoissante ont une cote d’enfer ! Surtout s’ils s’assortissent de commentaires glaçants sur les « choix » à opérer quant à l’âge à partir duquel certains n’y auront plus droit ! Quant à nos gouvernants, on dirait une bande de gamins qu’on aurait jetés à l’eau avant de leur apprendre à nager. Barbotage et cafouillage sont les deux mamelles de la France ! Sans compter que sur le grand air du « Rien ne sera plus comme avant » ils nous promettent la lune « quoi qu’il en coûte » tout en buvant copieusement la tasse !
Je ne raconte pas tout ça par goût de la polémique ni même pour critiquer véritablement qui que ce soit. Ce qui me frappe dans l’épisode que nous traversons, c’est qu’il nous permet, comme tous les événements dramatiques hors de l’ordinaire, de mesurer le saut anthropologique que nous avons fait en 50 ans. Car, à l’hiver 69-70, une grippe particulièrement agressive nous a durement touchés si l’on en croit les chiffres : 31 226 morts (dont 25 000 pour le seul mois de décembre). Rien qu’en France. Nous l’avons connue sous le nom de « grippe de Hong-Kong » mais il est patent qu’elle n’a laissé pratiquement aucun souvenir dans les mémoires de tous ceux qui l’ont traversée indemnes. Retournons-nous quelques instants vers le contexte de l’époque.
1) L’hôpital des villes moyennes est un lieu vieillot et assez peu équipé où l’on n’envisage de se rendre vraiment que faute de mieux. Seuls quelques grands hôpitaux spécialisés, par exemple dans le traitement du cancer, ont la cote et font partie d’un parcours obligé pour les malades. Je vais prendre un exemple personnel qui illustre assez bien la médecine de l’époque (il s’agit ici de la fin des années 50). Ma grand-mère, chez qui je vis en ce temps-là, a fait 3 AVC sérieux, voire graves en 2 ans. A aucun moment il n’a été question d’hôpital ou de clinique. On s’est contenté de lui aménager un lit dans la salle à manger et son médecin est passé tous les jours jusqu’à sa guérison. Le traitement de première urgence a été l’application de sangsues et la prise de préparations pharmaceutiques (à cette époque, beaucoup de médicaments étaient fabriqués par les « préparateurs en pharmacie »). Elle a surmonté ces 3 « attaques », mais une aggravation de ses symptômes n’aurait pas, nous le savions, entraîné son transfert à l’hôpital dans la mesure où il était estimé que la « chirurgie » n’y pouvait rien.
2) Les EHPAD ou maisons de retraite en tout genre n’existaient tout simplement pas. Les gens mouraient plus tôt en âge et ceux qui vivaient plus longtemps étaient, pour la plupart, « casés » dans leur famille. Il existait des « hospices » dont le nom même effrayait beaucoup : ils étaient souvent sordides. C’étaient des mouroirs accueillant des vieillards qui n’avaient pas de famille ou qui étaient indigents. Les conditions d’hébergement y étaient telles qu’elles ne garantissaient ni hygiène, ni prophylaxie, ni même maintien d’une quelconque dignité humaine. C’étaient des établissements pour la plupart aux mains des bonnes sœurs. Sans grand recours médical, donc sans intervention excédant les ressources de l’armoire à pharmacie des religieuses.
3) En 69, quand survient la fameuse « grippe de Hong-Kong » (on sait depuis qu’il s’agissait du virus H2N1), personne dans la population française, y compris parmi les médecins de ville, ne sait de quelle ampleur ont pu être les dégâts, un an plus tôt, dans le territoire-source ou censé l’être. En ce qui concerne la Chine Populaire qui, si elle n’en fut pas la véritable source, dut nécessairement en être touchée, la Révolution Culturelle y battait son plein et les morts d’infection, s’il y en eut, sont largement passés sous les radars : ces morts n’ont représenté qu’un pourcentage négligeable dans les ravages mortels causés par les désordres et, de toute façon, la Chine isolée et non reconnue (sauf par la Suisse et la France) n’aurait en aucun cas « communiqué » sur le sujet avec les autres nations.
