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Le phénomène Greta Thunberg suscite une avalanche de déclarations haineuses, qui ne peut qu’interroger.
Où l’on se demande qui est cette personne, ce qu’elle dit, quelle en l’est l’importance – et les raisons de la haine.
Le président des Amis du Palais de Tokyo Bernard Chenebault a sur Facebook – ce qui revient à dire : sur la place publique – appelé au meurtre de Greta Thunberg
« J’espère qu’un désaxé va l’abattre »
Il va être remplacé dans ses fonctions, ce qui se comprend étant donné que les amis du Palais de Tokyo s’intéressent a priori davantage à l’art moderne qu’à faire émerger une nouvelle violence moderne.
Il est intéressant de se rapporter aux accusations de Chenebault, comme quoi Greta Thunberg serait une « folle » qui « rajoute une couche de haine dans notre société ». C’est d’autant plus intéressant que s’il semble être pour l’instant le seul – espérons le dernier – à avoir carrément appelé à la tuer, ce ne sont pas les déclarations brutales qui ont manqué en réaction à l’action de la jeune Suédoise, et surtout à son discours devant l’ONU le 23 septembre dernier. Si certains critiques restent dans une expression modérée, accusant Greta Thunberg d’être « outrancière » comme la secrétaire d’Etat à la Transition écologique Emmanuelle Wargon ou s’opposant à telle action ponctuelle comme la plainte déposée contre plusieurs Etats au nom des droits des enfants, d’autres vont beaucoup plus loin (1)
- Il y a ceux qui prétendent – contre le consensus scientifique ! – que l’argumentation de Greta Thunberg serait de la « non-science » venant d’une « tête creuse » et oublierait la rationalité
- D’aucuns vont plus loin et attaquent la jeune fille sur son âge, l’accusant de souffrir d’« infantilisme », de geindre, d’être « puérile », ou accusant ceux qui l’écoutent d’être « au garde à vous » devant un « tyran de 16 ans »
- Le stade suivant, ce sont des attaques contre le physique de Mademoiselle Thunberg. Son visage « angoissant » et son corps seraient ceux d’un « cyborg », qui mettrait « mal à l’aise »
- Encore plus loin, elle serait une « illuminée » répandant une « idéologie totalitaire ». Sa parole « fanatisée » et « sadique » viserait à susciter des « gardes verts » comme il y eut jadis des gardes rouges et des « jeunesses hitlériennes ».
Le stade immédiatement après, c’est l’appel au meurtre en effet. Chenebault a du moins présenté ses excuses, mais si la vague de réactions brutales, allant bien au-delà de la circonspection ou de critiques construites, jusqu’à déboucher sur une haine qu’il faut bien interroger, ne faiblit pas, sera-t-il le dernier à formuler un appel à la violence ?
Il faut se poser quatre questions :
I) Qui est Greta Thunberg ?
Si vous regardez les gazettes, même d’un œil un peu distrait, vous saurez tout de suite le principal et ce qu’il faut retenir de son discours passionné à l’ONU : Greta Thunberg est quelqu’un qui a fait la grimace.
Rien d’étonnant à cela bien sûr : mettons au défi quiconque de faire un discours devant caméras sans que parmi les 25 images par seconde pendant plusieurs minutes ne se trouvent au moins quelques-unes où il grimacera ! Images qu’il sera ensuite loisible de sélectionner pour le décrier.
Soyons un peu plus sérieux : Greta Thunberg est une jeune Suédoise de 16 ans.
Greta Thunberg
Depuis une année, elle appelle l’ensemble des dirigeants mondiaux à s’attaquer en priorité au problème climatique, dénonçant leur négligence. Elle engage tous ceux de sa génération à réclamer avec insistance que les moyens de parer à ce danger soient recherchés et appliqués, étant donné que ceux qui verront la deuxième moitié du XXIème siècle sont bien les premiers concernés.
