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Je voudrais clarifier d’une façon plus rationnelle ce que j’ai ressenti en voyant la vidéo « Anita ». Je me suis infligé une relecture de la vidéo et j’ai lu l’interview de Félicien Bogaerts et les choses se sont clarifiées pour moi…
Un premier point, pour ma part, je ne trouve pas que la qualité filmique de cette vidéo soit très bonne, en particulier les acteurs surjouent, mais ce qui compte est son message et la façon dont il est délivré. Malheureusement il est très clair dans son infamie et je m’explique.
Tout d’abord, la première partie. Que voit-on ? Exactement l’illustration des thèses d’une pseudo-intelligentsia française, chiens de garde du système, omniprésents sur les médias, ceux que dénonçait Stéphane Foucart dans son article du Monde que j’ai repris dans mon billet « Vive Greta » : Onfray, Bruckner, Enthoven… et avant-hier, sur France Inter, Finkielkraut. Sans oublier le comique Laurent Alexandre. Que disent-ils ? Greta est instrumentalisée, sans âme, un corps vide, une arnaque… Quand Anita parle, on voit le personnage qui est son gourou marketing joué par F. Bogaerts qui articule les mots du discours qu’elle prononce, un procédé déjà vu ailleurs. Les « intellos » cités en ont rêvé, F. Bogaerts l’a fait : un petit film pour démontrer qu’elle est vide et instrumentalisée.
Il faut ensuite parler de la « fin ». On a vu dans l’Histoire bien des façons de tuer associées à des périodes et des idéologies : brûler vif pour l’Inquisition, guillotiner pour la Terreur, une balle dans la tête pour les totalitarismes staliniens et nazis. Certes la balle, c’est elle qui la tire, mais aucun détail ne nous est épargné, sang, trou au sommet du crâne. Vision insupportable et obscène.
J’essaye de m’épargner les horreurs de l’Internet et là, j’ai dû subir cette horreur indicible. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment une personne ayant un minimum d’empathie, d’humanité peut oser justifier cette vidéo comme un message percutant, utile et « esthétique ».
Le message est : « suicide-toi et on t’écoutera ─ peut-être… ». (La preuve du « peut-être » l’image finale du smartphone.)
C’est un manque total d’éthique. J’insiste : imaginez que Greta ou les siens voient ça.
Alors maintenant, il faut parler de M. Bogaerts dont j’ai lu l’interview, pleine de bêtise arrogante. Je préfère cette hypothèse à celle de mercenaire stipendié mais ce n’est pas exclusif. On a eu souvent de tristes surprises sur tel ou tel acteur des forces de progrès (sans remonter à Mirabeau).
Tout d’abord je le cite : « Il me semble beaucoup moins violent d’inventer un personnage de fiction pure» ! Il ose prétendre que Anita est un personnage de fiction alors que le premier venu reconnaît immédiatement Greta (à moins d’avoir passé un an en ermite dans un désert). Sa mauvaise foi est dégueulasse.
Voilà un point essentiel à considérer. Anita a un visage triste et fermé, étouffé par ses cheveux ; Greta est rayonnante et Paul a mis en ligne cette photo d’elle à côté de Alexandria Ocasio-Cortez : une bouffée d’espoir, d’oxygène !
Quand on la filme, dans la rue, on ne voit pas du tout ce personnage « boulversifié », écrasé, déprimé construit par M. Bogaerts et son équipe. Un détail non négligeable : on oublie qu’elle est Suédoise car elle s’exprime dans un anglais excellent, dans la langue internationale pour faire passer son message. Elle parle de façon structurée, intelligente, déterminée et visiblement spontanée : aucun discours appris ne peut arriver à cet effet. Anita selon la thèse du film apprend par cœur (sauf à la fin quand elle craque) : quel mépris !
Or que dit Greta Thunberg ? « Ne m’écoutez pas, écoutez les scientifiques ». Simple et percutant.
