Retranscription de Assez réfléchi, agissons !, le 19 décembre 2019. Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le jeudi 19 décembre 2019 et, aujourd’hui, la vidéo s’intitulera « Assez réfléchi, agissons ! ».
Hier, le Congrès, la partie du Congrès qui est la Chambre des députés aux États-Unis, a voté l’impeachment de M. Donald Trump. M. Donald Trump, un personnage spécial qui s’est présenté comme défendant le petit peuple contre l’oligarchie. C’est un escroc. Il a été puni pour escroquerie. L’argent qu’il a fait, c’est soit en roulant d’autres personnes, soit en recyclant de l’argent sale qui lui venait probablement de Russie et d’autres pays. Il s’est présenté comme un ami du Peuple et a emmené avec lui un certain nombre de gogos.
Alors, pourquoi est-ce que ces gogos ont été emmenés par ce bonhomme ? Parce qu’il a dit : « Je suis l’ami du Peuple ». Alors, quand on leur dit : « Et alors, vous l’avez cru ? Il ne l’a pas dit ? Si, il l’a dit. Vous ne saviez pas que c’était un escroc ? Vous ne saviez pas que c’était un type… un sociopathe qui ment systématiquement ? ». Il a fait 10 000 mensonges en public depuis qu’il est élu. C’est un type qui ne pense qu’à un truc : c’est à faire sonner le tiroir-caisse. C’est un type qui ne pense qu’à une seule chose, à s’enrichir et s’il est président de la république – un truc auquel sa femme ne croyait pas, enfin, il y est arrivé quand même, il y est arrivé parce qu’il y a beaucoup de gogos, parce qu’il y a des gens à qui il suffit de dire : « Je suis l’ami du Peuple ! » pour qu’ils le croient.
Hier, il a subi une première défaite. Il faudrait qu’il en subisse une seconde au Sénat pour qu’on se débarrasse de ce personnage qui a un pouvoir de nuisance tout à fait extraordinaire, en particulier parce qu’il a la capacité de convaincre des gogos qui le suivront, qui croiront aux bobards qu’il raconte ou qui, s’ils ne le croient pas, considèrent que c’est quelqu’un qui va remettre de l’ordre, qui va faire « du balai », quelqu’un… C’est triste. Il y a des gens qui suivent quelqu’un simplement parce que cette personne a la capacité de se fâcher, de se mettre en colère, un sentiment que, chez eux, ils ont dû faire taire pour pouvoir survivre. Alors, ils admirent ça. Ils admirent les caractériels. Ils admirent les pervers narcissiques parce qu’ils ont quelque chose qu’eux n’ont pas. Et puis, ce sont des gens qui vont leur dire aussi : « Vous êtes de la merde ? Oui, je suis d’accord avec vous mais regardez autour de vous. Il y a encore de la pire racaille que ça ». Voilà. Et ça suffit à ces malheureux de se refaire un petit semblant de respect de soi pour reprendre leur vie en main.
Alors, ce monsieur a subi une première défaite. Il faut que cette défaite soit confirmée. Ça ne veut pas dire que tous les gens qui ont voté contre lui non plus ce soit, eux aussi, nécessairement, des « amis du Peuple ».
Mais on ne peut plus se permettre, avec les menaces qu’il y a sur nous… Regardez un peu les cartes de température de l’Australie ces jours-ci. Ils n’ont plus assez de nuances de rouge pour mettre là-dessus. C’est un continent qui va se dépeupler entièrement. Si vous avez raté ça, il y a eu une journée où la température moyenne pendant toute une journée en Australie a été au-dessus de 40°C. C’est un truc qui ne va pas durer. Il n’y a pas énormément de gens en Australie. On pourra les recaser ailleurs mais le problème va se reposer ailleurs. Donc, on n’a plus le temps de tellement réfléchir. Il faut faire des choses maintenant. Si on perd encore son temps à aller voter pour des démagogues, pour des Trump ou des Boris Johnson – encore que Boris Johnson, comme je vous l’ai dit, il a quand même quelques belles manières, il parle bien parce qu’il a été élevé par des parents qui étaient des gens sortables, ce qui n’est pas le cas malheureusement pour Trump.