Greta Thunberg est très jeune, et elle a un discours très construit, ce dont témoigne par exemple l’ancien vice-président du GIEC Jean-Pascal Van Ypersele
Elle comprend les enjeux de la crise climatique bien mieux que la plupart des dirigeants politiques ou économiques
Plusieurs ont émis le soupçon que tout cela devait être un montage ou une manipulation. On ne pourrait pas avoir une telle maturité à seize ans. Cette jeune Suédoise serait donc forcément une marionnette, et le jouet de tels ou tels intérêts. D’autant plus sûrement qu’elle est handicapée, souffrant d’autisme. A ce sujet :
- Greta Thunberg dialogue non seulement avec des dirigeants ou des animateurs médias, mais encore avec un public, en répondant spontanément, sans fiches, sans notes, et en s’appuyant sur « une sérieuse connaissance des mécanismes à l’œuvre et des causes de la crise climatique ». Une pauvre marionnette manipulée serait incapable d’en faire le dixième. Pour en faire autant, en direct, sans personne qui vous souffle de réponse, il faut être autonome, déterminé, et encore savoir de quoi l’on parle
- Les surdoués, ça existe. Il n’y a d’ailleurs pas de contradiction entre être autiste – type Asperger c’est-à-dire sans diminution des facultés mentales – et être surdoué, un autiste est quelqu’un qui a des difficultés pour communiquer, ce qui est tout à fait compatible avec une intelligence supérieure à la moyenne. Voir encore cette description sur le site français consacré à l’autisme
- Les autistes sont souvent « étonnants de par leur culture générale » avec notamment un domaine d’intérêt particulier dans lequel ils excellent, parce qu’ils s’y sont intéressés vraiment à fond. La réflexion très développée de Greta Thunberg sur la crise écologique, tout particulièrement impressionnante vu son âge, s’explique simplement du fait que son domaine d’intérêt particulier à elle, c’est justement cette crise. Et elle y est allée à fond, en effet !
- On peut faire un parallèle avec les aveugles, qui ont souvent une ouïe très développée, par compensation en quelque sorte de leur handicap. La compensation qu’a réalisée Greta Thunberg, c’est sur un domaine qui est effectivement très pertinent pour l’avenir de l’humanité, non dans des domaines sans doute intéressants mais moins immédiatement nécessaires comme l’Egypte antique, les moisissures et la fossilisation comme un Josef Schovanec au même âge. Bien sûr, beaucoup d’autistes ne sont malheureusement pas des personnes extrêmement cultivées comme un Schovanec ou une Thunberg. Mais ce genre de personnes impressionnantes existe effectivement parmi eux.
Certes, Greta Thunberg n’est pas la pierre angulaire sur laquelle la reprise de contrôle par l’humanité de son impact sur son environnement pourra être fondée, comme certains de ses détracteurs font semblant de croire qu’elle se présenterait. Non seulement elle n’est pas un Messie, elle ne prétend pas l’être !
C’est quelqu’un qui veut faire passer un message. Et il est temps, comme nous y appelle le proverbe chinois lorsqu’on nous montre la Lune du doigt (2) de bien regarder l’astre, et non pas le doigt qui nous l’indique – même si ce doigt est celui d’une jeune fille !
II) Que dit-elle ?
Voici le texte intégral de l’adresse de Greta Thunberg à l’ONU le 23 septembre 2019.
Le message, qui est plus important que le messager, c’est que nous devons nous employer, sérieusement, comme si l’avenir de nos enfants en dépendait, à trouver des solutions pour reprendre le contrôle de notre impact sur le reste de la biosphère, impact désastreux en matière climatique comme dans d’autres domaines. Pourquoi ? Eh bien, parce que l’avenir de nos enfants en dépend, en effet !
Est-ce vrai ? Eh bien oui, le réchauffement du climat de la planète, qui a déjà commencé, menace si l’humanité continue sur sa lancée actuelle non seulement de canicules plus fréquentes, mais surtout de provoquer des effondrements d’écosystèmes à une échelle de plus en plus grande, et cela aussi a commencé. Or, nous autres êtres humains dépendons des écosystèmes c’est-à-dire de l’ensemble du vivant sur cette planète pour notre existence et notre prospérité. Des effondrements de parties de plus en plus étendues de la biosphère finiraient par menacer la vie d’une grande partie d’entre nous, tandis que les survivants mèneraient une existence certainement plus fruste et consacrée justement à la survie. Si nous continuions « comme jusqu’ici », il ne suffirait malheureusement pas pour s’adapter d’acheter une clim pour l’été… Des adaptations de surface ne peuvent suffire que face à de petites perturbations, et c’est de bien autre chose qu’il s’agit.
