Coronavirus : réévaluation à la hausse de son impact, par Alexis Toulet

Ouvert aux commentaires.

La réévaluation du nombre de cas en Chine avec +34% d’un jour sur l’autre est supposée résulter d’une « redéfinition » de la manière de détecter le virus, la majorité des cas (> 13 000) étant des personnes dont les atteintes pulmonaires sont cohérentes avec une infection au Codiv19 mais qui n’ont pas été testées positives au virus.

En filigrane, il est possible de lire : pénurie de tests. Non seulement les chiffres des derniers jours étaient donc faux, mais encore le nouveau chiffre n’est probablement pas la vérité nue non plus : les nouveaux malades qui viennent d’être ajoutés au compte à cause d’atteintes pulmonaires révélatrices sont tous déjà atteints, pas de porteurs sains parmi eux par définition, pas même de malades encore peu atteints. C’est donc que les porteurs sains et malades encore ambigus ne sont pas encore comptés. Le véritable chiffre est significativement plus élevé.

Rien qu’en acceptant tel quel le nouveau chiffrage pourtant incomplet – 59 800 ce 13 février – et en comptant à rebours à partir des 34 100 du 7 février, on arrive à un taux d’augmentation quotidienne de 10%. Le vrai taux d’augmentation doit être supérieur.

Toutes les évaluations optimistes de ces derniers jours tombent. La province de Hubei en Chine est toujours en phase exponentielle. Peut-être aussi d’autres provinces.

La question humaine est évidemment primordiale dans la réaction à une épidémie. Mais il faut aussi parler des impacts économiques, certes incomparablement moins graves, mais potentiellement beaucoup plus étendus.

De ce que je comprends :

– Les marchés se sont attendus jusqu’ici à ce que le cœur industriel de la Chine « redémarre » relativement rapidement. Au vu des dernières nouvelles, ce ne sera pas le cas

– Pour rappel (1) « Cette semaine – au 5 février – les deux tiers de l’économie chinoise restent fermés. Plus de 80 % de son industrie manufacturière est fermée, et 90 % pour les exportateurs. L’économie chinoise représente 17 % de l’économie mondiale et est profondément intégrée dans les chaînes d’approvisionnement internationales. »

– Ceci alors que le 5 février, Hyundai était l’un des premiers (2) à interrompre sa production de voitures en Corée du Sud, faute de composants cruciaux dont l’approvisionnement issu de Chine est interrompu. L’un des premiers… mais certainement pas le dernier. Et ce n’est pas seulement l’industrie automobile qui est concernée

– D’autre part, le prix du pétrole a chuté de 12% à 14% depuis un mois, clairement en réaction à l’anticipation d’une demande moindre de la part de la Chine

===> Comme l’avance Evans-Pritchard (1), le coronavirus pourrait devenir le « cygne noir » qui coulera les marchés financiers mondiaux

Rappelons qu’un « cygne noir » est un événement négatif que personne n’avait vu venir ni inclus dans les risques, pour la bonne et simple raison que personne n’avait envisagé sa possibilité même. Un nouveau virus qui coulerait la finance mondiale en rajoutant 2020 à la liste des grandes crises financières serait exactement cela : personne à ma connaissance ne l’a inclus dans la liste des risques financiers potentiels…

(1) https://www.telegraph.co.uk/business/2020/02/05/chinas-coronavirus-not-remotely-control-world-economy-mounting2/
(2) https://www.auto-infos.fr/Coronavirus-Hyundai-va-interrompre,13452

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93 réponses à “Coronavirus : réévaluation à la hausse de son impact, par Alexis Toulet”

  1. Avatar de François
    François

    L’épidémie semble démarrer :
    au Japon (2 enfants contaminés dans une école, toutes mes manifestations d’ampleur sur 3 prochaines semaines sont annulées),
    en Corée du Sud (+53 cas hier, +100 cas aujourd’hui),
    en Iran (« toutes les villes seraient possiblement touchées » d’après le ministère de la santé, qui reconnait pour l’instant au moins 4 morts et 18 cas confirmés.
    Il est probable qu’elle le soit aussi au Cambodge et au Laos, mystérieusement silencieux. L’Inde ne déclare toujours que 3 cas, le Bangladesh aucun … bizarre bizarre …

    En Chine, un cluster a été découvert à l’hôpital Fuxing de Pékin (36 cas en une journée).
    https://www.globaltimes.cn/content/1180281.shtml

