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FranceInfo TV, « Ouvrez le 1 » : « Faut-il faire payer les riches ? », le mercredi 5 février à 21h
Mon point de vue sera opposé à celui d’Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens.
C’est le moment de se souvenir de la réponse qu’avait apportée Timiota ici à la question, dans deux billets en 2014.
Découverte Médicale : De petites doses de Piketty empêchent les crises de Gattaz (I) et Découverte Médicale : De petites doses de Piketty empêchent les crises de Gattaz (II)
À propos de la concentration des richesses et de l’augmentation des inégalités, Piketty nous dit à sa façon qu’il y a bel et bien une divergence en cours, et que les Trente Glorieuses n’étaient qu’une exception. On pourra toujours prétendre qu’une société comme celle de la Belle Époque (1910), venait de passer quelques décennies de capitalisme qui ne se grippait qu’assez occasionnellement, et que donc retrouver ces niveaux d’inégalités, si cela sort X millions de gens de la pauvreté vers la classe moyenne par la même occasion, on ne doit pas faire la fine bouche.
Faisant cela, on ignore bien des éléments de la Grande Dépression, logée entre deux guerres mondiales qui en compliquent la lecture, lecture à interpréter entre progrès techniques, colonisations, puis décolonisations. Et après tout, on pourrait croire qu’il y a assez de chaos de l’Histoire pour qu’on ne fasse pas pire au bout de l’actuelle augmentation des inégalités.
Plusieurs raisons, qu’on mettra sous un chapeau « survie sur la planète », disent qu’il est urgent d’éviter le blocage dans un monde très grippé par la concentration des richesses et par les masses de pauvreté qui s’ensuivent : même avec 30% de classes moyennes qui s’en tirent, un monde ou même les pays « riches » comprennent à demeure 30% de pauvres, et les pays moins riches bien plus, restera ingouvernable pour l’usage des ressources de cette planète.
Je développe ici un modèle qui suggère qu’une réduction des inégalités sur un mode Pikettien assez léger suffit à gagner énormément en termes de stabilité. La raison fondamentale en est, suivant ce modèle — qui est trop simple et ne doit servir que d’inspiration — qu’il y a « couplage » entre les fluctuations de fortunes des Hyperriches et la précipitation irréversibles des « gagne-peu » dans la misère, au seuil de survie. La seule modération de l’hyperrichesse est donc déjà à elle seule un enjeu, pas juste un choix de « mode de vie » de la société parmi d’autres.
Dans le modèle illustré dans la suite, on ne trouve que des choses très simples : la « fortune » de chacun, et le fait qu’il va, aux termes d’échange « quotidiens », avoir plus ou moins de chance, et se retrouver avec plus ou moins de fortune.
Il y a aussi un seuil de pauvreté, car on ne peut « risquer » que ce qu’on a en surplus de ce seuil : les pauvres ne font pas de transactions risquées pour plus de quelques euros ou dizaines d’euros, les riches pour quelques millions d’euros.
Il y a une évolution de la fortune globale qui résulte de tous ces échanges, mais je choisis de la mettre de côté, de la « normaliser » dit-on en mathématiques/physique. Cela évite des débats d’un autre niveau de complexité sur la démographie, la technologie, la sociologie, la « création de valeur », etc.
Et cette façon de faire dit au fond que chaque société définit « localement » son bien-être pécuniaire, cela dit qu’on se regarde riche ou pauvre en regardant les autres.
Que se passe-t-il donc chaque jour ? Chacun a tenté de risquer une part de son surplus (sous toute forme, y compris sa capacité de travail) et y a connu une réussite variable. Cela sera décrit comme aléatoire. En principe, il a échangé avec les autres, et une sorte de compensation doit exister, mais cela n’est au mieux vrai qu’en moyenne. N.B. : Et des fois même pas vrai, si étant riche, on risque un « gros coup » foireux : on fait baisser la richesse de tous. Au contraire, si on trouve un truc utile sur lequel on ne gagnera qu’une fraction du gain réellement apporté (spécial mois de mai : la tondeuse à gazon silencieuse), on peut augmenter substantiellement la richesse totale. )
Allons pour les maths, le lecteur allergique peut sauter une petite page :
Si K désigne le niveau de fortune d’un individu et Kp le seuil de pauvreté, la fortune variera d’un jour sur l’autre d’une quantité aléatoire comprise dans un intervalle borné,
K’=K+alpha*(K-Kp)*RAND où K_ex=alpha*(K-Kp) est la quantité « mise en jeu » chaque jour
Et RAND est un nombre aléatoire compris entre -1 et 1 (fabriqué avec -1+2*‘rand’, où la fonction ‘rand’ techniquement plus usuelle est équirépartie entre 0 et 1).