4) En France, quand l’épidémie survient, elle semble n’avoir fait l’objet d’aucune attention particulière. Sans doute le corps médical est-il averti et mobilisé, mais la population continue à vaquer à toutes ses occupations sans aucune mise en garde particulière. A l’époque, chacun sait que la grippe n’est pas anodine (beaucoup de gens ont connu et même personnellement traversé la meurtrière « espagnole » de 18-20), mais on compte sur les cachets d’Antigrippine, les ventouses et les sinapismes à la moutarde pour en limiter les assauts. Tout le monde a tout ça à la maison et s’apprête à en faire usage si besoin est. Chacun sait aussi qu’il y aura des morts. Généralement, les plus âgés, les malades d’autres pathologies, les vulnérables, les asthmatiques. C’est le tribut exigé par le virus. Chacun l’a tacitement entériné et, si l’on peut dire, « accepté ». Seulement, cette année-là, le virus ne se contente pas de miettes, il est extrêmement gourmand : plus de 30 000 morts, c’est hors-normes ! Mais ça ne va pourtant rien changer à nos modes de vie…
5) Pourquoi ? D’abord, parce que l’on connaît encore fort mal les virus et qu’il est difficile de les identifier pour les épingler dans une « famille » déjà repérée. Si les inflammations non virales sont désormais bien jugulées par les antibiotiques dont la gamme s’est beaucoup étendue, les virus laissent encore sans armes. Les pneumopathies sévères qu’un certain nombre d’entre eux génèrent prennent la médecine au dépourvu. Exactement comme elle l’a été pendant des années un peu plus tard lors de l’apparition du HIV. (On ne peut évidemment que se féliciter des progrès qui ont été faits à l’échelle mondiale dans l’investigation et l’obtention de vaccins contre ces agents pathogènes. Idem pour l’équipement des hôpitaux en matériel de toutes sortes permettant les « sauvetages » que l’on voit aujourd’hui).
6) Pourquoi, d’autre part, n’avons-nous ressenti aucune peur (et encore moins panique) particulière en cet hiver 69-70 ? Parce que nous n’étions pas informés de ce qui se passait. Ni en France, ni ailleurs dans le monde. A notre disposition comme fenêtre sur le monde et l’hexagone, la radio et l’unique chaîne de télévision. Moyen de communication : chez les plus nantis, un téléphone filaire (difficile à obtenir et installé au compte-gouttes). La télé nous avait montré les premiers pas de l’homme sur la lune, mais elle ne s’est pas fendue d’un commentaire sur l’hécatombe qui était en train d’avoir lieu. Le Journal télévisé a, cette année-là, comme tous les ans, traité la grippe, façon « marronnier », comme un désagrément hivernal. Il faut dire qu’elle n’avait pas de médecins vedettes pour animer ses programmes. Jamais nous n’avons été au courant de ce qui se tramait et des embouteillages dans les morgues et les cimetières. Pas vu, pas su. Tout le monde a eu la discrétion de mourir à domicile. Sans micro, ni caméra. Le Président Pompidou ne nous en pas entretenus, la vie politique a suivi son chemin et nos petites vies tout court aussi. Au sortir de l’ornière, c’était le printemps et personne n’a eu l’impression d’être un « survivant » (et ça, c’est presque dommage !).
On entrevoit pourquoi je parle de « saut anthropologique » en 50 ans ? Parce que nous sommes dans un tout autre monde. Certainement pas « le meilleur des mondes » pour autant. Nous sommes hyper connectés : chaînes de télé mondiales en continu, Internet, réseaux sociaux, téléphone qui nous suit partout. Cela fait surtout de nous des hyper paniqués dans le moment présent et qui n’ont de cesse d’alimenter leur panique. Suivre l’évolution des décès heure par heure sous toutes les latitudes et dans tous les pays, je ne suis pas sûre que notre espèce y soit bien adaptée. Surtout quand la seule action est l’inaction ! Sauf bien sûr pour tous les soignants qu’on applaudit tous les soirs faute d’être venus efficacement à leur rescousse avec les outils de la démocratie quand ils « criaient au loup » ! On nous dit qu’il y aura un « avant » et un « après ». Je ne le sens pas, cet « après ». D’abord, comment va se passer la sortie du confinement ? Quels dégâts aura-t-il semés ? Psychologiques, indéniablement. Economiques, ça va de soi. Sociaux, c’est à craindre. Quelles « bonnes résolutions » le pays est-il prêt à prendre ? Et que vaudront-elles ? En 69-70, l’« après » a été exactement comme l’ »avant ». Ni vu ni connu. Mais ce qu’on va appeler « l’incurie » de l’époque (et qui aujourd’hui ferait scandale) a permis à une majorité de la population d’être en contact avec le virus. Certains ont eu une « grosse » grippe, d’autres ont été plus asymptomatiques, mais tous ceux-là ont fabriqué des anticorps et consolidé leurs défenses immunitaires. Alors que le confinement nous « protège » en nous désarmant. Progrès ? Oui sans doute… Pourrait-on admettre aujourd’hui, alors que notre relation à la durée de vie et à la mort a été très profondément modifiée, qu’un gouvernement laisse, comme en 69, se propager une épidémie sous le prétexte de muscler nos défenses immunitaires ? Un constat s’impose : le principe de « précaution » a lui aussi profondément muté en 50 ans.
Laisser un commentaire