    Des patients préalablement considérés comme « guéris » sont de nouveau positifs au coronavirus.
    https://www.straitstimes.com/asia/east-asia/coronavirus-patient-re-hospitalized-in-chinas-chengdu-after-testing-positive-again

    Deux passagers ayant été débarqués du Diamond Princess et testés « négatifs » ont été retestés en Australie positifs … Il est fort probable qu’il y en ait d’autres, et la gestion de la sortie des passagers du Diamond Princess est à mon avis dramatique en terme de propagation du virus.
    https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-deux-passagers-du-diamond-princess-contamines-alors-quils-etaient-negatifs-au-japon_fr_5e4f92b3c5b629695f587f2c

  2. Avatar de François
    François

    17 cas confirmés trouvés ce jour en Italie. Et exactement comme je l’avais prévu au début du mois, avec juste 15 jours de retard …
    https://www.pauljorion.com/blog/2020/02/06/statistiques-du-coronavirus/#comment-759755

    Le gouvernement italien (mais le français fait pareil) attend d’avoir un cas sévère (pneumonie) pour tester la présence du coronavirus… Lorsque le test est positif, on regarde l’état de santé des « cas contacts », puis on les teste. 17 cas, et sans doute plus, car le cas hospitalisé et les 16 autres ont eu le temps d’être en contact avec un paquet de monde. Parmi ces 17 cas, 7 sont dans un état grave.

    Des situations de la sorte, il va en sortir pas mal bientôt en Europe.

    Le CDC (USA) alerte les hôpitaux sur le risque de pandémie.
    https://www.naturalnews.com/2020-02-20-cdc-official-warns-us-hospitals-be-ready-for-surge-of-coronavirus-patients.html

    1. Avatar de François
      François

      51 cas à ce jour en Italie. Le patient 0 était revenu de Shanghai le 21 janvier. C’est donc 1 mois après qu’il a été détecté !!! La contamination a bien eu l’occasion de se disperser…

      Combien de cas similaires en France ? Il est peut-être temps de tester tous les cas graves à l’hôpital… ne serait-ce que pour protéger le personnel médical. J’espère que le calcul du gouvernement n’est pas d’étouffer l’affaire (pas de recherche, pas de malade) jusqu’aux élections municipales, car chaque jour de retard est un multiplicateur épidémique.

  3. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
    Pierre-Yves Dambrine

    Des prisons chinoises de 3 provinces différentes (Hubei, Shandong, Zhejiang) sont touchées par Covid-19.
    500 prisonniers (et gardiens) ont contracté le coronavirus.

    Les prisons sont surchargées ce qui aurait accéléré la propagation du virus d’après un avocat militant qui connait les prisons pour y avoir séjourné :

    « …Xie Yanyi, a human rights lawyer who was detained in the northern city of Tianjin as part of the “709 crackdown” on rights advocates in 2015, said that nearly every prison in China was overcrowded, allowing the virus to spread faster and wider.
    “It is very common for, say, a cell of 10 people to have 20 people squeezed in. The space for each person is extremely limited, and resources are generally scarce. Health conditions behind bars were already a concern even before the coronavirus broke out,” Xie said…. »

    https://www.scmp.com/news/china/society/article/3051858/china-sends-top-investigators-after-coronavirus-erupts-jails

  4. Avatar de PIerre-Yves Dambrine
    PIerre-Yves Dambrine

    Volte-face en Chine : retour au premier mode de comptage :https://www.liberation.fr/planete/2020/02/22/coronavirus-ou-en-est-l-epidemie_1779240

  5. Avatar de timiota
    timiota

    On m’avait indiqué « Asialyst » comme site intéressant sur la Chine. Je retranstrit ici l’article qu’ils publient, assez équilibré me semble-t-il (correspondant sans doute à la vision médiane des gens de Hong-Kong)

    https://asialyst.com/fr/2020/02/17/coronavirus-chine-quarantaine-rime-baillonnement/