Ce n’est pas une raison. Ce sont des démagogues. Ce sont des gens qui vous vendent n’importe quoi et simplement pour encore faire leurs affaires personnelles. Alors, on n’a plus le temps pour ça. Il faut se concentrer sur ce qu’il faut faire.
La difficulté, c’est de se faire entendre et de se rassembler. J’y ai repensé hier, c’était hier soir. J’avais regardé le film, j’avais terminé de regarder American pastoral, cette histoire qu’avait écrite Philip Roth sur une famille comme il faut, de gens qui ont tout fait ce qu’il fallait pour leurs enfants. Ça paraît irréprochable et puis la fille commence à mettre des bombes parce qu’elle est écoeurée par la guerre du Vietnam. Pendant toute l’histoire, son père pense qu’elle a tué un bonhomme et quand il la retrouve, il lui pose quelques questions et, en fait, il est dévasté de voir qu’elle en a encore tué trois de plus.
Voilà, ça, c’est American pastoral : les meilleures intentions du monde peuvent encore déraper entièrement. Qu’est-ce que j’ai regardé par après ? Oui, ça n’a aucun rapport : Trans Europ Express de Robbe Grillet pour le plaisir de voir à nouveau Jean-Louis Trintignant dans un film.
Bon, un autre film : ce n’est pas du tout ça que je voulais vous dire. J’ai repensé à un autre film hier, j’ai pensé à un autre film. Ça s’appelle Total Recall avec Schwarzenegger, inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick qui s’appelle « We can remember it for you wholesale » : on se souviendra de tout ça pour vous à un prix de gros.
Le film a été appelé… Il y a eu deux films. Je n’ai pas vu le second. Ils ont tous les deux été appelés « Total recall » : « Rappel total », un jeu de mots intéressant sur le fait qu’effectivement, on peut rappeler des bagnoles parce qu’il y a un défaut de fabrication mais aussi, on peut se rappeler entièrement de quelque chose. Voilà, le jeu de mots marche en français aussi.
Et alors, c’est quoi l’histoire ? C’est un type qui voit qu’il y a une firme qui vend des souvenirs implantés. On va implanter dans la tête des souvenirs et, comme ça, vous pouvez faire des vacances de rêve, etc. On va vous mettre ça et vous serez convaincu que ça s’est passé vraiment. Et alors, il va là. Il remplit un questionnaire. On lui demande « Quel genre de femmes vous aimez bien ? », etc.,« Quel genre d’aventures vous voulez avoir ? » et puis, tout à coup, il y a une espèce d’attentat et l’expérience rate. On ne peut pas aller jusqu’au bout de l’implant et il se retrouve dans la vie avec, en fait, ce qu’il avait demandé et, nous, on ne saura jamais, le spectateur, et Philip K. Dick ne le savait sans doute jamais non plus : il n’avait pas pris la décision. Est-ce que le gars reçoit ce qu’il a acheté ou bien, est-ce que c’est le monde qui commence à déconner complètement ? Toujours est-il qu’on s’amuse bien. Il finit par être à la tête d’une révolte sur la planète Mars et il finit… il relance une expérience qui était en réserve de terraformation, de rendre la vie possible sur la planète Mars. Donc, c’est pas mal : pour ce qu’il a payé, il en a eu pour son fric. Vraiment, il en a eu pour son fric.
Pourquoi est-ce que je repensais à ça ? Parce que je repensais en rigolant au fait que, Vincent Burnand-Galpin et moi, nous sommes en train de terminer – et on n’est vraiment pas loin d’avoir terminé – un bouquin qui s’appellera : État d’urgence : comment sauver le genre humain.