Félicien Bogaerts me rappelle ces idéologues de ma jeunesse, des deux sectes marxistes ennemies mais en secrète harmonie : les Staliniens (version maoïste comprise) et les Trotskystes. En effet il reproche à Greta de ne pas dénoncer le capitalisme, d’en être complice involontaire. Bogaerts et Cie veulent nous enseigner, nous mettre dans leur voie, donner des leçons et, pire que tout, veulent notre bonheur ─ et tout ça enveloppé dans un profond mépris du peuple qui n’est jamais capable de comprendre. Il écrit : « Chez des figures ultra-médiatiques, on observe souvent un manque cruel de recul sur l’histoire et la politique citoyenne en général. On ne leur en veut pas forcément [ouf ! J.S.], mais l’impact reste par conséquent inévitablement faible. La population ne peut donc pas clairement identifier leurs « ennemis », les causes structurelles de nos problèmes. » Mais qui est-il pour juger ainsi ? Quant à « l’impact inévitablement faible », quelle ridicule affirmation après ce week-end !
C’est exactement l’inverse de ce que fait Greta ! Elle n’est pas un « génial Conducteur de la Locomotive de l’Histoire ». Elle dit : prenez conscience en écoutant les scientifiques. A l’assemblée de l’ONU elle a laissé parler d’autres jeunes : elle a créé par son seul exemple d’autres leaders de son genre, porteurs de message à leur génération et par-delà à toute l’humanité. La mobilisation entraîne le questionnement, le questionnement entraîne la prise de conscience, d’autant plus profonde qu’elle n’est pas inculquée.
Autre point : il est impossible de manipuler une personnalité comme Greta justement en raison de sa « différence ». Quand elle a décidé d’aller en voilier à New-York, ce qui est une réelle épreuve d’endurance, on peut deviner que son père n’a pas eu d’autre choix que de l’accompagner, car un père doit être solidaire.
Qu’est supposé expliquer cette vidéo ? Simple : Thunberg est comme le disent tous ses ennemis une coquille vide manipulée et dans cette option que Paul Jorion qualifie d’éco-stalinisme, une pauvre fille qui n’a rien compris à la Vérité de la Lutte contre le Capitalisme. Éventuellement se flinguer en public pourrait amener à une prise de conscience utile.
Pour quitter ces lieux méphitiques, je veux évoquer une graine, en l’occurrence une châtaigne. Ce week-end, j’ai rencontré un jeune ami jardinier. Il avait planté dans un pot une châtaigne et aujourd’hui il y a dans ce pot un petit arbre de 50 cm environ avec de belles feuilles vertes, taille « adulte ». En octobre ou novembre, il le replantera en terre et dans quelques années, si la nature le veut, un châtaignier ombrera son coin de jardin.
Greta Thunberg un jour s’est assise près du parlement, en grève. Sa différence lui avait permis d’ingurgiter d’énormes connaissances écologiques et de comprendre le danger vital pour elle, les siens et sa génération. Ensuite sans qu’elle le veuille, il y a eu une croissance organique du mouvement qu’elle avait initié sans évidemment penser à une telle extension mondiale. Il y a une convergence avec d’autres mouvements comme Extinction Rebellion et c’est la panique à bord chez nos Maîtres. Ah ça non ! ils ne l’avaient pas vue venir cette jeune fille. Et ça explique la rage et le mépris que l’on observe contre elle. Greta l’a complètement intégré et elle dit dans cette petite vidéo que la haine contre elle est la preuve de son succès.
Une graine, un arbre. Un arbre immense qui comme tous les arbres est presque immortel et ne cessera de croître. Ce week-end on a vu ce mouvement mondial ; plus rien ne peut l’arrêter. C’était exactement ce qu’il nous fallait. Oui, l’Histoire est toujours complexe : parfois il y a des mouvements de masse sans leaders : au Soudan, le peuple vient de gagner une première grande étape ; en Algérie, le hirak est encore incertain mais il continue avec puissance. Ailleurs des individus exceptionnels catalysent des changements profonds : Mandela, Snowden en sont des exemples récents. Greta Thunberg les rejoint.
Qu’apporte la vidéo de M. Bogaerts au combat pour la survie de l’espèce ? A-t-elle la moindre valeur ajoutée ? À mes yeux, non seulement elle n’apporte rien, mais par le buzz qu’elle peut avoir, elle est effectivement une arme entre les mains de nos ennemis.
Mais peu importe, leur déroute commence.
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