    Politique
    Publié il y a 5 jours

    **** Coronavirus : en Chine, quarantaine rime avec bâillonnement ****

    {{{Chapô}}}
    Dans cette course contre la mort depuis l’apparition en Chine du coronavirus rebaptisé Covid-19 par l’OMS, les chiffres des malades infectés ou décédés augmentent à une vitesse vertigineuse. Les autorités chinoises pensaient entrevoir en fin de semaine une décrue de la propagation du virus, mais le pic n’est toujours pas en vue. Dans le même temps, les mesures de confinement sont maintenues et renforcées. L’atmosphère sociale telle qu’elle s’exprime sur les réseaux sociaux chinois, s’est nettement tendue depuis la mort de Li Wenliang, ce docteur-lanceur d’alerte mis sous silence par le pouvoir politique, avant d’être lui-même contaminé. Le régime de Pékin continue néanmoins avec méthode d’additionner la quarantaine et le bâillonnement de la libre expression.
    {{{fin Chapô}}}

    C’est le confinement de la ville de Wuhan le 23 janvier dernier qui a véritablement lancé la lutte nationale contre le coronavirus. En l’espace de 15 jours, la Chine continentale comptait plus de 25 000 personnes contaminées, dont plus de 600 décès. Pourtant, il aura fallu la mort du docteur Li Wenliang pour que le gouvernement central comprenne qu’il y a désormais deux fronts à mener dans cette guerre contre l’épidémie : l’un concerne la santé publique, l’autre touche un autre point d’autant plus sensible et délicat, l’opinion publique. C’est alors que le confinement et le bâillonnement se sont imbriqués pour se compléter l’un l’autre dans la gestion de la crise par Pékin.

    // Isolement brutal puis reprise timide //

    Le confinement est sans doute une des mesures efficaces prouvées par la recherche pour couper la chaîne de contamination. Il existe plusieurs niveaux de confinement. La ville de Wuhan est la première à le mettre en place avant les autres centres urbains alentour, jusqu’à toute la province du Hubei. A l’intérieur d’une ville, chaque district, chaque quartier, chaque immeuble et enfin, chaque famille s’isole, jusqu’à la mobilisation nationale. Cette pratique ne s’est pas faite sans heurts, car les autorités locales ont imposé la distribution de bons de sortie, avec un nombre fixe pour chaque famille et l’objectif de limiter les mouvements de chacun. Cette mesure de restriction peut s’accompagner d’une certaine brutalité, comme le montre cette video de la BBC.

    A Hong Kong, les personnels hospitaliers ont appelé à la grève à partir du 3 février, après l’échec des négociations avec la cheffe de l’exécutif Carrie Lam. Ils demandaient la fermeture totale des frontières avec la Chine continentale afin de protéger la population. Alors que l’ancienne colonie britannique a connu l’un de ses plus grands mouvements de contestation en 2019, il est facile de comprendre que la fermeture frontalière est une revendication à la fois sanitaire et politique.

    Le 10 février, mauvaise nouvelle dans la région administrative spéciale. Deux nouveaux cas de coronavirus sont confirmés chez des voisins d’un même immeuble, la Hong Mei House à Tsing Yi, alors qu’ils n’ont eu aucun contact physique entre eux a priori. Ce qui laisse supposer que la contamination est probablement passée par l’aérosol suspendu dans la colonne d’aération des toilettes. Cette nouvelle ravive le cauchemar de l’épidémie de SRAS à Hong Kong en 2003, où 130 cas confirmés avaient été relevés dans le seul immeuble Amoy Garden (淘大花园). Par précaution, le gouvernement évacue le jour-même une centaine de familles déjà isolées depuis plusieurs jours.

    Les fonctionnaires hongkongais l’ont publiquement admis : la gestion de cette crise sanitaire devient de plus en plus difficile, car la confiance entre le gouvernement et la population est complément rompue, même si les Hongkongais sont divisés depuis la crise politique de 2019. Logiquement, l’exécutif peine à s’accorder avec les acteurs sociaux.

    Selon la tradition, le Nouvel an lunaire dure quinze jours. Le 10 février a marqué la fin des festivités et la reprise du travail. Certaines usines et les écoles situées loin de l’épicentre, donc moins infectées, ont redémarré doucement sur ordre municipal. Cependant, presque toutes les villes de la province du Hubei ont maintenu l’interdiction d’entrer dans les quartiers résidentiels, sauf pour les résidents, ainsi que la restriction des sorties quotidiennes. Pour se ravitailler en produits de première nécessité, les habitants font appel à la solidarité, ou bien font venir les marchands de légumes frais jusqu’au pied de l’immeuble. Toute personne entrée ou sortie passe par un seul portail bien gardé et est soumise au contrôle de sa température.

