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Le citoyennisme est très souvent une réaction spontanée à la désillusion devant la gestion effective de l’État. Autrement dit, si l’État ne peut rien, le citoyennisme affirme que c’est aux citoyens de s’organiser entre eux pour être directement acteurs du changement attendu. L’idée fondamentale du citoyennisme est d’atteindre la masse critique nécessaire pour engager un basculement des comportements de l’ensemble des individus d’une société.
Cette philosophie était assez présente jusqu’à peu au sein du militantisme écologique : c’était la position notamment du directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard. Dans son livre, Les Veilleurs du ciel, publié en 2015, il dessine sa philosophie d’action. Selon lui, il ne faut plus rien attendre des États sur les questions de l’environnement. Ayant observé de très près plusieurs COP, il note leur inefficacité la plus totale depuis trente ans.
En revanche, c’est aux acteurs locaux de s’en prendre au fléau écologique : le niveau local peut et doit prendre le relais, qu’il s’agisse des citoyens s’organisant en associations locales, les entreprises qui commencent à changer leurs pratiques ou des municipalités s’engageant dans des transformations ambitieuses des territoires. Il croyait que l’humanité ferait face aux enjeux écologiques dans cette dynamique de mise en réseau des initiatives locales :
Il n’est plus temps d’attendre un traité ou une convention internationale qui mettront des années avant d’être appliqués dans le monde réel. La seule voie pour agir vite et bien vient du terrain, des gens qui font, sans attendre l’autorisation d’en haut. Un gardien de phare seul ne peut rien, c’est vrai. Mais, lorsqu’il crie à l’aide et qu’il rassemble autour de lui des habitants du coin, il a déjà formé une communauté. Et lorsque cette communauté passe à l’action et qu’elle obtient des résultats tangibles, elle suscite des vocations et donne naissance à d’autres communautés. Et quand plusieurs communautés se regroupent pour convaincre des élus locaux, des entreprises, des collectivités, de transformer un territoire, un mouvement est né.
Jean-François Julliard, Les veilleurs du ciel, 2015 : 171.
Cette dynamique est très séduisante, on aimerait qu’elle soit suffisante. L’aventure est si belle ! Ce sont des efforts non-négligeables qui ont un véritable sens dans la transition écologique. Mais au vu de l’effort à réaliser pour sauver l’espèce humaine et son environnement, elles ne peuvent tenir uniquement l’équivalent du rôle de la Résistance dans la Libération durant la Seconde Guerre mondiale. Il est certain que les actions de terrain des réseaux de résistance ont été une source de nuisances non-négligeables pour l’occupant. Il est aussi bien connu que la Résistance a permis de faciliter le débarquement du 6 juin 1944 de par les renseignements qu’elle a fournie à Londres et les actions de sabotage, notamment des voies ferrés et infrastructures de télécommunication, pour ralentir la réponse nazie au débarquement. Mais la victoire a été permise avant tout par l’effort de guerre des alliés, et notamment de la Grande-Bretagne, de l’URSS et des États-Unis.
Les limites du citoyennisme sont ainsi d’une double nature. Premièrement, un simple constat : « On ne change pas les gens ! ». Une part très minoritaire de la population est prête à s’engager véritablement dans des combats comme ceux-ci. Selon l’historien français, Jean-Pierre Azéma, la France aurait compté aux alentours de 230.000 résistants au total sur le territoire français avant le 6 juin 1944 (soit 2% de la population française de l’époque) et un million de sympathisants, lecteurs des journaux de la Résistance. Il n’étaient pas plus de 30.000 avant la fin de 1942. La grande majorité de la population était attentiste. Et embrasser la cause écologique est loin d’être aussi risqué (du moins jusqu’ici) qu’être résistant sous Vichy. Pourtant aujourd’hui, moins de 5% de la population française de plus de 18 ans serait prête à distribuer des tracts ou faire un don à un parti politique.
Si ce n’est le risque, qu’est-ce qui explique la faible volonté de militantisme ? Le militantisme est un art qui s’apprend, c’est même un mode de vie qui ne s’acquiert qu’au contact régulier de ses troupes, il ne s’improvise pas car il fait peur. Qu’il y ait une menace sur sa propre vie ou non, la peur de sortir du rang joue banalement. Seule une part très minoritaire de la population a le potentiel de se manifester un jour militante : les seuils critiques d’action collective ne sont jamais atteints. À moins qu’il ne soit possible de les atteindre sur le long terme, sur le très long terme. Ce qui nous conduit à la seconde limite du citoyennisme.
Le mode d’action du citoyennisme fonctionne uniquement sur le temps long. Il est possible de changer les comportements de toute une société sur la durée d’une génération par exemple. Convaincre qu’être végétarien est une vertu écologique prend nécessairement quelques dizaines d’années. Si nous avions encore 50 ans pour assurer la transition écologique, le citoyennisme serait certainement capable de faire ses preuves par lui-même, tout comme la résistance serait probablement venue à bout du nazisme en quelques décennies. Mais le temps presse, nous n’avons pas 50 ans devant nous mais seulement une dizaine, il faut agir tout de suite et massivement.
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