Certes, ce danger n’est pas nécessairement pour demain matin. Mais il n’est pas une invention de quelques catastrophistes.
a) Que l’on se rapporte par exemple au rapport établi en 2017 par 15 000 scientifiques concernant l’état de la planète dont la traduction intégrale en français est ici.
b) Citons encore l’appel d’un groupe d’anciens militaires de haut rang et officiels de la défense au président Trump afin qu’il établisse un plan d’ensemble pour parer ce qu’ils identifient à raison comme « la plus grande menace sur la sécurité nationale » des Etats-Unis :
« Un groupe d’anciens hauts responsables militaires et de la sécurité nationale a demandé mardi au président Donald Trump d’établir un plan global qui considère les changements climatiques comme une menace majeure pour la sécurité nationale.
(…) Il est approuvé par 64 anciens hauts responsables militaires, de la sécurité nationale et du renseignement.
(…) » Le Plan de sécurité climatique pour l’Amérique est un appel aux dirigeants présidentiels à donner la priorité à ce défi et à prendre des mesures pour protéger notre sécurité nationale face à la tempête à venir « , a déclaré John Conger, directeur du Center for Climate and Security, dans une déclaration. »
Le plus intéressant dans cette démarche, c’est l’affirmation que la menace climatique et écologique est la plus grande menace de sécurité nationale pour les Etats-Unis. Et les autres pays peuvent en dire autant à l’évidence, sauf peut-être à la limite Russie et Canada.
c) Citons encore ce rapport établi sous la direction de l’ancien chef des armées australiennes l’amiral Chris Barrie, qui avertit que si les dirigeants mondiaux ne s’entendent pas pour aller bien au-delà des engagements pris à Paris en 2015 il faut s’attendre aux environs du milieu du siècle à « des événements sociétaux non-linéaires massifs », c’est-à-dire l’effondrement de nations entières et un chaos généralisé, et appelle à « un plan Marshall (…) d’échelle semblable à la mobilisation de la Seconde Guerre Mondiale »
Sommes-nous donc en train de faire face ? Avons-nous commencé à agir pour parer le danger ?
S’agissant du réchauffement climatique – sans doute le premier des impacts potentiellement catastrophiques sur la biosphère mais pas le seul – voici un rappel qui peut apporter quelques précisions : l’évolution des émissions mondiales de CO2 de 1990 à 2018
Emissions de CO2 mondiales, 1990 -2018
En l’espace de 28 ans, on constate :
- Augmentation de plus de moitié des émissions de CO2, de 21 à 33 milliards de tonnes par an. Et il faudrait encore tenir compte des émissions d’autres gaz à effet de serre, en premier lieu le méthane, qui augmentent également
- La seule inflexion dans le bon sens, c’est le creux de 2008-2009, conséquence évidente de la récession mondiale provoquée par la crise financière… et de courte durée puisque la croissance a très rapidement repris
Nous en sommes là. Nous ne sommes pas seulement en train d’aller vers un déséquilibre climatique propre à provoquer des phénomènes d’emballement – émissions de CO2 supérieures à la capacité d’absorption de la planète – nous sommes en train d’accélérer. Et la seule « solution » que nous sachions aujourd’hui appliquer c’est la crise économique et la récession.
III) Est-ce important ?
Alors quelle est l’importance du message de Greta Thunberg ? Puisqu’elle n’est à l’évidence pas la seule à le dire, ni la plus savante – malgré ses connaissances impressionnantes pour son âge – n’est-il pas superflu qu’une enfant de seize ans prétende s’en mêler ?