On n’est pas Schwarzenegger ni l’un ni l’autre [rires] mais on se trouve dans la même situation d’être devant une tâche on ne va pas dire « impossible » parce que sinon, ce n’est pas la peine d’écrire le bouquin, mais une tâche titanesque pour dire quelque chose, de se retrouver à dire : « Voilà, on va vous dire comment sauver le genre humain dans notre bouquin ». Ça, ça ressemble à du cinéma. Ça ressemble à des films du genre de ceux qui ont été inspirés par les livres de Philip K. Dick.
Et là, je me suis posé… J’avais le temps, un peu avant de m’endormir, de réfléchir à comment est-ce qu’on en arrive-là ? Eh bien, on en arrive là quand même en ayant l’impression d’avoir les moyens de pouvoir écrire ce genre de livre sans apparaître complètement ridicule. Et qu’est-ce qu’il faut pour ça ? Et c’est là qu’une toute petite réflexion 5 minutes avant de s’endormir suffit amplement. Il suffit d’avoir été viré de son boulot à tout moment et il suffit d’avoir, qu’il y ait eu que le boulot qu’on faisait, c’était du genre tuer un dragon. Voilà. Et une fois que vous l’avez tué, on vous disait : « Ah oui, mais c’est pas… Oui, d’accord, c’est bien, c’est une bonne idée mais en fait, c’est pas ça qu’on vous avait demandé. On vous avait demandé aussi la quadrature du cercle et le truc vraiment important, c’était la quadrature du cercle ». Ce qui fait que vous vous retrouvez « sur le marché de l’emploi » comme on dit. Les gens, à côté, ils savent quand même que vous avez tué le dragon chez le voisin qui, lui, ça ne l’intéresse plus trop maintenant que c’est fait et qui vous embauchent, et on vous dit : « C’est juste un dragon. Il est à peine juste deux fois plus gros que celui que vous venez de tuer à côté », etc.
Ça vous forme quand même. Ça m’est arrivé, je ne sais pas, 5-6 fois. Je ferai un jour la liste. Et donc, vous apprenez des tas de choses. L’autre jour, je me suis un peu énervé contre une dame qui me dit : « Vous ne pouvez quand même pas être un bon psychanalyste si vous êtes un grand spécialiste de la finance » et je dis : « Madame, figurez-vous (je n’ai pas dit ça comme ça mais je peux vous le dire à vous) que je n’ai pas passé beaucoup de temps devant les billards électriques. Je n’ai pas passé beaucoup de temps à regarder les matchs de foot. J’ai utilisé ce temps-là à apprendre des choses et, au bout d’un moment, on peut, oui, effectivement, quand on a 73 ans, avoir été un pionnier de l’intelligence artificielle, avoir été un pionnier de la finance automatisée dans les banques. On peut toujours être un bon anthropologue puisque c’était ça qu’on était au départ ».
Vous vous souvenez peut-être, si vous étiez là au tout début du blog, quand, au bout d’un moment, j’ai fait un papier sur l’anthropologie et une dame furieuse m’a dit : « Parlez plutôt des choses que vous connaissez ! » et que j’ai dit : « Madame, ça, c’est mon vrai métier. La finance, c’est un truc que j’ai dû faire sur le côté ! ».
Voilà. Alors, on se retrouve pas mal équipé. On peut, sans passer pour un zozo auprès de l’éditeur, proposer un titre comme « Sauver le genre humain » et que la maison d’édition ait regardé le manuscrit et dise : « Oui, ça a l’air vraiment très très bien ». Mais, on est un peu… on ne peut pas être seul. On ne peut pas continuer à être seul. Vous êtes gentils. Vous regardez ma vidéo. Vous êtes un certain nombre à vous abonner sur mon site mais on n’est pas… on ne fait pas une masse critique.