Si on a un nombre fixe N d’acteurs (repérés par i entre 1 et N), on doit faire ceci indépendamment pour chaque i entre 1 et N. Si l’on indexe alors formellement les quantités par jour D (= temps t), on obtient :
K_(i,D+1)=K(i,D)+alpha*(K(i,D)-Kp)*RAND_i (on tire au hasard N fois chaque jour).
Si on en reste là, on a N suites temporelles appelées “marches aléatoires”, qui vont simplement “ralentir” si elles s’approchent de Kp, qui en constitue une borne inférieure (on part d’un état initial à K=1000 « euros » =K_i pour tous à t=Jour_1, avec dans mon cas Kp=400 « euros »).
On voit bien dans ce modèle que la somme totale fluctue et on voit aussi qu’il n’y a pas de borne à K vers le haut. C’est cette absence de borne que je vais appeler « effet Gattaz », tant le médiatique patron de Radiall a bien illustré ce manque de retenue entre lui et ses employés. Et c’est ce qui conduit au grippage, on va le voir, malgré l’indépendance des trajectoires aléatoires.
J’ai pris alpha=0.06 dans ce travail, et je peux le justifier plus bas (en bref : on ne risque pas vraiment 6% de son rab chaque jour, mais 50% sur 3 mois, pourquoi pas, et cela revient en gros au même).
Fin du gros des maths.
Pour la fluctuation de la somme totale, tant qu’on est au début de l’histoire (et qu’il n’y a pas d’Hyperriches qui font des « gros coups »), cela n’évolue pas trop. Si l’on a beaucoup d’acteurs (N>>1), ceux qui gagnent compensent presque ceux qui perdent. Choisissons toutefois au nom du principe ci-dessus de « normaliser ». A l’issue de chaque jour, je ramène chacun à une fortune légèrement différente du résultat ci-dessus pour que la moyenne reste 1000, par une opération tout ce qu’il y a de proportionnelle et élémentaire (K’_normalisé=K’*1000/moyenne).
Dans cette première partie, je vais simplement montrer que des « assez riches » se fabriquent assez vite par rapport à l’intuition qu’on peut en avoir, et vous familiariser avec la représentation des résultats sous forme de « cartes d’histogrammes en couleur ». Il sera aussi question du « coefficient de Gini », qu’on utilise couramment comme mesure « synthétique » des inégalités dans toute distribution de richesse.
Dans la seconde partie, je parlerai du remède « Piketty contre Gattaz », en faisant voir le grippage, et en faisant voir comment un léger biais qui contrebalance la dérive « on-ne-prête qu’aux riches » suffit à éviter le grippage. C’est une version mathématique de ce que les Grecs voulurent aussi soigner, la «pléonexie », ou goût « immodéré » pour la richesse. L’anthropologie hors d’Occident abonde d’exemples pour lesquels, si de la richesse est accumulée par un membre d’une société, elle doit être « socialisée » pour que l’heureux riche ne finisse pas fort mal en point (lire à ce sujet Christophe Darmangeat, « Conversation sur la naissance des inégalités »).
Dans le premier film, que voici
j’utilise 4 panneaux, tous ayant le temps comme coordonnée « x », et je le referai toujours ainsi par la suite. Mais ici il n’y a que 2000 jours : on présente ainsi la vision « microscopique », plus facile à saisir au début de la simulation (quelques jours ou dizaines de jours). Ah, oui, j’ai appelé la monnaie « $$ » au lieu de « euros », est-ce important ? je ne le crois pas !
Listons :
Tout d’abord, je rappelle que l’échelle des temps est en « jours ». Pour lui donner une correspondance facile à saisir, j’ai mis comme temps t0 l’année Y 2015, et comme temps final une certain année Y 2XXX, et j’ajoute même les « trimestres » Q1 Q2 Q3 Q4 (terminologie anglo-saxonne), pour qu’il se passe quelque choses aux temps courts. Ainsi au bout de deux ans on est en Y 2016 Q4.