    La reprise de l’activité des usines devrait faire revenir une masse d’ouvriers après la fête du printemps. Mais la province du Zhejiang et la ville de Suzhou, qui compte en particulier un grand nombre d’infrastructures industrielles, ont demandé aux ouvriers de rester chez eux. Ces villes côtières fonctionnent au ralenti et filtrent toujours les habitants. Il est encore trop tôt pour mesurer les répercussions économiques, mais les sujets de conversation sur les réseaux sociaux commencent déjà à se concentrer sur les difficultés des commerces privés.

    //Pékin s’enferme et le président se dévoile//

    Le soir du 10 février, la chaîne étatique CCTV a diffusé les images de Xi Jinping se promenant masqué et accompagné dans le district pékinois de Chaoyang et échangeant avec les personnels hospitaliers de Wuhan en vidéoconférence. C’était la première apparition publique du président chinois depuis le début de l’épidémie. Son objectif : démentir la rumeur de délocalisation du Comité central du Parti sous la menace du virus. Depuis le premier décès dans la capitale à la fin du mois de janvier, la ville de Pékin est entièrement désertée. Le peuple chinois est enfin assuré grâce à ces images télévisuelles qu’il y a toujours un pilote dans l’avion.

    La veille, la municipalité de Pékin publiait une circulaire avec dix mesures de prévention, dont l’application signifie la clôture de la capitale à son tour. Les Chinois donnent un nom à cette politique : une « gestion en circuit fermé » (封闭管理). Ces mesures obligent toute personne arrivant à Pékin à s’enregistrer immédiatement et à être sous observation ; tous les quartiers résidentiels contrôlent chaque entrée et sortie de leurs habitants ; les activités publiques sont suspendues ; et on veille strictement sur les locations immobilières et sur leurs locataires.
    Dans son dernier discours, Xi Jinping a appelé toute la population à se mobiliser contre cette « guerre du peuple ». Parmi les points essentiels à retenir selon l’agence officielle Chine Nouvelle : « renforcer le contrôle global dans le domaine social » et « renforcer le travail d’orientation de l’opinion ».

    {{{ENCART }}} §§§§ Héros malgré lui §§§§

    Li Wenliang, ophtalmologiste, 34 ans. Le 30 décembre 2019 vers 17h, dans un groupe de 150 médecins sur WeChat, il écrit : « 7 patients atteints de SRAS confirmés au marché Huanan, en urgence quarantaine dans notre hôpital. » Le jour-même, le Bureau de Santé et d’Hygiène de la municipalité de Wuhan diffuse une circulaire sur les réseaux : « Il n’est permis à aucun service ni à aucune personne de diffuser des informations concernant des patients hospitalisés sans autorisation. »

    Le contenu des conversations entre les confrères est diffusé sans floutage des informations personnelles. Le 3 janvier, le Dr. Li est convoqué au commissariat de police du district, où on l’oblige à signer une lettre de rappel à la loi après qu’il a avoué être à l’origine de ce que la police qualifie de « rumeur ». Et il repart.

    Pendant le mois de janvier, le nombre de personnes infectées augmente tous les jours sans que des mesures de prévention strictes soient prises par les autorités sanitaires. Le 20 janvier, les assemblées plénières du Congrès du Parti Communiste de la province du Hubei touchent à leur fin, et il est impossible de maintenir l’ambiguïté sur la contagiosité du virus. Le gouvernement central dépêche à Wuhan l’honorable académicien et épidémiologiste Zhong Nanshan. Le Dr Zhong confirme alors que l’infection s’effectue par simple contact humain : la protection s’impose donc, surtout dans les milieux médicaux. Mais il est trop tard pour beaucoup de médecins et d’infirmiers (selon le dernier chiffre du 11 février, 1716 personnels médicaux ont été infectés, dont 6 sont morts, le Dr Li compris). Li Wenliang est lui-même contaminé sans le savoir lors d’une consultation ophtalmologique d’une patiente infectée mais asymptomatique. A partir du 13 janvier, il est hospitalisé, ses collègues et ses parents ont les mêmes symptômes.

    Dans son lit d’hôpital, le Dr Li accepte l’interview d’un journaliste du magazine Caixin, le 1er février. Le dernier résultat des tests confirme son infection, il est soigné par injections d’antibiotiques, d’antiviraux et d’immunoglobulines. Il faut que sa famille paie ces médicaments, se déplace pour les acheter ou les fasse livrer par la pharmacie. A eux seuls, les médicaments lui coûtent environ 50 à 60 000 yuans (plus de 6 000 à 7 000 euros). Sur son lit, le Dr Li indique qu’il n’est pas certain que cette somme puisse être remboursée. Selon des sources internes, l’hôpital a reconnu le lien direct entre son décès et le risque professionnel, et a indemnisé sa famille après sa mort.