Je critique les initiatives sympathiques. Ce n’est pas que je dise aux gens qu’il ne faut pas cultiver des courgettes sur votre balcon. Je reproche aux gens qui me disent : « Moi, je fais ma part de colibri, je fais des courgettes sur mon balcon. Les autres n’ont qu’à faire le reste ». Non, c’est sympa, c’est gentil. Si vous habitez une grande ville, il vaut mieux ne pas les manger vos courgettes : elles sont probablement empoisonnées par les trucs qu’il y a dans l’atmosphère.
Si vous habitez Paris, ne mangez pas vos courgettes sur le balcon, mais le problème n’est pas là : c’est qu’il faut une masse critique. On me dit : « Oui, mais vous le dites vous-même, il n’y a pas de science économique ». C’est pour ça que j’ai apporté quand même un certain nombre de trucs. J’ai bâti moi-même, au fil des années, une alternative à la « science » économique. J’ai l’outil qu’il faut. L’ennui pour moi, c’est que je dois non seulement dire qu’on peut foutre au panier tout ce qui a été fait sous le nom de science économique mais je suis obligé aussi de dire que c’est pas ce qu’on trouve chez Karl Marx qui va nous sauver la mise non plus. Je suis obligé de dire – et là, je perds encore un certain nombre de gens chaque fois que je le dis – j’ai produit, en matière de réflexion sur l’économie, quelque chose de plus radical et de plus cohérent, et de plus à gauche que ce qu’on trouve chez Karl Marx. Parfois, je suis obligé de rappeler tout ce qui est faux chez Karl Marx et pourquoi, du coup, l’ensemble ne fonctionne pas.
Alors, qu’est-ce que j’ai produit ? J’ai produit d’abord, et ça, c’est un petit livre (Le prix, Le Croquant 2010) qui est fait d’un recueil d’articles, des choses que j’ai faites au début, en particulier dans la revue qui s’appelle « La revue du MAUSS », une série d’articles que j’ai faits et que j’ai rassemblés et j’en ai fait un vrai livre. Voilà, ça se lit comme un vrai livre. J’ai mis le ton nécessaire pour que ça n’ait pas l’air d’être des articles collés les uns à la suite des autres et j’ai eu la surprise, quand j’ai voulu appeler ce livre : « Le prix », qu’il n’y avait jamais eu, à ma connaissance, un livre consacré au prix. Pourquoi ? Parce que M. Cournot a dit aux environs de 1830 [1838] : « Eh bien le prix, c’est la loi de l’offre et de la demande » et que même des vieux pêcheurs de 80 ans que j’ai vus, ils ont dit – alors qu’ils savaient comment un prix se forme parce qu’ils avaient passé toute leur vie à se battre pour créer un prix contre les conserveurs ! – et quand je dis : « Comment ça marche un prix ? », on me dit que c’est la loi de l’offre et de la demande, et je dis : « Mais dans tes carnets de pêche, 2 jours sur 3, il est marqué « Taxation », ce qui veut dire que ce n’est pas l’offre et la demande ! ».
Voilà, le livre Le prix » essentiellement à partir de données de terrain, de données de ma réflexion parmi les pêcheurs bretons à l’époque où j’ai fait ça, la pêche en Bretagne, plus les réflexions qui me sont venues sur les marchés improvisés sur les plages africaines où j’ai travaillé pour les Nations-Unies, là aussi, un certain temps. Et puis, m’apercevant, quand on me fait venir dans la finance, qu’on me dit : « Allez-y ! » et que j’y vais, découvrir que la formation des prix sur les marchés financiers, c’est encore la même histoire que j’ai vue dans les criées en Bretagne, que j’ai vue sur les plages en Afrique et que je vois maintenant dans les banques.