-En haut à gauche, on donne la fortune de chaque individu en niveau de couleur, autour du bleu clair (échelle à gauche du panneau entre 0 et 3000 : ‘color bar’). On affiche le résultat journalier (qui importe peu), et on peut donc voir pour l’essentiel se dérouler 12 marches aléatoires. La « normalisation de la moyenne » n’a aucune influence notable sur le peu de jours modélisés ici (2000).
-Le panneau en bas à gauche est le coefficient de Gini associé à la distribution des 12 acteurs, qui va croissant vu qu’ils sont partis d’une égalité parfaite, et il monte assez peu jusque vers 100 jours, où il finit par atteindre 0.2 et y fluctuer sans tendance encore nette dans les 2000 jours.
-En haut à droite, on a les trajectoires de richesse de façon graphique, mais attention, il s’agit en réalité d’un histogramme des richesses à 300 cases réparties ici entre 400 et 2 000 $$. On met un point de couleur jaune si une case de l’histogramme représente 10% de la population, plus bleu si ça en représente moins, plus rouge si ça en représente plus. Ici, en gros, il n’y a qu’un ou des fois deux individus par case, soit 8 ou 16%, cela n’est guère visible. Cela sera plus clair avec de grands N, donc laissez-le un peu de côté pour l’instant. La répartition des « cases » de l’histogramme est logarithmique : chaque case correspond à un intervalle de type K à 1.005 K ou un facteur du même genre, de façon à avoir 300 cases dans un intervalle fixé (1.005^300 vaut à peu près 4.5).
En bas à droite, c’est du Piketty-isme appliqué : on trace l’histogramme sous une forme dite cumulée, ce qui répond à l’établissement de « pourcentiles » utiles à la compréhension de la distribution des richesses : à un instant donné, quel qu’il soit, 100% des gens ont plus que un minimum (qui tend vers Kp pour le plus pauvre), puis 50% ont plus que quelque chose de l’ordre de 800-900, et 10% ont plus que 2000. Pour ce qui est des 1% ou bien des 0.01% où nous recruterons plus tard les « agents grippants », il n’en est pas encore question ici puisque sur 12 individus, 1 individu fait 8,3% à lui tout seul.
On voit donc se construire une distribution d’abord « presque égalitaire» sur ces premiers jours avec une médiane (les 50%) qui est très proche de la moyenne (forcée à 1000). Puis de légères dérives mais rien d’alarmant pour l’instant. En réalité, j’ai déjà dû faire une petite entorse à l’accumulation de richesse pour que cela ait l’air « gentil » ; je vous la révélerai avec la « piketty-isation » au prochain billet.
Pour finir aujourd’hui, regardons la suite : comment cela se passe-t-il si l’on attend plus longtemps (35 000 jours ~100 ans) avec le même nombre d’acteurs ? Voici le second film pour cela.
Même principe en haut à droite, sauf que la carte fait maintenant voir des revers de fortune en grand nombre. Et que j’ai réellement laissé l’aléa produire ses effets, ainsi que la normalisation chaque jour de la fortune à une moyenne de 1000 qui commence à jouer un rôle car assez souvent, le riche à lui tout seul réunit une part appréciable du gâteau de 12000 (12000 plus les fluctuations du jour s’écarte alors pas mal de 12000).
En bas à gauche, la courbe de l’évolution du coefficient de Gini est chaotique, c’est du « hasard sauvage », pas très gentil n’est-ce pas. En haut à droite et en bas à droite, on a une première vision des « dommages » infligés par les plus riches. Dès que « le » riche de mes 12 acteurs atteint une fortune de 4000 ou 5000, les autres deviennent pauvres en comparaison (et frustrés). On m’objectera que laisser 8,3% des gens = 1 acteur accaparer 50% de la richesse n’est pas réaliste ? Au contraire, c’est à peu près le cas du Royaume-Uni. Mais on m’objectera surtout qu’une réalisation particulière semble trop parcellaire pour y voir clair, et c’est bien vrai.
Passons maintenant à des modèles sur N=3600 acteurs, avec les hypothèses inchangées. Mais on va pousser l’étude jusqu’à pouvoir évaluer à quel point une faible dose de « Piketty-isation » de la situation évite le grippage.