Il pourrait être très important au contraire, car les alertes lancées par les scientifiques depuis plus de 30 ans – et la communauté scientifique n’en est plus exactement au lancer d’alertes, ils sont en train de sonner le tocsin, et des militaires les rejoignent ! – n’ont pas convaincu les décideurs mondiaux – qu’ils soient politiques et économiques, qu’ils soient américains, chinois, européens, indiens ou autres – de réagir comme le danger l’impose.
Les résultats obtenus le prouvent, c’est-à-dire aucun : voir le graphe des émissions de CO2 plus haut.
Et on est encore très loin parmi les dirigeants mondiaux d’être conscients de la gravité des risques et de l’urgence d’y parer. Il suffit d’écouter Emmanuel Macron, qui n’est pourtant pas le dirigeant national le moins sensible à la question environnementale, ni celui du pays ayant le plus fort impact climatique compte tenu de son économie, déclarer avec agacement « Qu’ils aillent manifester en Pologne ! »
« Je préfère que tous les vendredis on fasse de grandes opérations de ramassage sur les rivières ou les plages corses »
« La vérité, c’est qu’il y en a un qui bloque tout, c’est la Pologne. Mon objectif, c’est de convaincre les autres pays de bouger »
« Qu’ils aillent manifester en Pologne ! Qu’on vienne m’aider à faire bouger ceux que je n’arrive pas à faire évoluer » (au sujet de l’objectif de « neutralité carbone » en 2050 proposé pour l’UE et bloqué par Varsovie)
C’est dire que même Emmanuel Macron n’a pas compris grand-chose à la menace écologique – pour ne rien dire d’un Donald Trump, d’un Xi Jinping ou d’un Jair Bolsonaro.
Emmanuel Macron : la Pologne, voilà l’ennemi ?
Ce que le président de la République n’a visiblement pas encore compris, c’est que le danger du réchauffement climatique tendant vers un seuil de non-retour catastrophique ne sera certainement pas paré juste parce que quelqu’un aura convaincu les Polonais de lever leur objection à une déclaration politique en faveur de la « neutralité carbone » de l’UE en 2050 – une déclaration qui ne mange pas de pain, soit dit en passant. Il s’en faut de beaucoup !
Il rappelle que la France est l’un des pays en tête en Europe pour ce qui est d’avoir de faibles émissions de gaz à effet de serre pour un niveau de prospérité donné, et c’est parfaitement exact. Ceci essentiellement grâce à nos centrales électronucléaires, un peu aussi grâce à l’hydroélectricité, un peu grâce aux taxes sur l’essence qui incitent à choisir des véhicules plus économes. C’est appréciable, mais cela ne suffit pas, loin de là.
Il ne s’agit pas d’une fuite de pique-niqueurs surpris par un ours, où il s’agit juste de ne pas être le dernier, celui que l’ours rattrapera. Non, cet ours-là ne se contentera pas d’une victime sacrificielle. Et il s’agit bien de faire beaucoup mieux que les pays aujourd’hui les plus efficaces en termes de rapport émissions de gaz à effet de serre / prospérité !
Or, si quelqu’un en France est aujourd’hui en position de lancer une R&D volontariste et massive pour tenter de trouver des manières de produire de l’énergie d’une part beaucoup moins polluantes en gaz carbonique, d’autre part qu’on puisse mettre à la bonne échelle massive – ce qui est impossible avec les renouvelables actuellement existant – qui d’autre, sinon le président de la République ? Et si quelqu’un peut étendre de tels programmes de R&D à l’échelle encore supérieure celle de l’UE, ce qui suppose de convaincre les Allemands que le « Schwarz null » le déficit public zéro n’est pas forcément la meilleure politique quand comme le disait Jacques Chirac « la maison brûle », qui est le mieux placé, sinon encore une fois Emmanuel Macron ?