Alors, j’ai continué à réfléchir. Merci à vous qui m’avez dit que les banques commerciales créent de l’argent. Je sortais d’avoir travaillé 12 ans dans des banques américaines où on prête de l’argent et on se serait bien accommodé de l’idée que l’argent, on pouvait le créer soi-même plutôt que de devoir l’emprunter quelque part [rires]. Je savais, par une pratique de 12 ans dans la salle des machines des endroits où on prête de l’argent, que si on pouvait le créer, on le ferait et que si on ne le crée pas, c’est parce que ce n’est pas possible. Voilà. Mais ça, ça fait partie non seulement d’une propagande d’extrême-droite que même, malheureusement, l’extrême-gauche relaye parfois. Ça fait partie même… On m’a montré un article publié par la Banque d’Angleterre où on répète ce bobard. Ça fait partie de l’enfumage. Pourquoi est-ce qu’on dit aux gens ça ? Je l’explique dans le bouquin. C’est parce que les banques sont effectivement – et M. Cantona le sait parfaitement – elles sont tout à fait vulnérables.
Les banques sont tout à fait vulnérables au fait qu’il y ait une panique bancaire et que les gens viennent réclamer leur argent.
Si on leur raconte que le jour où elles ont un problème, les banques peuvent créer l’argent de toute manière parce que c’est une question d’écriture : c’est « un jeu d’écriture », ça rassurera les gogos une fois de plus et l’idée de la création monétaire, ça les arrangera de deux manières : d’abord, ils pourront dire que les banquiers sont des filous parce qu’ils vous demandent des intérêts sur une somme qu’ils ont créée de toute pièce. Non, malheureusement, s’ils vous demandent des intérêts, c’est souvent parce qu’eux-mêmes paient des intérêts sur la même somme mais ils paient moins, bien entendu, sinon, ils ne le feraient pas. Et ça arrange aussi les gens. Non seulement, ça les arrange parce qu’ils ont un ennemi facile à désigner mais aussi parce que ça les rassure que leur argent est en sécurité dans la banque, laquelle créera de l’argent si nécessaire. Voilà.
Alors, au passage, j’ai expliqué comment ça marche l’argent. [P.J. montre son livre L’argent, mode d’emploi – 2010] Il y a la réflexion qui vient d’un certain nombre de personnes comme d’Aristote. Il y a surtout mon expérience, effectivement, de 12 ans dans la salle des machines des banques où on sait qu’on ne crée pas de l’argent mais on sait comment ça fonctionne en réalité.
Alors, j’ai voulu compléter ça en prenant le meilleur sans doute des économistes contemporains : Penser tout haut l’économie avec Keynes (2015). J’ai repris ça. Il y a un peu de la biographie de Keynes au départ. J’explique en fait que, chez lui, sa vision est complètement distordue par le fait que c’est un spéculateur fou. C’est dans le sang chez lui et que lui, il raisonne comme si tout le monde était un spéculateur. C’est bien qu’il était un spéculateur si on se place du point de vue de ses copains de Bloomsbury [rires], ses copains artistes fauchés qu’il a abondamment subventionnés grâce à ses spéculations. Tant mieux pour eux ! Mais c’est surtout que Keynes, qu’est-ce qui a fait la qualité de Keynes comme économiste ? C’est le fait qu’il n’avait aucune formation dans ce domaine-là. Je le souligne toujours. Il n’a pas une formation d’économiste. Il a suivi 8 semaines à Cambridge. Il a suivi un cours d’économie une fois qu’on l’avait nommé économiste. Pourquoi est-ce qu’on l’avait nommé économiste ? Parce qu’Alfred Marshall voulait nommer son père comme assistant et puis le père de Keynes était un type qui a préféré faire une carrière dans l’administration de l’Université de Cambridge et Alfred Marshall remet ça à la génération suivante et il nomme le fils qui, lui, s’est présenté pour une bourse qu’il n’a pas eue et le fils dit oui. Et comme il est extrêmement arrogant, comme il a un bon diplôme de mathématiques et que, quand on est un étudiant à Cambridge, même quand on a fait des maths, on a une bonne formation générale parce qu’on va quand même vous bourrer de philosophie et d’histoire des sciences, etc. Ce type, après, Keynes, il réfléchit à partir de zéro. Sur la plupart des problèmes, il trouve une bonne solution. Il retombe accidentellement sur Aristote le cas échéant et, tout de suite, il passionne un petit groupe d’étudiants autour de lui comme Piero Sraffa, qui lui échappe au fascisme mussolinien. Robinson ? J’oublie toujours le nom de la dame fameuse qui a été son meilleur étudiant [Joan Robinson].