Étudions d’abord la situation sans rien faire, pour voir ce fameux grippage :
Pour N=3600 acteurs et 35000 jours, on a un cas typique dans ce film
On voit qu’au début, l’histogramme en haut à droite est maintenant « dense », on a une abondante population de chacune des tranches autour de la médiane. Et on peut lire les percentiles en bas à droite. D’abord ils s’écartent un peu symétriquement de 1000 $$, puis les pauvres « atterrissent » au-dessus de 400 $$, mais assez vite, la classe moyenne, les 10%, (graphe rose-violet dans région jaune), voire celle des 1% (région vert-bleu) passent par un maximum et tout le monde de ces hautes classes au plus pauvre va s’écraser sur le seuil de pauvreté, d’abord mollement, puis sous forme de crise vers les jours 6000 à 8000.
En revanche, compte tenu de l’échelle des histogrammes à droite qui va maintenant de 100 $$ à 1 000 000 $$, on voit que des fortunes immenses sont possibles pour quelques happy few. Et c’est bien au fur et à mesure qu’elles dépassent 10000 puis 100 000 $$, que l’on voit s’aplatir la médiane vers Kp, sans guère de rémission. Dans l’état « grippé », il y a ainsi une grande classe de pauvres qui ne regagne pas vers le haut. Face à un enrichissement continu et rapide des plus riches on peut se dire que c’est parce qu’ils remontent trop lentement, risquant trop peu à chaque fois, avec un couplage venant subtilement du maintien d’une moyenne de la fortune à une constante de 1000 $$. Quand ce PIB augmente plus vite pour les riches, alors il fait, en relatif, baisser les pauvres. On confirmera par les différents cas de figure qu’on va voir que c’est bien les « gros coups » des riches qui précipitent les classes moyennes vers le bas, le couplage venant subtilement du maintien d’une moyenne (une sorte de PIB/Habitant) à une constante de 1000 $$.
Et il arrive, malgré tout, des « bonnes nouvelles » : à savoir que les riches ont l’occasion d’« évacuer » leur fortune comme le montrent les rebonds, vers 8000-9000 jours: ils ont des revers eux aussi qui peuvent rejaillir positivement sur tous, et remettre un jeton dans le juke-box. Il ne s’agit pas de cruauté où l’on reprend aux riches de la propriété, il s’agit de circonstances où les investissements qu’ils ont fait sont si productifs que tout le monde en profite, ils n’ont pas pu verrouiller et capter le gain maximal qu’ils auraient pu en tirer. Dans ces cas-là, tout le monde se ré-enrichit, et les riches ont « raté une occasion d’être hyperriches ».
Le panneau en haut à droite, que je ne commente que maintenant, exagère volontairement ces différentes phases : la couleur de l’histogramme est en effet calée sur la population la plus dense dans sa tranche de richesse, c’est-à-dire qu’elle dépend du rapport « population de la tranche/population de la plus grosse tranche ». Quand cette population de la plus grosse tranche gonfle d’un coup, cela change le calage des couleurs, les tranches du haut ne deviennent pas si dépeuplées que ça (plus bleues), mais elles représentent de plus petites fractions de la tranche majoritaire, celle des « prolétaires », les plus pauvres. L’histogramme cumulé (en bas à droite, déjà commenté) permet de visualiser qu’en réalité, les positions des percentiles ne varient pas de façon ‘gigantesque’, mais seulement de façon ‘importante’.
Mais il est suggestif que ce modèle fasse voir que la création d’une classe nombreuse de gens au minimum est un effet typique de la fluctuation des grandes fortunes qui ont d’un coup tenté de secouer tellement le système que, en remettant les choses à la moyenne, beaucoup de « presque pauvres », se retrouvent pour ainsi dire exactement pauvres, trop près du seuil pour pouvoir en sortir. Qui ne pense alors aux « Plans sociaux » des entreprises !
Donc grippage il y a, du simple fait de laisser agir des fortunes immenses, de les autoriser à risquer beaucoup et à fluctuer beaucoup.
J’ai donc maintenant, en lecteur de Piketty et de Jorion à introduire un facteur qui limite les grandes fortunes. Pour cela, j’introduis un « statut » « S » des acteurs suivant un peu les indications sur Aristote que donne Paul Jorion dans sa vision de l’établissement des prix, vision éloignée de la simple loi de l’offre et de la demande.
Ce statut est défini comme S_i=K_i/(K_i+Kmoyen). Ce type de fraction dit que le statut passe progressivement d’une valeur inférieure à ½ pour les pauvres (K~Kp < Kmoyen) à une valeur supérieure à S=½, voire tendant vers S=1 pour les riches.
