Boris Johnson en prison !, le 12 septembre 2019 – Retranscription

Retranscription de Boris Johnson en prison ?, le 12 septembre 2019. 

Bonjour, nous sommes le jeudi 12 septembre 2019 et si vous me voyez sourire dans cet exposé qui sera consacré au Royaume-Uni, ce sera en vertu du principe qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Toute ironie de ma part relèvera de la catégorie britannique bien connue du gallows humour, l’humour noir, l’humour de potence et les Anglais, les Britanniques, sont encore disposés à rire de ce qui est en train de se passer dans leur pays, qui est quelque chose d’extraordinaire dans leur histoire.

On commence par un dessin humoristique. Je vous le montre d’abord.

Il y a donc deux personnes qui sortent du 10 Downing Street, qui est la résidence officielle des Premiers ministres britanniques, et l’un s’adresse à l’autre. Il a une expression un petit peu défaite et il dit la chose suivante : « Eh bien voilà alors le nouveau plan. Si Boris est en prison, eh bien, IL EST DANS L’IMPOSSIBILITÉ d’aller à Bruxelles et de demander une extension ». Voilà, c’est le nouveau plan.

À quoi ça fait référence ? Ça fait référence aux choses que les Britanniques observent ces jours-ci. M. Boris Johnson a une carrière calamiteuse. Six motions ont été présentées au Parlement depuis sa nomination et 6 ont été des défaites cinglantes pour son camp. Mais son camp essaye encore d’expliquer à chaque fois que ce revers supplémentaire « cache quelque chose », « permet d’utiliser l’atout », la carte qui permettra de sauver la mise et qu’en fait, tout ça, c’est « un plan diabolique, machiavélique pour faire avancer les choses ! ». Le dernier épisode machiavélique, c’est donc que M. Johnson soit non seulement renversé mais qu’il atterrisse carrément en prison et ça lui permettra de réussir son plan machiavélique qui est donc une sortie de l’Union européenne sans accord.

Les journées précédentes ont été catastrophiques pour M. Johnson. Je vous ai tenu au courant. Hier, il y a encore eu deux évènements qui sont parmi les revers majeurs les plus considérables. Le premier, je vous en parlé tout de suite. Ça a fait la une des journaux britanniques et de la presse internationale : une Cour d’appel en Écosse a dit que la décision, la prorogation, la décision d’ajourner le Parlement pour 5 semaines par M. Johnson était illégale et elle a laissé entendre que le fait qu’il l’ait « vendue », qu’il ait convaincu la reine d’accepter cette mesure le mettait en position délicate vis-à-vis, justement, de la justice. Il pourrait s’agir d’une chose pour laquelle il pourrait être carrément, effectivement, poursuivi. Ça relève, sinon de la haute-trahison, de la trahison en tous cas. C’était une très très mauvaise nouvelle.

Sur un mode très trumpien, un porte-parole du 10 Downing Street, donc l’équivalent de la Maison-Blanche, a dit que c’était la preuve que les Écossais étaient biaisés. Accusation absolument ridicule : les Écossais, la justice écossaise, la justice de tout le royaume s’efforce d’avoir le même niveau de haute qualité et la suggestion que le jugement était passé en Écosse pour essayer d’empêcher que ce soit en Angleterre était absolument ridicule parce que la personne devait savoir – et était donc de mauvaise foi –  que si la demande avait été faite en Écosse, c’était parce que le département de la justice, le Palais de justice était fermé à Londres [pour les vacances] et que donc, il y a la possibilité, de la même façon qu’en France, de déposer quelque chose à Lille ou bien à Rennes ou à Perpignan. Ça ne fait aucune différence. C’est en principe la même justice qui s’exerce. Parfois, il y a donc des mesures de « dépaysement » pour empêcher un biais dans les décisions de justice mais, au niveau des Cours d’appel britanniques, il n’y a aucune suggestion que les choses puissent se faire autrement que dans le système général.

C’était une excellente nouvelle pour nous mais c’est une très mauvaise pour M. Johnson.

Il y a eu aussi, et ça, c’est la justice qui l’a imposé, que soit révélé le document qui s’appelle « Yellowhammer », le document de mesures et de précautions à prendre en cas d’un Brexit sans accord. Ce document avait déjà fuité au mois d’août mais on n’était pas très sûr, du coup, de sa provenance et de son statut. S’agissait-il d’un brouillon d’avant qu’il soit Premier ministre comme l’a prétendu M. Johnson ? Ce qui est faux puisque la date, maintenant, est vraiment visible. Il s’agit d’un document qui a été émis alors qu’il était déjà Premier ministre.

Le portrait est fait de catastrophes absolument abominables. Le trafic entre la France et la Grande-Bretagne, sur les premières 24 heures, pourrait tomber à la moitié ou encore moins : 40 %, de ce qu’il est, en raison du fait que les camions qui opèrent la rotation entre le continent et la Grande-Bretagne (qui dépend énormément du continent pour les produits pharmaceutiques et pour l’alimentation), la quasi-totalité, 85 %, de ces camions ne sont pas équipés pour leur permettre de passer en douane facilement en France, si bien que des retards d’1 jour et demi, 2 jours et demi sont à attendre, une baisse du trafic, donc de la moitié au moins, et une situation qui pourrait se maintenir pendant 3 mois.

