Réponse à Covid-19 : entre banalisation et alarmisme. Ouvert aux commentaires.
Je dirais qu’il y a deux positions à éviter s’agissant de la réaction à l’épidémie Covid-19 :
– La tête dans le sable, représentée par ceux qui prétendent que le virus ne serait qu’une « grosse grippe », et que Marius Gilbert attaque à raison
– La banalisation, qu’il défend dans ce texte
En effet, l’ensemble de la position de Marius Gilbert repose sur cette remarque – tout à fait sensée sur le principe – que « toutes les sociétés acceptent de vivre avec un certain nombre de décès évitables, tout en cherchant à les minimiser avec les moyens dont elles disposent ». Il s’agit en somme d’argumenter que le nombre de décès évitables prévisibles du fait d’une épidémie de coronavirus que l’on se contenterait d’essayer de « minimiser avec les moyens dont (on) dispose » – sous-entendu seulement avec les moyens pas trop dérangeants et ne sortant pas trop de l’ordinaire – serait comparable avec le nombre de décès évitables que nous avons l’habitude d’accepter, par exemple quand nous décidons de ne pas limiter la vitesse sur les grandes routes à 50 km/h, ce qui certes ferait économiser des vies mais à un coût socio-économique que nous choisissons collectivement de considérer prohibitif.
Même s’il est toujours délicat de mettre des chiffres sur ce genre de choix, c’est nécessaire si l’on veut pouvoir tester l’hypothèse de Marius Gilbert. Je propose donc de fixer le nombre de décès « acceptables pour raisons socio-économiques » au nombre de morts annuels par accidents de la route soit 3 500 morts. L’hypothèse de Marius Gilbert devient donc :
« En se limitant à des moyens pas trop dérangeants et ne sortant pas trop de l’ordinaire, on parviendra à limiter le nombre de décès dus au coronavirus en France à un maximum de 3 500 morts »
Cette hypothèse n’est PAS fondée.
Démonstration :
– La grippe touche 2 à 6 millions de personnes chaque année en France (1) Or Covid-19 se répand plus rapidement que la grippe (son R0 est plus élevé) et personne en France n’y est immunisé au contraire de la grippe pour laquelle il existe un vaccin, si bien que s’il devient prévalent il se diffusera au moins autant que la grippe, et peut-être bien davantage ===> Donc, accepter que Covid-19 devienne prévalent en France comme la grippe, c’est accepter que plus de 2 millions de Français le contractent. Très possiblement beaucoup plus
– Le taux de mortalité du Covid-19 est estimé diversement, les données issues de Chine – qui a la plus grande expérience – étant de l’ordre de 2,3% voire 3,4%, d’autres versions plus optimistes donnant 0,8% comme rappelé par Marius Gilbert ===> Donc, le nombre de Français qui mourront du Covid-19 si 2 millions d’entre eux le contractent sera supérieur à 2 000 000 * 0,008 = 16 000. Très possiblement bien davantage
– Enfin, la proportion des malades du Covid-19 qui ont besoin d’une hospitalisation est de 20% et celle des malades nécessitant les soins intensifs est de 6%. Si 2 millions de Français contractent le coronavirus, ce sont donc 120 000 d’entre eux qui auront besoin de soins intensifs, ceci pendant en général plus de 3 semaines s’agissant de syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA). Si l’épidémie était étalée sur trois mois, il y aurait donc 120 000 / 4 = 30 000 malades du coronavirus à traiter aux soins intensifs en même temps – en fait davantage au pic de l’épidémie. Or, la France compte 5 500 lits de soins intensifs… lesquels de plus sont déjà « en tension ». Même si les unités de soin intensif peuvent absorber 3 000 malades supplémentaires, ce qui paraît optimiste, un minimum de 90% des malades du coronavirus ayant besoin de soins intensifs ( ( 30 000 – 3 000 ) / 30 000 ) ne les obtiendront pas ===> Même si 50% d’entre eux survivent à l’absence de soins adéquats, ce qui paraît très optimiste pour ne pas dire pire, 45% des 120 000 Français ayant besoin de soins intensifs mourront
Donc, même avec une série d’hypothèses toutes plus optimistes les unes que les autres…
===> Le nombre des morts en France du fait du Covid-19 SI on permet qu’il devienne prévalent ne sera pas inférieur à 54 000
Ce nombre est TRES nettement supérieur à toute version « raisonnable » de l’hypothèse de Marius Gilbert. Il est encore supérieur au nombre moyen de morts attribués à la grippe chaque année soit 9 000.
Naturellement, si l’on choisit de considérer de manière plus pessimiste – ou s’agit-il de réalisme :
– Que le nombre de Français contaminés serait au moins de 6 millions – puisque Covid-19 est plus contagieux que la grippe et trouve un terrain plus favorable car sans défense
– Que le taux de mortalité du Covid-19 pourrait être plus proche de 2% ou 3% comme les données du pays qui en a la plus grande expérience le suggèrent
– Que non pas 90%, mais bien davantage que 95% des malades ayant besoin de soins intensifs ne les obtiendront pas ===> On obtient une estimation du nombre de morts à prévoir en France du fait du Covid-19 ***SI*** on le laisse devenir prévalent qui se compte en centaines de milliers de morts
Voilà ce qu’il s’agit d’éviter. Voilà ce qui justifie des efforts effectivement lourds et coûteux, mais si on les met en face de l’enjeu somme toute limités. Même si nous parlions de 3 mois de régime « fortement réduit » pour l’activité du pays – la Chine semble s’en sortir avec 1,5 mois à peu près – et même si nous parlions d’un PIB réduit de 15% cette année-là, ce sont des inconvénients certes très importants, mais nettement moins que la perte de centaines de milliers d’entre nous.
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