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C’est la peur d’avoir peur, le fléau de notre époque, qui conduit à la paralysie plutôt que la peur elle-même.
Dépêche AFP : « Le Parlement européen a décrété jeudi 28 novembre l’urgence climatique et environnementale, un vote symbolique pour maintenir la pression sur les dirigeants de l’UE à l’approche de la COP25 sur le climat et avec l’arrivée d’un nouvel exécutif européen. La résolution, adoptée à une majorité confortable (429 pour, 225 contre et 19 abstentions), affirme l’engagement du Parlement pour « limiter le réchauffement de la planète à 1,5ºC et éviter une perte massive de biodiversité ».
« Ces décisions auront un impact réel sur la vie quotidienne des Européens. Il y a urgence à agir, mais pas un état d’urgence à déclarer », a réagi Peter Liese au nom du PPE, qui plaidait pour l’utilisation d’un terme qui ne donne pas l’impression de « panique ». »
Celui ou celle qui lance l’alerte aujourd’hui devant la menace d’extinction de l’espèce humaine se voit en effet immédiatement opposer un barrage par les pompiers de l’émotion intervenant en urgence : « Arrêtez! Vous ne vous rendez pas compte que vous allez faire peur aux gens!« , comme si entre le risque de disparition de l’humanité et le risque de faire peur à quelqu’un, le choix était clair. Comme si la peur était juste un résidu d’un autre âge, dénué de la moindre justification, une abomination dont il faudrait débarrasser l’humanité une fois pour toutes! Comme si la peur n’était pas ce qui nous alertait, et mobilisait nos énergies pour tenter de résoudre les problèmes devant nous!
Avoir peur et avoir mal met en marche
Avoir peur et avoir mal, nous alertent au fait que nous devons réagir, qu’il faut que nous sortions d’une situation où notre existence est menacée. Bien sûr, si l’on nous fait peur et qu’on nous fait mal en nous torturant, sans que nous puissions échapper à notre tourment, la situation est horrible parce qu’elle est entre les mains de notre bourreau, c’est-à-dire sans issue. Mais sinon, avoir mal ou avoir peur met en marche notre imagination et nous mène en général droit vers la solution.
Mais l’implication aujourd’hui est que la peur s’assimile seulement à la souffrance, à la paralysie, ou à la panique comme le suggère le parlementaire européen Peter Liese. Nous avons oublié que, comme toutes les espèces autour de nous, nous sommes « résilients », comme l’on dit aujourd’hui, que nous avons la capacité de rebondir devant le danger. Les médecins vont à l’encontre de notre prédisposition à résoudre nos difficultés s’ils disent: « Vous avez peur? Je vais arranger cela avec une ordonnance! »
La peur d’avoir peur est comme la peur de ne pas s’endormir qui est la première cause d’insomnie: elle aggrave les choses, elle est bien plus dangereuse que la peur elle-même car sans la peur au cœur de nous-même, notre espèce, comme l’ensemble des mammifères, des oiseaux et des poissons autour de nous, aurait disparu depuis des centaines de milliers d’années.
C’est la peur d’avoir peur, le fléau de notre époque, qui conduit à la paralysie plutôt que la peur elle-même. Délibérément ou par ignorance, ceux qui nous disent aujourd’hui « Arrêtez! Vous ne voyez pas que vous faites peur aux gens ! » rendent le pire service au genre humain: ils menacent son existence, au contraire des lanceurs d’alerte.
Paradoxalement, les réalistes sont aujourd’hui ceux qui font peur tandis que les apôtres de la peur d’avoir peur sont les nouveaux rêveurs idéalistes. Il y a une dizaine d’années, un collègue me disait à propos de sa meilleure étudiante, dont il était assez fier: « Elle dit que la crise, ça la fatigue, qu’elle préfère ne pas y penser« . Je crains que cette jeune femme n’ait pas tenu les promesses que son professeur voyait en elle.
Passivité criminelle
Le véritable risque est que le monde s’effondre demain pendant que chacun reste vissé devant l’écran de sa télévision, un joint à la bouche et une boisson alcoolisée à la main. Si la question de la survie du genre humain est effectivement insoluble, alors il vaut mieux sans doute qu’il en soit ainsi. Mais s’il existe une chance de s’en tirer, cette passivité est criminelle, car elle laisse passer ce qui est en réalité la seule opportunité qui nous est offerte.
Bien sûr l’émergence d’une espèce (plus ou moins) intelligente comme la nôtre réapparaîtrait tous les 2 millions d’années. Il suffirait de prendre son mal en patience!
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