Non, il ne suffit pas de ne pas être le dernier, celui que l’ours rattrapera
Nous partageons tous la même planète
D’une manière générale, dans les pays démocratiques qui de l’Europe aux Amériques en passant par Inde, Japon, Corée du Sud, Asie du Sud-Est et Australie représentent la majorité de l’activité économique humaine et des émissions de CO2 – avec la Chine comme seule exception d’importance – les dirigeants peuvent être motivés à agir par une demande forte de leur société. Et peut-être ne peuvent-ils être motivés que de cette manière, que l’on songe à l’ensemble des pressions qui s’exercent sur eux. Or cette demande sociale forte qui pourrait tout changer, qui pourrait décider de la mobilisation d’échelle semblable à celle de la Seconde Guerre Mondiale qu’appellent ceux qui s’inquiètent de la sécurité à long terme de leur pays et de l’humanité, cette demande sociale forte n’existe pas aujourd’hui. C’est la prise de conscience par la majorité de la population qui manque.
« Passer d’une minorité intéressée car intellectuellement en partie au courant à une majorité mobilisée car ayant perçu au moins par l’esprit et la sensibilité si ce n’est par le corps la totalité de la menace et ne pouvant donc se satisfaire de croyances rassurantes comme « construisons des panneaux solaires et des éoliennes, mangeons bio et tout ira bien » sans parler de distractions pour les inquiétudes et les colères comme de faire la guerre ici ou là ou de se choisir tel bouc émissaire… voilà l’ordre du jour ! Voilà le véritable facteur bloquant ! »
C’est ici que le mouvement commencé par Greta Thunberg pourrait s’avérer salutaire. Car cette enfant, comme dans le conte d’Andersen, énonce que le roi est nu. Elle a déjà un impact, et le mouvement dont elle est à l’origine, qui pourrait devenir générationnel, peut prolonger et approfondir cet impact, donnant une chance de parvenir à cette prise de conscience majoritaire par les peuples qui changerait tout. Greta Thunberg n’est pas simplement un visage et une voix, elle pense aussi. Et écrit.
« Nous ne pouvons plus nous concentrer uniquement sur des questions individuelles et séparées comme les voitures électriques, l’énergie nucléaire, la viande, l’aviation, les biocarburants, etc. Nous avons un besoin urgent d’une vision holistique pour faire face à la crise de la durabilité et à la catastrophe écologique en cours. »
En somme, s’y mettre tous ensemble, en se rappelant que c’est d’un système d’ensemble qu’il s’agit donc en n’oubliant pas de penser le niveau global. Puis appliquer les voies et solutions que nous aurons trouvées.
IV) Pourquoi tant de haine contre elle ?
« Lorsqu’on ne peut attaquer le message, on attaque le messager ». Il semble probable que certaines attaques ordurières contre Greta Thunberg sont le fait de gens qui veulent ne pas prendre en considération l’urgence de rendre la civilisation humaine durable, n’ont pas d’argument, donc détournent consciemment la conversation sur des sujets personnels faute de mieux.
Mais ce n’est pas la seule explication, loin de là. La raison est beaucoup plus profonde.
Les attaques contre Thunberg – encore une fois il ne s’agit pas ici des critiques construites, qui judicieuses ou non sont toujours bienvenues ne serait-ce que parce qu’elles contribuent de toute façon au débat – ne sont qu’un effet dérivé et une conséquence du véritable problème et de la véritable résistance.
Le véritable problème, c’est que la réalité de l’impact de l’humanité sur la biosphère est TERRIBLEMENT anxiogène. Ce n’est pas la faute de ceux qui le disent, bien sûr. C’est juste la réalité, et la réalité se fiche éperdument de savoir si elle nous angoisse ou pas.
Il est à craindre que les angoisses – bien naturelles si l’on commence à prendre conscience des dangers – n’aient le potentiel de nous déborder.
Et c’est bien la raison pour laquelle on entend de plus en plus de récriminations contre une écologie « anxiogène » dont certaines personnes refusent d’entendre parler, des reproches comme quoi « vous faites peur aux gens », ou des phrases comme quoi « moi je n’accepte qu’une écologie positive » – sous-entendu ne me parlez pas de risques qui m’effrayent trop. Ce ne sont pas les petitesses de quelques vedettes médiatiques à l’ego endommagé. C’est bien plus profond que ça.