    Le 5 février, le Dr Li envoie un message au journaliste de Caixin, en disant que son état n’est pas stable et même s’aggrave. Quand le journaliste lui demande s’il souhaite réclamer une réhabilitation auprès des pouvoirs publics, il répond (selon l’article du tribunal) : « Je me sens soulagé. A mon avis, il ne devrait pas y avoir une seule voix dans une société saine. Je ne pense pas que les pouvoirs publics devraient interférer à tout moment. » Le 7 février au petit matin, l’hôpital de Wuhan confirme le décès de Li Wenliang.
    {{{fin ENCART }}}

    //Un cri sans voix//

    Les réseaux sociaux en Chine jouent un rôle crucial dans cette crise. Tandis que quelques journalistes étrangers restent encore sur place et que les journalistes chinois sont débordés, les informations essentielles et les contestations des habitants sont relayées par les réseaux sociaux. Par exemple, le secrétaire général du Parti de Wuhan, Ma Guoqiang annonce dans la presse officielle que jusqu’au 9 février, la municipalité a contrôlé plus de 3 371 quartiers et villages, soit plus de 4 millions de familles, avec un taux d’examen individuel sur l’ensemble de la population à hauteur de 98,6 % (voir la capture d’écran ci-dessous). Quelqu’un poste cette information sur son compte WeChat avec un commentaire : « Chanceux, je fais partie des 1,4 % restants. Je vis probablement à l’autre bout de la ville, et vous ? Si vous êtes comme moi, cliquez ici, et dites la vérité sur Wuhan. » Dans la journée, avec plus de 100 000 vues et likes, un nombre incalculable de personnes ont répondu positivement à sa question. Les récents limogeages de Ma Guoqiang, du patron du Parti du Hubei et de deux responsables du Bureau provincial de la Santé suffiront-il à regagner la confiance des habitants ? Comment évacuer le doute et la méfiance ? Le confinement crée et maintient une tension depuis deux semaines, et le décès de Li Wenliang a fait ouvert les vannes : la compassion et la colère jaillissent sur les réseaux sociaux. Le pouvoir central, lui, reste intact.

    C’est que Li Wenliang est la seule personne que l’on puisse nommer et dont on puisse raconter le récit en entier parmi les plus de 1 700 décès causés par l’épidémie. Quand la mort nous rattrape avec une telle vitesse sans que nous puissions avoir le moindre répit, et que les centaines de malades attendent devant les lits des hôpitaux encore tièdes, pendant que les services n’ont même pas le temps d’emballer les corps sans vie, Li Wenliang et son chemin parcouru – de son vivant jusqu’à son agonie – nous renvoie à chaque victime de ce fléau, même aux détails près. Lui seul incarne toutes ces victimes. Il est le miroir de nos peines.

    La cérémonie très simple organisée par ses collègues et les habitants de la ville leur a offert pendant cinq minutes la possibilité éphémère d’oublier leur combat quotidien. Le visage de Li Wenliang en blouse blanche sur la photo est devenu le symbole unique de cette guerre. Il est à la fois le soignant et le malade, le savant qui prédit cette catastrophe et la victime de son déni. Sa tragédie démontre ce qu’il en coûte de bâillonner les paroles : on peut contenir la colère du peuple dès lors que le pouvoir musèle les défenseurs des droits ou les lanceurs d’alerte. En revanche, réduire les scientifiques ou les médecins au silence n’empêche pas le virus de se répandre partout.

    Li Wenliang fut une des rares personnes qui accepte les interviews des journalistes à visage découvert. C’est un détail souvent ignoré dans un pays où peu de personnes osent parler sans cacher leur identité. En acceptant cinq médias pendant son hospitalisation, sa franchise et son authenticité ont offert aux journalistes un bol d’air frais. Il répète très souvent avoir eu peur après la convocation de la police, non pas pour la faute qu’on lui reprochait, mais pour l’éventuelle sanction de la direction de l’hôpital. Le fait d’être réintégré aussitôt au travail après cet incident nationalement connu fut un soulagement pour lui.

