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Cinq semaines après la catastrophe de Lubrizol, M Macron a fait un premier bilan tout à l’éloge de l’action de l’État et de son gouvernement. « Les services de l’État ont agi avec compétence, avec beaucoup de sang froid, beaucoup de professionnalisme » a-t-il affirmé, précisant que « toutes les enquêtes et mesures ont été conduites », et terminant sur « le travail des pompiers ‘qui n’ont pas connu la peur, qui ont permis de contenir ce qui s’est passé à Lubrizol et d’éviter des conséquences qui auraient pu être bien plus dommageables’ ».
Des déclarations présidentielles qui ajoutées à celles du PDG de Lubrizol nous assurant que « 90% des produits brûlés ont généré du carbone, et que cela est sans risque », achèveront de nous convaincre qu’il ne s’est rien passé de bien grave à Rouen. Alors, dormons sur nos deux oreilles ?
Hmm, peut-être une ou deux vérifications avant de laisser les marchands de sable officier.
Tout d’abord un point sur lequel on ne peut être que d’accord, celui du courage et du professionnalisme des pompiers. Certes des esprits chagrins pourraient s’étonner que ce corps justement louangé par le chef de l’État ait été aussi brutalement réprimé lors d’une manifestation organisée moins de trois semaines après la catastrophe de Lubrizol. Le petit bisou sur la joue après les tirs de LBD risque de laisser certains dubitatifs. D’autant plus que les pompiers sont intervenus sans protections adéquates tandis que les policiers assurant les cordons de sécurité autour de l’usine étaient équipés de simples masques en papier. La région comptant 86 sites classés Seveso dont 49 à hauts risques, on ne peut éprouver que de l’incompréhension devant le manque de moyens de protection pour les services d’intervention. Incompréhension qui se mue en stupeur lorsque la commission d’enquête du Sénat sur l’incendie nous apprend que les pompiers ont manqué d’eau pendant quatre heures ! De quoi remettre en perspectives les déclarations lénifiantes de M. Macron parlant de compétence et de professionnalisme des services de l’État.
On ne s’étonnera pas alors outre mesure que surenchérissant sur ces mensonges, le PDG de Lubrizol humilie les Sénateurs en leur assurant que les fumées dégagées par l’incendie de son usine n’étaient guère plus dangereuses que celle d’un feu domestique. Il est toujours bon de rappeler au petit personnel qui est le vrai maitre.
Récapitulons : il a fallu une semaine pour apprendre que ça n’était pas 5.262 tonnes mais 9.505 tonnes de produits toxiques qui avaient brûlé et pour en connaitre la liste exacte. Un effet direct de la dérèglementation du droit environnemental, de la suppression des CHSCT, de la réduction à quia du corps des inspecteurs du travail et de la « simplification » des procédures administratives, qui ont rendu possible l’extension de l’usine Lubrizol accordée en début d’année par le seul Préfet. Or si celui-ci est le garant aux yeux du gouvernement de la compétitivité économique de son territoire, on situe mal en revanche sa compétence en matière de risques industriels. En va-t-il de même pour la ministre de la Santé qui a assuré contre toute évidence que l’incendie ne causait pas de risque d’amiante, alors que 8.000m² de toiture en amiante (fibrociment en novlangue) étaient partis en fumée et qu’il s’agit d’un cancérigène sans seuil, mortel aux plus infimes concentrations.
Si l’on rajoute à tout cela que le Parquet de Rouen s’est dessaisi de l’enquête au profit du Pôle de santé publique de Paris, celui-là même qui vient d’ordonner deux non-lieux généraux dans le scandale de l’amiante (150.000 à 185.000 morts en 2025), on comprend sans peine que la normalisation est En Marche et que ses conclusions risquent d’être le copier-coller des déclarations de MM. Macron et Schnur, ci-devant PDG de la Start-up nation et de Lubrizol : il ne s’est rien passé à Rouen.
Ou plus exactement Rouen est la confirmation que M. Warren Buffett, propriétaire de Lubrizol, dit vrai lorsqu’il affirme qu’il y a bien une guerre des classes et qu’elle a été gagnée par les riches. Peut-on en effet imaginer plus belle confirmation ? Un site Seveso « seuil haut » (très dangereux en français courant), sans outil spécifique de mesures en cas d’accident ni capteurs permanents des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), ces composés extrêmement toxiques pour la santé humaine issus de la combustion. En clair, l’accident n’est envisagé que pour son impact économique, jamais pour son impact sanitaire sur les populations.
C’est d’ailleurs là que les systèmes soviétique et néolibéral se rejoignent, ce qui compte n’étant pas la réalité du travail mais l’élaboration des reportings et autres tableaux de bord. Que ceux-ci n’aient qu’un lointain rapport avec le terrain importe peu, seules comptent la belle image que l’on peut faire remonter au niveau hiérarchique supérieur et l’atteinte des objectifs de production et de rentabilité. Et c’est ainsi que le PDG de Lubrizol peut dire qu’il n’est pas responsable en affirmant -sans preuves à ce jour- que le feu est parti de l’extérieur de ses installation et en en rejetant la faute sur la sous-traitance, Normandie-Logistique en l’occurrence.
Bien entendu les gueux et leurs enfants qui ont respiré dioxines et fibres d’amiante vont développer des cancers et ils auront toutes les peines du monde à démontrer la responsabilité de l’industriel en l’absence de toute mesure sérieuse. En conséquence ça n’est pas M. Warren Buffett qui prendra en charge le coût de leur maladie, mais la collectivité.
Un monde parfait.
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