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La chimie a tout pour devenir un mode de connaissance du monde. On aurait aimé qu’à l’occasion de l’incendie géant de l’usine Lubrizol à Rouen, les connaissances des chimistes de la planète, ou au moins de l’Europe, soient mobilisées, car ce site, comme le nom Lubrizol l’indique, est un des rares à fabriquer des lubrifiants avec les additifs spéciaux qu’ils contiennent. Il sera donc question ici de Zinc, Soufre Phosphore et d’une histoire qui remonte aux années de la guerre, lorsque les avions britanniques survolaient entre autres… Rouen.
Ceux qui ont plus de 20 ans se rappellent peut-être de l’huile Antar « Molygraphite » lancée vers 1962, « huile de l’an 2000 », avec des composés dits « lamellaires », le graphite (cf. le prix Nobel de physique sur le graphène en 2010, une « feuille de carbone »), et le disulfure de Molybdène MoS² (*) assez analogue, mais pas trop toxique (j’ai manipulé des analogues comme le séléniure de gallium, la structure lamellaire va de pair avec une certaine inertie chimique).
Pour l’usine Lubrizol, on nous indique la présence de dialkyldithiophosphate de zinc (ZDDP, de l’anglais zinc dialkyldithiophosphate). Bon, c’est moins sympa, mais tous les « moins jeunes » d’avant les essences sans plomb et d’avant les catalyseurs ont dû en respirer une bonne dose, c’était l’additif de choix dans les huiles Castrol notamment et sans doute pas que celles là.
Du point de vue de la « gueule » de la molécule, c’est moyennement sympa comparé au gentil MoS², cristal minéral pas très méchant (en gros pas plus que la pyrite, le disulfure de Fer, FeS², l’or des fous). En effet (cf. Dialkyldithiophosphate de zinc), le zinc y est complexé par deux groupements ((RO)²PS²=) où R est un groupe organique (S= thio), ce qui en texte se noterait (RO)²PS²=Zn=S²P(OR)². On commence donc à rentrer dans les organophosphorés.
Bon, on a tous partout dans le corps des ADP et ATP avec des groupes phosphates POx (adénosine di- et tri- phosphates) absolument essentielles pour notre métabolisme, donc il faut y regarder à deux fois avant de s’inquiéter, notamment parce qu’il y a O entre R et P. Mais c’est dommage que les chimistes de Navarre, et ceux de France, ne soient pas mis sur le coup pour justement se confronter à ces cas de chimie « pas ordinaire » et tenter d’accroitre les connaissances lors d’exercices hélas « grandeur nature » (on devrait dire « grandeur civilisation », voire, si je suis mauvaise langue « grandeur capitalisme » !), de façon à former un très essentiel retour d’expérience pour tous les futurs accidents « Seveso-2 » (en novlangue, Seveso niveau haut). C’est cela qui aiderait à faire vivre un principe de précaution, et refuser les futurs chlordécone, néonic, et autres molécules, avec une base intelligente, et pas juste de dire qu’elles sont « chimiques », puisque tout est chimique (ceux qui voudraient s’en convaincre de façon ludique peuvent lire le merveilleux livre de Primo Levi « Le système périodique », oui le Primo Levi de « Si c’est un homme », chimiste de son état).
Comme ceux qui m’ont lu ici à l’occasion le savent, je fais souvent remarquer que nous avons un système technique très développé et sain du point de vue de l’accidentologie, l’aviation civile, grâce, justement, à son culte du retour d’expérience. Et à la peur post-icarienne de se planter aussi bien sûr (énergétiquement, c’est pas super, comme on le susurre chez Greta Airways 😉 ), mais c’est surtout à cause d’un « effet rebond », stoppons là ce rameau … ).
Pour la petite histoire du ZDDP, il est instructif de voir ce qu’en dit la firme Castrol qui l’a inventé à la fin de la guerre de 1940 (ici) : C’est encore une histoire d’aviation, et qui nous rapproche de la Manche. En traduction éditée cela donne :
« À la fin des années 1940, les moteurs des Spitfire subissaient de graves dommages et défaillances de l’arbre à cames. S’agissant d’un avion de combat critique pendant la guerre, il était essentiel de surmonter ces problèmes. Castrol fut sollicité et ce qui a été développé à l’issue de l’étude fut l’ajout de Dithiophosphate de Zinc. L’effet du ZDDP est que, lorsqu’il est chaud, il interagit avec le fer du lobe de la came (**), créant ainsi une couche sacrificielle entre les pièces mobiles. Ceci permet d’éviter l’usure métal sur métal. L’ajout de ZDDP à l’huile réduit la défaillance prématurée de la came et de l’élévateur [la pièce au contact de la came qui va actionner la soupape je suppose). Les huiles Castrol Classic contiennent la bonne quantité d’additif ZDDP pour protéger votre moteur « veteran », « vintage » ou classique. »
Les forums de voitures anciennes parlent très souvent du ZDDP, du coup, c’est ce qu’une recherche internet de ZDDP vous indiquera en premier.
Hélas pour la toxicité, ce n’est pas évident de trouver des traces. Entre le chauffage localisé de petites quantités dans des arbres à cames et la cuve de 500 ? litres qui se trouve cuite à point (> 900°C) par l’hydrocarbure voisin , ce n’est pas évident de conclure. Voilà donc une occasion ratée de faire la part de la curiosité, de la sécurité, et de formes d’éducation citoyennes que le monde du XXIème siècle a pourtant peu d’arguments pour se refuser.
(*) j’utilise le 2 en exposant « ² » alors qu’il faudrait qu’il soit en indice, mais l’édition d’un blog n’est pas chose si simple, que les chimistes me pardonnent…
(**) on n’est pas très loin du principe de l’antirouille à base d’acide phosphorique.
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