    Dès lors que la nouvelle de son décès s’est répandue sur la toile, la colère et le sentiment d’injustice ont déferlé de tous bords. Les internautes exigent une réhabilitation officielle. Non seulement, il est élevé au rang de héros, mais on le magnifie comme lanceur d’alerte, terme assez à la mode en Occident mais rarement utilisé en Chine. Ces cris de mécontentement peu communs durent le temps d’un week-end, où tous les médias officiels en Chine lui consacrent la Une ou un dossier spécial, tandis que dans les pays occidentaux, les revendications sur la liberté d’expression et les critiques contre le pouvoir central affluent ouvertement sur les réseaux sociaux. Il est fascinant de voir que le pouvoir laisse passer ces cris de douleurs et de colère, mais il est beaucoup plus prudent face aux demandes de réforme politique.

    Une pétition signée par les intellectuels et professeurs chinois les plus reconnus a circulé à l’adresse du Premier ministre chinois Li Keqiang. Elle contient cinq revendications, dont l’une est de décréter le 6 février « journée de la liberté d’expression », et d’abolir les réglementations pénales qui la sanctionnent. Curieusement, cette pétition dont la liste des noms signés s’allonge sans cesse depuis quelque jours, s’est brusquement arrêtée à la frontière entre Hong Kong et la Chine, puisqu’elle ne se trouve pas sur le moteur de recherche Baidu. Tandis que les cités deviennent des villes-fantômes et que la peur s’est installée, que les centres d’incinération de Wuhan tournent à plein régime, que les hôpitaux sont remplis de souffrants, il n’y a pas que les médecins et les infirmiers qui ne quittent plus leurs postes depuis deux mois, les cyberpoliciers aussi. Ils ne lâchent rien, ils s’attachent à appliquer la directive du gouvernement : « renforcer le travail d’orientation de l’opinion ». C’est alors qu’une rumeur se propage : « Quand viendra-t-il ce jour du blocage total de l’internet (封网)après la fermeture des villes(封城 )? »

    //Epilogue//

    En moins de deux jours, les étudiants chinois à l’étranger ont organisé spontanément des cérémonies en hommage à Li Wenliang, partout dans le monde. Dans la journée du 9 février, l’ambassade de Chine en France a publié un article consacré à la cérémonie organisée le soir même place de la Bastille à Paris, une réactivité assez rare pour être soulignée. « S’ils décrivent le Dr. Li Wenliang comme un lanceur d’alerte, écrit l’auteur de l’article de l’ambassade, c’est dans le but de le politiser : c’est mal intentionné ; le but est de diviser l’opinion chinoise et de souiller son nom, c’est donc un acte immoral. »

    Un peu plus loin, l’auteur continue : « En ce moment, il faut savoir réfléchir et trancher, en distinguant ceux qui parlent de la justice et de la compassion, et les autres qui profitent de notre faiblesse en nous perturbant au moment du deuil… Face aux ennemis, il faut savoir discerner et garder son calme, ne pas tomber dans le piège de quelques personnes. »

    Sans surprise, ce message infantilisant avait pour but de dissuader la participation à cette cérémonie. A la tombée de la nuit sur le boulevard Richard Lenoir, dans une ambiance de calme avant la tempête, une trentaine de personnes se sont réunies devant la photo de Li Wenliang, encadrée et posée au sol. Très peu d’échanges entre les participants, aux visages dissimulés derrière un masque. Que lisait-on dans leurs regards croisés par hasard ? La peur et aussi la méfiance.

    Par Tamara Lui, avec l’aide de Patrick Cozette

    Tamara Lui
    Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s’est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l’immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d’économie sociale et solidaire.
    Copyright Asialyst 2020

    1. Avatar de PIerre-Yves Dambrine
      PIerre-Yves Dambrine

      Je me demande si en outre au sein même du PCC il ne commence pas à y avoir un peu de friture sur la ligne officielle. Ou comment certains commentateurs en ont émis l’hypothèse, Xi Jinping serait en quelque sorte sur la défensive. Ce que traduiraient certains papiers émanant des organes de presse du pouvoir, ou à portée de main du pouvoir central.
      Un journal aussi pro-gouvernemental que le Global Times, l’équivalent du Quotidien du peuple pour l’international, en anglais, écrit ainsi, relayant une étude :

      « On January 6, the National Center for Disease Control and Prevention (CDC) issued a second-level emergency response, which the researchers said served as a warning against mass public activity and travel.
      If the warnings had received wider public attention, the number of cases spreading nationally and globally in mid-to-late January would have been lower, said the researchers. »