Et du coup, il dit aux étudiants : « Tiens, la semaine prochaine, on parlera de ça. Est-ce que vous pouvez préparer quelque chose ? » et alors, ils se réunissent, ce petit groupe de petits génies, et les petits génies lui font son cours de la semaine suivante. Et comme lui, il n’est pas bête du tout, il remet encore un peu d’ordre là-dedans et il devient le plus grand économiste du XXe siècle grâce essentiellement au fait qu’il n’a pas la formation dans la science économique, grâce au fait qu’en particulier, il n’a jamais rien lu de M. Marshall qui l’a nommé à son poste et qui est, lui, considéré comme l’un des grands fondateurs de l’économie néo-classique.
Alors, le problème, mon problème, c’est que le truc [montre ses livres, L’argent, mode d’emploi, Le prix, Penser l’économie avec Keynes] … ça vous fait une excellente formation en science économique. Le mot « science », dans l’expression, cette fois-ci, on lui enlève ses guillemets. C’est vraiment… c’est dans la logique de la science.
Alors, où est-ce qu’on enseigne ça ? Eh bien absolument nulle part ! Moi, j’en parle quelquefois dans les conférences que je fais. Je fais pas mal de conférences, c’est vrai. Je touche à la fois 100-150, mille personnes quand c’est possible. Je parle d’autres choses dans mes conférences. Je parle de la menace d’extinction. On me demande de parler de mon expérience de pêcheur éventuellement, des choses de ce type-là. On me demande de parler de plein de choses.
Pourquoi est-ce que ça ne s’enseigne pas dans les universités ? On pourrait dire : « Les universités pourraient enseigner ça ». On a fait l’expérience. On a fait l’expérience deux fois dans les 6-7 dernières années. Deux fois, on m’a demandé de donner des cours, d’expliquer comme c’était, comment ça marchait vraiment et je l’ai fait. Et qu’est-ce que ça donne ? Ça donne des parents d’élèves qui viennent se plaindre en disant : « Écoutez, dans votre faculté, il y a – je vais dire un chiffre au hasard – 8 professeurs qui disent un truc et puis il y en a un qui dit le contraire. C’est lequel qui a raison ? ». Alors, mettez-vous à la place de la personne qui s’occupe de cette université. Qu’est-ce qu’il va faire ? Il va se débarrasser des 8 et il va demander à l’autre de donner tous les cours à la place de tout le monde ou bien il va dire à l’autre : « Écoutez, on va plutôt peut-être s’arranger autrement, etc. », dans le cas où on ne vous vire pas purement et simplement !
Il faut une masse critique. Il faut absolument une masse critique. Comme ça, ça ne marchera pas. M. Jacques Attali avait eu l’amabilité de dire en 2008 : « On va virer tous les profs et on va vous demander à vous de venir ». C’était gentil. J’ai cru même que ça avait une certaine vraisemblance, qu’au moins à UN endroit on m’offre de donner cours mais non. Mais non, on préfère serrer les rangs. De plus, j’y ai fait allusion tout à l’heure. Il y a une « opposition officielle » aussi. Il n’y a pas simplement que… Il n’y a pas que les gens en poste. Il y a aussi une opposition officielle.
Il n’y a pas de place pour un discours complètement alternatif ! Comment ça se passe dans ces cas-là ? Ça prend 50 à 100 ans. Il faut que ça percole parmi les étudiants, petit à petit, les gens qui vous ont écouté. Il faut que, tout à coup, une initiative soit prise comme une université populaire où on ne fera que ça. On essayera d’en faire une alternative. Il y a encore d’autres trucs. L’autre jour, je me suis engagé à faire une formation de plusieurs jours pour la CGT et qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne peux pas y aller. Pourquoi ? Parce qu’il y a une grève des trains que la CGT dirige et qu’elle a bien raison de diriger [rires] mais qui fait que je ne peux pas encore aller donner des cours.