Il faut le dire, en matière d’impact de l’humanité sur la biosphère, nous en sommes largement au stade de Hannibal ante portas : Hannibal est devant les portes de Rome avec son armée. La seule manière de ne pas être inquiet, c’est de ne pas être au courant – ou alors de se mettre la tête dans le sable. Le danger n’est pas littéralement une troupe d’ennemis bien sûr. Mais il est largement aussi grave que si une armée de fanatiques sanguinaires était aux frontières.
En matière écologique, l’ennemi est aux portes et les scientifiques sonnent le tocsin
Pas de magicien blanc en vue. Il va falloir faire sans
Et il est d’autant plus anxiogène que la solution n’est absolument pas évidente. La seule chose qui est certaine c’est qu’il devrait s’agir d’une solution d’ensemble, prenant en compte l’ensemble de la réalité et des limites, et à l’échelle de l’humanité. Et une fois que l’on a dit cela, il est facile de se sentir découragé d’avance.
On peut choisir la tête dans le sable.
On peut l’en sortir, mais seulement pour s’accrocher à quelques fragments d’idée, même si à eux seuls au mieux ils peuvent aider mais sont loin de suffire, voire même ils sont nuisibles – et cela revient à ne pas vraiment la sortir du sable bien sûr :
- Je vais faire des B.A. écologiques, trier mes déchets et éviter de prendre l’avion. C’est sûr, ça va le faire !
- Je vais faire confiance aux politiciens dont le discours est plein de petites fleurs et qui promettent de tout repeindre en vert. C’est sûr, ils vont le faire !
- Je vais faire confiance aux dirigeants de multinationales qui font écrire des plaquettes d’entreprise avec plein de mots verts. C’est sûr, ils vont le faire !
- Je vais faire confiance à ceux qui veulent mettre des énergies renouvelables partout. C’est sûr, ça va le faire !
- Je vais croire que tout est de la faute des capitalistes, ou des 1%, ou des riches. C’est sûr, ce sont eux les coupables. Qu’on s’en débarrasse, et ça va le faire !
- Je vais croire que tout est de la faute des étrangers, qui font trop d’enfants, ou viennent prendre le pain des bonnes gens comme moi. Qu’on s’en débarrasse, et ça va le faire !
- Perdu pour perdu, qu’au moins on s’organise en Europe / en France, on va s’adapter aux changements et que les autres aillent au diable. C’est sûr, ça va le faire !
- Perdu pour perdu, qu’au moins on s’organise dans ma petite famille / ma petite communauté paysanne ou autre. On construira une survie depuis le bas. C’est sûr, ça va le faire !
Un homme que l’on prévient d’un danger majeur veut qu’on lui donne en même temps la solution, c’est tout à fait naturel. Greta Thunberg a d’autant plus raison qu’elle ne cache pas qu’à ce jour la solution n’existe pas encore. Et qu’il s’agit donc de la créer, tous ensemble.
Mais cela signifie d’accepter de faire face à l’angoisse, sans le secours d’une immédiate béquille sur le modèle du « On va faire telle chose, et tout s’arrangera ».
Il est nécessaire d’accepter de faire face à Hannibal et à son armée, et le regarder dans les yeux, sans avoir encore aucune arme dans les mains. Accepter de regarder en face le gouffre et l’angoisse. Et se faire confiance les uns les autres, s’entraîner les uns les autres, afin de construire nos solutions. Sachant que même dans le meilleur des cas, il se passera longtemps avant que nous puissions avoir ne serait-ce qu’une confiance modérée dans leur efficacité.
Tout cela, avec l’ennemi dans les yeux.
C’est difficile. Et c’est indispensable.
(1) – Par ordre alphabétique, on reconnaîtra des déclarations de Laurent Alexandre, Alexis Brézet, Pascal Bruckner, Raphaël Enthoven, Alain Finkielkraut, Vincent Hervouët, Benjamin Morel, Michel Onfray et Ivan Rioufol. Mention toute spéciale à Laurent Alexandre, chirurgien, essayiste et autoproclamé chevalier « Anti @gretathunberg » sur Twitter, offrant une remarquable combinaison de belles paroles pro-science couvrant un parfait mépris de ses résultats.
(2) – « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt »
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