      Ces faits sont connus depuis un moment, mais ils sont relayés par un organe officiel, certes destiné à un public cultivé en Chine.

      https://www.globaltimes.cn/content/1180429.shtml

      Un article de l’éditorialiste Wang Xiangwei, du South China Morning Post, ex directeur de la publication, en poste à Pékin, apporte des éléments nouveaux qui confirment qu’au plus haut niveau on savait dès début janvier et qui plus est, des mesures étaient prises début janvier. (ce qui est entre parenthèses cohérent avec ce qu’a dit Xi au directeur de l’OMS lors de leur rencontre à Pékin le président Xi Jinping.)

      Fait inhabituel des paroles de Xi Jinping dites lors de la réunion du Bureau Politique permanent du PCC le 3 février, évoquant alors qu’il avait donné des ordres pour traiter l’épidémie le 7 janvier sont publiées dans Qiushi, alors qu’il faut en temps normal attendre des mois.

      L’article note qu’en novembre 2016 le ministre de la santé avait informé que le dispositif d’alerte et de prévention des épidémies et situations d’urgence sanitaire avait gagné en performance : « China had completed the world’s biggest internet-based direct reporting system for infectious disease epidemics and public health emergencies, which would enable epidemic information from the grass roots to reach the Chinese Centre for Disease Control and Prevention (China CDC) in four hours, as opposed to five days previously. »

      https://www.scmp.com/week-asia/opinion/article/3051829/coronavirus-no-chernobyl-wake-call-chinas-top-down-auto

      Résumé : des mesures furent prises en haut lieu car il existait un dispositif d’alerte hautement performant, mais tout cela s’est révélé inefficace.
      Je ne reviens pas sur les raisons de cette inefficacité. L’éditorialiste du SCMP, peu soupçonnable d’être un agent de la CIA, les donne, et elles rejoignent, en termes plus diplomatiques, celles de l’article que tu cites.

      1. Avatar de Nicolas
        Nicolas

        Il n’ a aucune fissure au sein du PCC. La Chine a fait ses devoirs en menant un combat déterminé avec des moyens scientifiques et humains d’une ampleur inusitée non seulement pour protéger sa population mais celle de toute la planète. D’ailleurs l’OMS ne s’inquiète pas des mesures prises par la Chine. L’OMS s’inquiète plutôt met en garde contre le fait qu’au niveau mondial il va être de plus en plus difficile si d’importants moyens ne sont pas donné: https://www.arte.tv/fr/afp/actualites/coronavirus-inquietude-de-loms-litalie-ferme-des-lieux-publics-dans-une-dizaine-de

        « L’OMS est particulièrement préoccupée par l’apparition de cas en dehors de Chine « sans lien épidémiologique clair, tels que les antécédents de voyage et les contacts avec un cas confirmé »…

        Soulignant une fois de plus les mesures « sérieuses » prises par la Chine pour contenir l’épidémie dans la province de Hubei et notamment dans la ville de Wuhan, où est apparu en décembre le nouveau coronavirus, le patron de l’OMS a appelé les « autres pays » à être également « très, très sérieux ». »

      2. Avatar de PIerre-Yves Dambrine
        PIerre-Yves Dambrine

        (suite)
        Très récemment, sur le très officiel média chinois, Xinhua She, (Agence Chine Nouvelle) est parue dans la rubrique « opinion » un papier qui semble-t-il suscite beaucoup de réactions en ce moment sur le net chinois.
        L’article en question est resté en ligne quelques heures sur le site de l’agence Xinhua, puis il a été censuré. Mais il est tout de même relayé ailleurs, puisque je l’ai retrouvé à deux autres endroits, Shenyang, au nord de la Chine, et à Shanghai.

        Il s’agit d’un texte intitulé : « Qu’on laisse les gens dirent la vérité, le Ciel ne s’écroulera pas ».

        L’article relate le cas Zhang Xiaochun, professeure de médecine à l’université de Wuhan, qui a exprimé le 3 février sur un réseau social ses doutes quant à la fiabilité du test nucléique, celle-ci de proposer alors qu’on ait recours à l’imagerie CT.
        L’auteur de l’article développe l’idée qu’il devient nécessaire de dire la vérité des chsoes, car c’est le prix à payer pour sauver des vies humaines. Et de remercier dix mille fois Zhang Xiaochun pour son intervention.

