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Dans le cadre de la polémique qui fait rage en ce moment autour du cinéaste Roman Polanski, la militante féministe Caroline de Haas a eu un échange avec le philosophe Alain Finkielkraut lors d’un débat télévisé sur LCI. L’échange fut vif mais, faute d’avoir été mené jusqu’au bout des questions qu’il soulevait, il tourna court. Si l’on en croit bon nombre de commentateurs, il en serait ressorti principalement qu’il faut distinguer le premier degré du second, le philosophe ayant causé au premier degré tandis que la militante féministe aurait été incapable de comprendre le propos ‘philosophique’ qui se développait lui au second degré.
Il s’agirait en somme d’un banal malentendu, et l’honneur du philosophe serait sauf. Difficile à laisser passer car ce serait éluder le véritable enjeu de ce débat, le second degré présumé étant au service d’une rhétorique cachant mal l’aveuglement du philosophe quant à la réalité du viol en général et en particulier. C’est ce que dit Caroline de Haas dans son papier sur Médiapart qui prolonge l’échange commencé à la télévision.
Selon une enquête à laquelle elle se réfère, il y a 257 viols par jour en France. [J’ajouterai qu’il ne faut pas oublier que des hommes sont aussi violés, et le dire ne nuit en rien au combat féministe ; un viol quel que soit le genre concerné, demeure un viol, même si d’évidence beaucoup moins d’hommes que de femmes sont concernés par ce type de violence]s.
#MeToo a enfin débarqué en France, à travers des témoignages issus du monde du cinéma, comme aux USA, et il faut s’en réjouir, je suis personnellement convaincu du rapport existant entre #MeToo et les thèmes dont nous débattons sur le Blog de Paul Jorion. L’humanité a-t-elle un avenir si l’on ne combat pas tout ce qui contribue au maintien des structures hiérarchiques autoritaires, y compris par la plus grande violence ? Une violence qui s’exerce physiquement, mais qui est aussi souvent justifiée, ou tolérée, parce que nous employons certains mots plutôt que d’autres, et le plus souvent encore parce que nous choisissons de rester silencieux.
Finkielkraut assène qu’il y aurait une « culture du viol ». Oui il y a une culture du viol, mais pas dans le sens qu’il indique, lui qui amalgame viol, harcèlement, pornographie, et autres comportements inacceptables ne relevant pas du viol proprement dit. Le philosophe qui se fait alors rhétorique, le fait dans un but précis : minimiser la réalité du viol en général dans notre société et discréditer la parole de toutes celles et ceux qui accusent Roman Polanski – et à travers lui, de tous ceux et celles qui un jour ont à dénoncer un viol puisque c’est de lui qu’il s’agit dans le cas présent, comme s’il n’était visé que pour de ‘banals’ faits de drague incorrecte, alors que dans tous les cas ce sont bien de viols qu’il s’agit de dénoncer à travers le témoignage de femmes qui disent avoir été violées par cet homme, dont la dernière en date, Valentine Monnier, une photographe française qui s’est décidée à parler, ou plutôt à écrire dans le Parisien, même si les faits sont prescrits. Son texte limpide explique parfaitement sa démarche. Je vous y renvoie, ainsi qu’au podcast de la journaliste qui a mené l’enquête pour Le Parisien.
À noter, ce n’est pas le moindre des paradoxes, que le texte de Valentine Monnier « La vérité sortie du puits » justifie en quelque sorte le propos du film de Polanski, son « J’accuse », puisque la libération de la parole par voie de presse permet la recherche de la vérité, une vérité qui permit d’innocenter le capitaine Dreyfus. Une vérité que le cinéaste et tous ceux qui lui prêtent main forte, ne veulent ou ne peuvent pourtant pas entendre quand il s’agit d’accusations portées par des femmes visant le comportement de l’homme qui est derrière le film. Une chose est certaine pour au moins l’un des cas de viol : Polanski a reconnu les faits. Ce point est crucial. Comment dans ces conditions d’aucuns peuvent-ils user d’arguties pour nier, ne serait-ce que la possibilité que les faits dénoncés ont réellement eu lieu ? La présomption d’innocence doit être respectée mais tout aussi bien la parole de celles et ceux qui s’expriment lorsqu’ils disent avoir été violé(e)s ou abusé(e)s.
On ne peut pas dire comme par exemple l’a fait Frédéric Mitterrand qu’« on n’y croit pas », comme s’il s’agissait d’une simple affaire de croyance. La vérité est trop précieuse pour qu’on la blesse pour la recouvrir ensuite pudiquement d’une feuille de vigne.
PS. L’auteur de ce billet fut agressé sexuellement par un inconnu alors qu’il avait 17 ans.
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