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Parmi les défis que la génération actuelle – non les hommes qui vivront dans trente ans ou dans cent – devrait rencontrer, et auxquels il lui faudra bien (tenter de) faire face, je listerais :
1. Plafonnement des extractions d’énergie fossile
Le pic pétrolier a été décalé par la mise en production des gisements de pétrole de schiste aux Etats-Unis et le retour à la production de l’Irak après la fin de l’occupation américaine. Il reste prévisible à échéance de quelques années, parce que la plus grande partie des gisements mondiaux atteignent ou ont déjà dépassé leur pic et la capacité des schistes américains à compenser n’est pas infinie et pourrait être limitée dans le temps.
Les impacts du passage du pic pétrolier sont discutés mais ne pourront qu’être profonds, car le pétrole reste indispensable à l’économie mondiale notamment les transports. Passer le pic du pétrole sans avoir de solution technique disponible pour le remplacer pourrait être la première collision de l’humanité avec les limites physiques de la planète.
2. Stabilité du système financier mondial
Inutile de développer beaucoup ce point déjà très étudié sur ce blog ! Il suffira de rappeler que la gestion des banques centrales n’est jamais sortie depuis 2008 d’une phase d’assouplissement quantitatif et de taux zéros dont elle ne saurait sortir sans restructurer profondément l’ensemble des dettes mondiales, alors même que les politiques d’assouplissement quantitatif et de taux zéro sont malsaines en elle-même, et alors même que l’ensemble de la machinerie financière qui avait été à l’origine de la crise – spéculation sans frein sur les prix futurs, spéculation automatique ultra-rapide par IA, collatéralisation des dérivés etc. – est resté pratiquement intact sans aucune autre réforme que cosmétique au mieux.
Une nouvelle crise financière mondiale ne pourrait que se transformer en crise économique généralisée aux dimensions du Monde, avec impacts imprévisibles mais probablement brisants à beaucoup de degrés.
3. Désagrégation d’Etats faillis
L’ensemble des tensions soit locales soit structurelles subies par de nombreux Etats les plus fragiles dans le Monde augmente en tendance. Suivant les cas, citons des ressources naturelles limitées surchargées par une démographie très active que ne compense pas une élévation suffisante de l’efficacité économique, ou encore des conflits non résolus entre peuples peu intégrés à un Etat qui ne les représente pas, ou encore l’influence de réseaux idéologiques ou criminels tels djihadisme ou drogue, ou encore l’influence de puissances extérieures luttant pour leur influence réciproque. Somalie, Irak, Syrie, Libye, Yémen, Sahel, Mexique…
Les efforts pour au minimum contenir le désordre, sans parler de le faire reculer, sont insuffisants de la part des principales puissances, quand encore elles ne contribuent pas à l’empirer par leurs luttes.
L’extension de la zone de l’anarchie guerrière d’une part aurait localement des conséquences humaines graves, d’autre part contribuerait à empirer d’autres risques et menacerait de faire tache d’huile si le « modèle » d’Etat djihadiste agressif était réutilisé avec succès dans trop de régions du monde à la fois – menaçant alors d’emporter les défenses.
4. Transition géopolitique avec sortie du moment unipolaire
C’est un lieu commun de constater que la phase de domination écrasante et active des Etats-Unis sur la scène politique mondiale touche à sa fin. D’une part d’autres puissances s’élèvent avant tout la nouvelle superpuissance qu’est devenue la Chine, tandis que certaines deviennent plus actives notamment la Russie, d’autre part les Etats-Unis fatigués de l’Empire et déçus des mécomptes de leurs récentes aventures souhaitent se replier sur eux-mêmes afin d’améliorer leur situation intérieure – désir partagé quoique certes dans des versions extrêmement différentes à la fois à droite et à gauche du spectre politique américain, seul un candidat représentatif du « monde d’avant » tel Joe Biden peut faire exception et sans doute plus pour très longtemps.
Historiquement, ce genre de transition soit vers un système bipolaire américano-chinois chacun conservant ses affidés européens ici russe là, soit vers un système multipolaire – vision du président Macron d’un pôle paneuropéen, ascension de l’Inde – a souvent généré des conflits longs alors que la puissance relativement déclinante s’accrochait à sa position de pouvoir, parfois jusqu’au déraisonnable, tandis que la puissance montante affirmait son ambition parfois jusqu’à l’excès.