Alors, il faut trouver le moyen. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Est-ce qu’il faut faire des cours en ligne ? Est-ce qu’il faut faire une université populaire ? Est-ce qu’il faut mettre plus qu’une seule personne là-dessus ? Probablement. Il faut rassembler et le moment est venu d’arrêter de réfléchir et d’agir parce que si on n’agit pas maintenant, on ne pourra jamais. C’est maintenant qu’il faut le faire ! C’est maintenant que ça passe ou ça casse !
On a eu une bonne nouvelle hier, l’impeachment de Trump mais, voilà, une hirondelle ne fait pas le printemps. Il faudra encore transformer l’essai. Tout n’est pas décourageant, tout n’est pas décourageant. On va pouvoir mettre l’intelligence artificielle à essayer de résoudre un certain type de problèmes, etc., mais il faut qu’il y ait un mouvement : il faut que vous, en particulier, fassiez, disiez autour de vous qu’il y a une demande pour ça !
Ça m’est venu, cette vieille expression qui est une bonne expression. J’ai fait ça un peu, moi, à différents moments dans ma vie. Quand je deviens pêcheur, ce n’est pas pour apprendre aux pêcheurs comment faire leur métier. C’est dans cette perspective qui est celle de cette époque-là, et qui ne date pas de ce moment-là. Ça date… De qui ça date ? Je crois des nihilistes, des jeunes nihilistes russes.
L’intellectuel qui va se mettre au service du peuple, mais il faut encore que le peuple… que ça intéresse le peuple. Quand je vais chez les pêcheurs de Houat, je peux le dire malheureusement en partie parce qu’il n’y en a plus beaucoup, parce que cette communauté dans laquelle j’ai vécu, elle a entièrement disparu. Mais je tombe sur des gens qui ne sont pas particulièrement réceptifs à ce que je pourrais leur dire, des gens qui sont dans ce que Bourdieu appelait à juste titre l’auto-exploitation, des gens qui prennent des tas de décisions à l’encontre de leurs intérêts, des gens qui admirent la structure sociale hiérarchisée dans laquelle ils sont pratiquement au dernier échelon, qui trouvent que c’est bien que ça marche comme ça.
Le peuple n’est pas encore à dire : « Prenez la chaise, asseyez-vous et je vais vous écouter parce que c’est très important ! ». Non ! Il faut maintenant qu’il y ait un engouement pour une véritable réflexion. Il faut un engouement pour une alternative à la « science » économique. Si vous regardez, je ne sais pas, sur Amazon, à quel rang se trouve ce bouquin [Le prix] dans les ventes, il doit se trouver… je dis un chiffre au hasard : 300.000e ou 400.000e [12/1/2020 : 160.230]. Celui sur Keynes, c’est peut-être encore pire [12/1/2020 : 221.026].
On est très très loin que la boîte à outils dont on a besoin ne devienne la boîte à outils dominante, celle que la plupart des gens utilisent ! C’est encore nulle part ! Aucun de ces livres n’a été traduit en anglais, ni en aucune autre langue. Il n’y a pas de demande ! La demande, c’est vous ! C’est vous qui devez la créer ! Quand je dis qu’il faut faire une université populaire, il faut que vous vous mettiez d’accord entre vous, avec moi bien entendu, mais il faut qu’il y ait une initiative qui vienne de là ! C’est gentil quand vous me dites : « Venez faire une conférence, etc. J’ai un petit groupe d’amis, etc. », c’est bien, je le fais ! Mais je ne touche encore que 100 personnes à la fois et combien, on le voit après, les gens sont enthousiastes, c’est formidable, il y a le libraire du coin qui a mis son petit stand et ces livres-là, à la fin de la conférence où j’ai eu, disons, 300 personnes enthousiastes, il y en a combien qui vont acheter ce livre-là ? [montre Le prix] C’est entre 0 et 1. Même chose pour les deux autres.