C’est ce statut S dont vous voyez la répartition (histogramme continu) dans le petit encart à fond ocre du panneau en bas à droite (tous les films l’ont).
Je viens avec ce chiffre S biaiser la probabilité de gain des plus riches, d’une façon soit Gattaz-ienne, soit Piketty-enne.
Rebelote, quelques lignes de maths :
Je remplace pour ce faire RAND, le nombre aléatoire entre -1 et 1, par :
RANDS=RAND – (1+RAND)*cPik*S . Rien de diabolique : (1+RAND) est un nombre compris entre 0 et 2, et ajouté à un nombre compris entre -1 et 1 de façon corrélée, il ne fait varier que la borne supérieure. Avec ce choix de signe, cPik est un nom évocateur pour le coefficient qui « Piketty-ise » la fortune et limiter l’impact des riches : plus S s’approche de 1, plus on bride la probabilité de gain. En termes plus explicites, La somme mise en jeu étant fixée (alpha*(K_i_Kp)), le coefficient qui est choisi chaque jour est en équipartition sur une gamme [-1, 1-2*cPik*S]. Cela tend dans le cas extrême des plus riches (S=1 à la limite) vers l’intervalle [-1, 1-2*cPik], dont la moyenne est -cPik. Tandis que pour les pauvres (Smin<1/2), l’intervalle est [-1,1-2*cPik*Smin], intervalle qui peut donc être plus favorable. Le fait qu’on ne retourne jamais exactement à [-1,1] n’est pas très grave, puisqu’il se fait alors certes qu’au total, il y aura un peu de pertes, en moyenne. Mais comme nous « normalisons » la moyenne à 1000 chaque jour, cela correspond in fine à un peu de redistribution, on risque plutôt de remonter un peu ceux qui s’approchaient du seuil de pauvreté, c’est bien ce que doit faire une politique sociale tout à fait basique.
Enfin, pour rendre compte dans le même modèle du cas de figure cPik<0 (c’est-à-dire de l’effet Gattaz renforcé) sans que le comportement diffère trop au bas de l’échelle de fortune, j’ai mis un frein à la pauvreté. En effet, la tendance globale dans ce cas est de faire perdre les pauvres. Le franchissement de la barrière de pauvreté, c’est à dire le fait de se retrouver à K<Kp=400, peut se faire notamment par la normalisation forcée à 1000 : si par exemple on se retrouve à 401 après l’échange du jour mais que la normalisation faite sur la base d’une somme totale inflige une baisse de -0.5% à tout le monde, ce qui est possible si un seul très riche a gagné gros, cela fait une variation de -2 en partant de 401, et l’on passe donc à 399. Pour éviter le cumul d’une dérive dans ce sens, j’interdis les montants inférieurs à Kp avant normalisation, en utilisant K(D)=sup(K(D-1)+Kex_*RANDS,Kp). Après normalisation, on peut être juste sous le seuil, et il faut alors attendre une fluctuation de normalisation dans l’autre sens pour repasser Kp et rejouer au loto. On vérifie dans tous les cas sur la simulation elle-même que les effets de bords qui surviennent ainsi autour de Kp sont neutralisés.
L’important ici est surtout qu’on va pouvoir endiguer la croissance indéfinie des grandes fortunes, et les chocs négatifs qu’elle apportait. Mathématiquement, on pourra bien sûr jouer au jeu inverse, à savoir amplifier le bonheur des riches en prenant un coefficient cPik négatif. De cela, chacun connait l’idée suivant l’adage connu, « on ne prête qu’aux riches », ce qui leur permet de s’enrichir encore plus.
Ce décor étant posé, on peut faire trois choix qui montrent notre « découverte médicale », laquelle dit pour l’essentiel qu’une petite dose de rabot suffit à éviter les catastrophes de grippage. De quoi faire réfléchir !
Je dois expliquer, comme je l’avais promis, que l’exemple du billet précédent de N=12 acteurs sur un temps court (2 000 jours) avait déjà été « Piketty-isé », mais que je ne l’avais pas explicité. Pourquoi ? Pour faire voir les choses « comme on les attend naturellement », et vous faire rentrer, lecteur, dans une représentation « gentille » de l’inégalité : « oui, il y a des riches, ils sont pas mal riches, mais bon, vous voyez, pas de quoi faire un drame ». Et ce choix psychologique que j’ai fait nécessitait de brider fortement l’envie d’enrichissement séculaire de mes 12 acteurs, ou bien d’attendre de mon ordinateur une série aléatoire particulièrement malchanceuse pour eux et leur évitant les affres de l’hyper-richesse. Ce qui commençait à pointer le bout du nez dès la fin du billet précédent.
