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La peur de la peur – davantage que la peur, comme vous le soulignez de manière convaincante – est une cause majeure du déni et du refus de réagir de manière décidée face à l’urgence environnementale.
Je soupçonne qu’il existe au moins une autre cause majeure, l’idée, le sentiment ou le présupposé inconscient que l’on peut créer sa propre réalité.
Cette idée n’est que rarement exprimée avec une telle crudité, l’interpellation irritée de Karl Rove à un journaliste peu après l’invasion de l’Irak – « Nous sommes un empire maintenant, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité » – restant une rare exception. Mais elle reste là en arrière-plan, et bien souvent à la base des actions non seulement du pouvoir américain, mais de bien d’autres gens. Si elle est trop absurde pour que la conscience l’accepte ouvertement, cela ne l’empêche pas d’influencer très largement.
Or, si je peux créer ma propre réalité rien qu’en y pensant, rien qu’en choisissant de penser à certaines choses et en négligeant ce qui me dérange… alors pourquoi choisirais-je de faire face au plus inquiétant ?
A titre d’exemple, combien de personnes acceptent l’ENSEMBLE des quatre faits suivants :
- Les émissions de gaz à effet de serre, source principale quoique non unique du réchauffement climatique, continuent et s’accélèrent, alors que le réchauffement fait peser de graves risques pour la survie de grandes parties du vivant, et d’une grande partie de l’humanité – une planète « réchauffée » ne pourrait certainement pas faire vivre 7 milliards d’êtres humains
- Il n’existe aucun consensus à l’échelle des principaux producteurs de gaz à effet de serre – parmi lesquels l’UE à 28 ne compte que pour 10% – pour en limiter les émissions, bien au contraire un consensus relatif non explicite vise à les augmenter – notamment les peuples peu développés qui veulent se développer davantage
- Il n’est pas physiquement envisageable de faire fonctionner l’économie mondiale avec des renouvelables solaire ou éolien remplaçant les énergies fossiles comme pétrole gaz ou charbon, car les renouvelables ne fourniront que beaucoup moins d’énergie, et moins fiable et moins concentrée
- Le répit temporaire des conséquences du pic pétrolier provoqué par la production de schiste bitumineux – et soutenu par une série impressionnante de manigances financières – va vers sa fin
Assez peu sans doute, et encore moins parmi celles qui ont un accès à l’influence médiatique, sans parler encore du pouvoir. Même parmi les écologistes désirant agir contre les risques climatiques, tous tiennent-ils compte de la question du pic pétrolier, tous ont-ils bien assimilé ce fait qu’une civilisation technique basée uniquement sur les énergies renouvelables serait incomparablement moins riche et prospère que notre civilisation technique actuelle, tous ont-ils bien compris que même l’UE n’a qu’une influence marginale sur les émissions humaines de GES ?
Pourtant ces faits sont de l’ordre de la réalité. C’est-à-dire de quelque chose qui peut se venger, et parfois cruellement, si on le néglige.
La foi dans la capacité de l’esprit à créer sa propre réalité, supplantant les réalités désagréables, est fort répandue. Ou plus précisément plusieurs types et versions de croyances : le déni climatique, l’idée que les renouvelables résoudront la question, l’idée que les leviers sont principalement dans les mains des pays développés, le déni du pic pétrolier…
C’est que contempler l’ensemble de la réalité de l’entrée dans l’âge des limites – et quelles limites ! – a de quoi faire peur, oui.
Et que le sentiment de pouvoir créer sa propre réalité rien qu’en le croyant est fort, quoique non exprimé.
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