        Dans des commentaires que j’ai pu relever ici ou là, des internautes Chinois s’interrogent : comment un tel article a-t-il pu être publié ? Certains disent qu’il a forcément été validé en amont. D’autres disent que le PCC n’est pas monolithique. Un commentateur plus sarcastique écrit : »L’agence Chine Nouvelle a dit une vérité, et le Ciel est tombé. »

        http://www.rfi.fr/cn/中国/20200222-官媒新华社鼓励说真话文章也遭删

  6. Avatar de François
    François

    En France, on est resté au dogme du « seul celui qui a été de près ou de loin (cas contact) en lien avec la Chine est testé »… alors que cela fait une bonne semaine au moins que plus un seul cas nouveau trouvé hors de Chine n’a de lien avec la Chine (voir les compte-rendus de l’oms qui recense l’origine de chaque cas)
    Voici la fiche explicative du tri à effectuer :

    https://www.coreb.infectiologie.com/UserFiles/File/procedures/2019-ncov-fichesoignants22janv-vf.pdf

    Pour être testé, il faut obligatoirement être lié à la Chine. Quand on ne cherche pas, on ne trouve pas… C’est visiblement la doctrine du ministère de la santé. Faudrait conseiller cela aux Italiens, ça leur évitera d’avoir une floppée de nouveaux cas chaque jour.

    Cet aveuglement va faire mal, très mal.

    1. Avatar de François
      François

      De plus, il faut des symptômes avant les 14 jours, dont obligatoirement de la fièvre ou une infection respiratoire aiguëe. Or, il existe des cas sans fièvre, et il existe des cas d’incubation supérieur à 14 jours.

      On range tous ces cas, plus ceux qui ne proviennent pas de Chine, dans la case Grippe et on n’ en parle plus…

      Finalement c’est assez facile de ne pas avoir de cas en France…

    2. Avatar de François
      François

      On est également très fort dans la communication. Ainsi « Face au grand public, le gouvernement veut garder la main: seul lui «communique sur l’annonce de cas confirmés, les décès, les patients guéris», et les cas possibles ou suspects ne seront pas dévoilés. » Les chinois, eux, indiquent les cas suspects…
      https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-la-france-se-met-en-ordre-de-bataille-20200223

      Du même article: « La partie cachée de l’iceberg pourrait donc être encore plus grosse que prévu: dans une étude publiée vendredi, des chercheurs du Centre des maladies infectieuses de l’Imperial College de Londres estimaient «qu’environ deux tiers des cas de Covid-19 exportés de Chine continentale sont restés non détectés dans le monde, entraînant potentiellement de multiples chaînes de transmission interhumaine hors de Chine, qui n’ont pas encore été repérées». »

      Mais bon, nous en France, on sait arrêter les nuages radioactifs à la frontière… alors les virus…

    1. Avatar de Aurélie Toprakci
      Aurélie Toprakci

      Mdrrrr, et puis quoi encore.

      1. Avatar de Nicolas
        Nicolas

        On va moins rigoler quand on sera dans la situation de l’Italie. On est dans une situation de crise et on ne comprend pas la communication de nos ministres:

        M. Blanquer : « On ne ferme rien. »
        M. Macron : « Télétravail et fermeture des EPLE. »
        M. Blanquer : « Ok, mais les profs dans les murs, feignasses ! »
        M. Philippe : « On ferme tout, partout. »

        En tant de guerre si on a des charlots comme ça à la tête de l’état…

  7. Avatar de PIerre-Yves Dambrine
    PIerre-Yves Dambrine

    Le recommandation de Zhong Nanshan a été suivie :

    « La Chine interdit « complètement » le commerce et la consommation d’animaux sauvages

    La Chine a décidé lundi d’interdire « complètement » et immédiatement le commerce et la consommation d’animaux sauvages, une pratique suspectée dans la propagation du nouveau coronavirus.

    Le comité permanent du Parlement chinois s’est réuni lundi et a approuvé une proposition « pour interdire complètement » le commerce d’animaux sauvages, « abolir la mauvaise habitude de surconsommer des animaux sauvages et protéger efficacement la santé et la vie de la population », a rapporté la télévision d’Etat. »

    https://www.20minutes.fr/monde/2725367-20200224-coronavirus-direct-alerte-maximale-coree-sud-premier-foyer-contamination-hors-chine

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