Maintenant regardons le mécanisme de bridage, mais sur la grande population de N=3600, bien plus parlante.
Commençons en effet par le cas où cPik=0,01 seulement. Autrement dit les hyperriches de statut S=1 sont bridés à une probabilité de 0.98 et doivent rendre 1% de leur « mise quotidienne » en moyenne. Cela semble beaucoup si c’était demandé de but en blanc, mais n’oublions pas que ces chiffres aléatoires sont pris « par jour » et non par mois ou par an pour être parlants. Si on regarde à l’échelle de 100 jours (un trimestre), cela correspond à … 10% seulement (les probabilités ne s’ajoutent pas, leurs carrés s’ajoutent, les « variances » pour des évènements indépendants ; tout comme les 6% mis en jeu chaque jour, mais qu’il faut projeter sur plus longtemps pour voir que ce n’est pas surréaliste, j’y ai fait allusion dans le premier billet), c’est un peu plus en ligne avec ce qui arrive à une grosse société, un impôt de 40% en cas de très gros gain (du moins quand il n’y a pas d’optimisation fiscale par l’utilisation des règles adéquates dans les différents pays par filialisation judicieuses croit-on savoir ces temps ci).
Le résultat (avec 1% de bridage des riches) qu’on voit ci-dessous est en effet lisse : il n’est maintenant affecté que de seulement quelques petites turbulences juste visibles, mais il ne « crashe » plus du tout, ou pas dans des temps longs d’échelle raisonnable. L’inégalité est en effet bridée, et les « gros coups » sont limités en impact.
Certes les 1% gagnent en gros six fois plus que la moyenne (6000$$), et 15 fois plus que le seuil de pauvreté (400 $$), mais au-delà d’eux, les vraiment riches plafonnent en dessous du plus chanceux d’entre eux, soit à moins de 200 000 $$. Correct pour un Bill Gates si l’on veut.
Si on veut forcer la dose, raboter à l’os tout ce qui ressemble à un rentier, et se faire « hyper-scandinaves », utilisons cPik=0,075, 7,5 fois plus fort qu’avant. Autrement dit nous bornons l’espérance de gain des plus riches (S=1) à 1-2*cPik=0,85 au lieu de 1 pour mémoire.
Voici le résultat :
On obtient un coefficient de Gini bien bridé à G=0,19, les 1% qui gagnent deux-et-demi fois plus que les 50%, on est comme attendu plus suédois que nature dans ce cas-là.
Pour finir en beauté, désinhibons-nous ! Tel le Gattaz qui sommeille en chacun d’entre nous, autorisons-nous de favoriser ces malheureux riches en faisant en sorte que les déjà riches le soient plus encore. Piketty donne l’exemple des 800 et quelques universités américaines : elles ont des comptes publics tout à fait accessibles et ont presque toutes du capital en gestion. Le résultat, sans surprise mais sans appel, montre que plus on a de capital, plus on lui trouve un bon taux d’intérêt. Et ce notamment grâce à une bonne gestion de fortune, fût-elle payée au prix fort : Harvard débourse par exemple de l’ordre de 100 millions de $ pour gérer sa colossale fortune de 30 milliards de $ (!), parvenant à obtenir des rendements >9%, la fac suivante, bien moins riche, étant à 7-8% « seulement ».
Voilà donc comment on peut appliquer dans le sens qu’on souhaite notre remède de « Piketty-isation » des fortunes. Et dans le sens de l’augmentation des hyperriches, cela produit une petite explosion de la civilisation par le capitalisme débridé, au fond pour pas cher, n’est-ce pas, alors à vot’ bon cœur m’sieurs dames !
Un coefficient de Gini haut et fort, au fil seulement interrompu par quelques malencontreuses tentatives de ré-enrichissement de la base mais qui sont plutôt rapidement « réprimées » (1 ou 2 ans), tel est le résultat qu’on observe. Une vie crépitante vous dis-je ! Toute coïncidence avec des printemps kalmouks, baloutches ou chiapaneco est bien sûr involontaire.
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