Même si une guerre directe ouverte est peu probable vu l’existence des armes nucléaires, une suite de conflits prolongés indirects – parallèle à ce que fut la Guerre Froide – est un risque réel, dont les conséquences en termes humains et en termes de gâchis de ressources seraient importantes.
5. Renouveau des migrations de masse
Déséquilibres démographiques entre Sud et Nord, rapidité du partage de l’information qui fait que l’on sait partout sur la planète comment vivent les habitants des pays développés, élévation rapide du niveau éducatif au Sud sans compter l’impact des Etats faillis contribuent à fortement augmenter la possibilité de migrations de masse importantes du Sud vers le Nord.
Suivant les circonstances, les politiques suivies, et encore bien évidemment l’échelle du phénomène, ces migrations peuvent tout aussi bien s’avérer un phénomène enrichissant pour des pays d’accueil capables à la fois de limiter les flux et de les intégrer effectivement en nouveaux citoyens productifs, ou un phénomène brisant pour des pays qui ne sauraient ni intégrer ni limiter et dont la stabilité sociale deviendrait sujette à caution.
J’ai tenté de « classer » ces défis du plus grave ou plus fondamental à celui qui l’est moins. L’ordre peut toujours être discuté, mais il me paraît clair que 3. 4. et 5. sont sur le fond des problèmes « tels que l’humanité en a souvent rencontrés » à de nombreuses époques et sous des formes variées. Ils n’ont rien d’une potentielle discontinuité historique – sauf s’ils détournaient les énergies de problèmes plus fondamentaux, bloquant ou ralentissant leur résolution. 2. est d’un côté un problème qui a déjà été rencontré, de l’autre un problème dont l’ampleur est peut-être nouvelle. Et il a à coup sûr le potentiel pour gêner et retarder considérablement la résolution des problèmes fondamentaux, alors que le temps presse.
Seul le problème 1. à mon sens à la fois fait partie véritablement des problèmes fondamentaux ET se présentera sans échappatoire possible aux gens de la génération présente.
Les problèmes encore plus fondamentaux que sont les menaces d’effondrement de la biodiversité et notamment d’un réchauffement climatique aigu qui précipiterait cet effondrement ont cette caractéristique qu’ils ne feront sentir leurs effets les plus graves que dans une génération ou plus, s’ils ne sont pas enrayés, MAIS ils ne peuvent être suffisamment enrayés que par la génération actuelle !
Il existe un espoir d’utiliser l’évidence spectaculaire des prodromes de ces problèmes – les incendies en Australie ou en Amazonie n’en sont qu’un avant-goût très limité – pour aider à convaincre la génération actuelle d’agir de manière décidée plutôt que de laisser le bébé à la suivante. Mais il ne s’agit cependant… que des prodromes.
S’agissant des maladies nouvelles telles le coronavirus 2019 nCov, aussi dommageables qu’elles puissent être humainement parlant – un scénario en millions de morts ne peut être exclu – il ne s’agit aussi cruel que cela puisse paraître que d’un incident à l’échelle de l’humanité. La grippe espagnole de 1918-19 a tué 2,5% de l’humanité de l’époque, sans avoir de véritable influence délétère de long terme. Pas d’événement brisant à redouter de ce côté-là.
Quant aux reconfiguration de coopérations internationales, comme la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, c’est encore beaucoup moins important à l’échelle de l’humanité. Le premier ministre Johnson est possiblement un danger public pour la prospérité à court terme de son pays – s’il persiste à vouloir s’éloigner drastiquement des normes du marché unique, fermant de nombreuses voies au commerce extérieur du Royaume-Uni – mais il ne peut faire de dégâts plus importants. Le déclenchement d’une crise financière mondiale si aucun traité n’était signé au 31 décembre 2020 entre UE et RU notamment paraît improbable étant donné que les banques auront eu plusieurs années pour se préparer à ce risque.
Le président Trump, c’est différent. Son refus de prendre au sérieux la menace climatique, sa volonté apparente de sortir d’autant de traités de désarmement nucléaire que possible et la stratégie d’étranglement économique qu’il a mise en place contre l’Iran, puissance capable de provoquer une crise économique mondiale en cassant l’extraction de pétrole dans le Golfe, présentent des risques réels de conséquences graves au niveau mondial.
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