On n’est encore nulle part. Je me retrouve dans la situation de Schwarzenegger avec Vincent à dire : État d’urgence. Comment sauver le genre humain et si ça se trouve, le livre va se vendre aussi bien que Le dernier qui s’en va éteint la lumière [20.000 exemplaires] mais ça ne fera pas la différence. C’est maintenant que ça passe ou ça casse. C’est maintenant qu’il faut un véritable mouvement. Il faut qu’il y ait un mouvement pour créer la boîte à outils alternative à la science économique. Il faut un mouvement pour que ces idées se répandent et le temps presse.
Quand il y a le mot « urgence » dans ce livre qui va sortir, c’est pas du bidon. Ce n’est pas pour faire vendre. L’urgence est là. Regardez la carte de la température de l’Australie ces jours derniers. Comme je vous l’ai dit, on n’a pas assez de nuances de rouge pour la colorer. C’est là qu’on en est et ce ne seront pas toujours des problèmes « pour demain ». Regardez les inondations qu’on a en ce moment. On s’est plaint qu’il n’avait pas plu l’été. On est content quand ça commence à pleuvoir mais on aimerait bien aussi que ça finisse par s’arrêter aussi quand on aura rempli la nappe phréatique [rires]. On est dans un monde qui va absolument à la dérive. Si nous ne nous mobilisons pas – et quand je dis « nous », il faut vraiment que ce soit un gros NOUS, tout en majuscules – il ne va rien se passer. Si, Vincent et moi allons publier notre livre. On nous invitera un tout petit peu à la radio et puis on dira : « Il y a déjà plein de livres comme ça », etc. « Oui, mais ce que vous proposez, c’est des choses un peu autoritaires ». Mais oui, il faudra que ce soit un peu autoritaire. On n’a plus le temps pour continuer à dire quoi ? « Ah oui, on va faire passer la norme et on va mettre un horizon 2040 ». Ou alors, « Ah oui, mais les paysans ne sont pas contents alors on va plutôt mettre 2050 ». 2050, il n’y aura plus personne en Australie. Soyons sérieux, il faut avancer maintenant.
Comment j’ai appelé ça ? Je ne sais plus comment je l’ai appelé… « Agissons, arrêtons de réfléchir ! ». Voilà, c’est un bon titre.
J’espère que vous allez regarder. J’espère surtout que vous n’allez pas simplement vous dire : « Oui, c’est formidable ! » et me le dire quand vous me rencontrez dans la rue (ça fait plaisir bien entendu !), ou à la sortie de ma conférence…
Il faut que vous répandiez la bonne nouvelle aussi autour de vous et la bonne nouvelle, c’est que, si on ne fait rien, c’est cuit et qu’il faut réfléchir, et qu’on a besoin d’un outil comme une alternative à la « science » économique.
Donnez-moi les moyens que ça se répande !
Quand je dis qu’il faut une masse critique, s’il n’y a pas de masse critique, même au niveau de l’enseignement, les parents vont dire : « Oui, mais ce gars, il dit le contraire de tous les autres. Lesquels il faut croire ? » et on ne pourra pas faire autrement, pour des raisons économiques, que de dire : « C’est les autres qui ont raison et lui, il se trompe », ou alors on ne dira rien mais on s’arrangera pour que les parents ne se retrouvent pas là avec la contradiction qu’ont soulevée leurs enfants.
Voilà, allez, on continue la réflexion. On essaye surtout de se mobiliser, c’est ça qu’il faut faire maintenant. Il y a moyen de le faire. Faisons-le et pas le mois prochain, dans 3 ans… Non, c’est maintenant. C’est demain. C’est même avant Noël.
Allez, bonnes fêtes quand même. Au revoir.
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