Pour ce qui est des médicaments nécessaires d’urgence et dont le trafic, la circulation, doit être constante du fait que ce sont des produits à faible temps de conservation, on arriverait rapidement à une situation catastrophique du point de vue de l’approvisionnement des pharmacies en Grande-Bretagne.

Le document parle aussi de troubles à attendre de l’ordre public, avec des protestations, des manifestants contestant et des contre-manifestants, mobilisant une partie significative de la police, est-il dit, l’augmentation des prix qui en résulterait immédiatement mettrait les populations les plus exposées, dit le document, rapidement dans une situation très difficile en termes de coût de carburant, de fioul et d’alimentation.

Donc, un portrait catastrophique.

Les discussions qui ont lieu maintenant du côté du Parti conservateur sont de savoir s’il s’agit d’un de ces documents qui décrit la pire situation possible ? Le document utilise, lui, le mot de « raisonnable ». Il s’agit d’un scénario raisonnable des choses qui pourraient se passer. Il s’agit effectivement d’un worst case scenario [« si les choses tournaient mal »] c’est-à-dire une description de ce qui pourrait aller mal mais, est-il ajouté, « raisonnable », sans termes excessifs.

Situation très très difficile pour M. Johnson. Maintenant, on lui décrit la situation qui aurait lieu le 31 octobre si aucun accord n’avait lieu. Menacé de poursuites judiciaires éventuellement.

M. Dominic Grieve, l’ancien ministre de la Justice, avait demandé aussi à ce que soit divulguée la correspondance autour de la mesure, qui est donc désavouée par les tribunaux, d’interrompre, d’ajourner le Parlement pendant 5 semaines et ce M. Dominic Grieve, donc ancien ministre de la Justice sous David Cameron, c’est-à-dire donc une personnalité du Parti conservateur, dit qu’à sa connaissance, d’après ce qu’il a pu voir, cette correspondance – dont il a demandé qu’elle devienne publique – contient « les éléments d’un scandale » mais, bien entendu, le Parti conservateur, là, a refusé de diffuser ces documents, disant qu’ils étaient « de nature personnelle ». On a déjà entendu ça dans d’autres contextes.

Donc M. Boris Johnson qui, hier matin, était en position délicate, s’est retrouvé hier soir dans une position encore beaucoup plus délicate. Je vous tiens au courant.

***

Un petit commentaire d’ordre personnel. De 2005 à 2008, j’ai essayé d’alerter (sans avoir un blog à l’époque, simplement par des mails, par des courriers, en écrivant un livre), j’ai essayé d’annoncer, de prévenir, d’alerter à la crise des subprimes qui allait avoir lieu.

J’étais bien placé. Je me trouvais dans un secteur très proche [le secteur prime]. Puis j’ai travaillé dans le secteur même des subprimes, délibérément, une fois mon manuscrit non  pas publié mais terminé, et je n’étais absolument pas écouté.

Il y a eu quelques articles [à moi] publiés en 2005-2006 annonçant la crise mais de manière tellement confidentielle qu’il ne s’agissait pas vraiment d’alerter : il n’y avait pas assez de gens qui le voyaient.

Ce qui a paru était en français, ce qui encore n’était pas le meilleur moyen de faire circuler l’information aux États-Unis.

Bien sûr, mes collègues savaient ce que je disais. La plupart disaient d’ailleurs la même chose, ou faisaient circuler les informations que je mettais ensemble.

Les faits m’ont donné raison. Comme je le disais l’autre jour –  je rappelais encore hier qu’Aristote dit qu’on peut dire avec certitude de l’avenir, deux choses. Des choses nécessaires, on peut dire qu’elles auront lieu. Et ça, ça a été le cas de ce que j’ai essayé de faire avec la crise des subprimes. Et l’autre chose qu’on peut dire à propos de l’avenir, c’est que les choses impossibles ne peuvent pas avoir lieu : elles n’auront pas lieu, indépendamment du fait qu’une majorité du peuple, même importante, puisse voter pour des choses, des propositions impossibles, ça ne fait aucune différence : c’est impossible. C’est impossible = ça n’aura pas lieu.

J’ai répété au cours des trois années, depuis juin 2016 [date du referendum], j’ai fait des chroniques (dans le journal Le Monde ; j’ai fait des chroniques dans le journal L’Écho en Belgique ; j’ai fait des chroniques dans Trends-Tendances, le magazine des milieux d’affaires en Belgique) sur le Brexit. J’ai de quoi – là aussi, comme pour Trump – faire un volume en expliquant ce qui se passait au fur et à mesure.

Je connais bien l’Angleterre pour une raison différente [que les États-Unis]. Je n’ai pas travaillé dans la banque en Angleterre [P.J. si: un an dans la City à Londres] mais j’ai été, là aussi, au cœur du système d’une certaine manière : en étant un professeur à Cambridge (on peut difficilement être plus au centre de la vie intellectuelle en Grande-Bretagne). J’ai été là 10 ans. J’ai eu le temps de voir comment ça se passait.

Je voudrais remercier une personne, un « sujet britannique » comme on dit, qui m’a écrit, je crois que c’est hier… Cette personne réagissait au fait que j’ai dit (c’était avant-hier sans doute), que j’avais pleuré en regardant ce qui s’était passé au Parlement. C’était a disgrace. Voilà, c’était une tragédie. Ce n’est pas bien pour un pays d’en arriver-là (et encore, le petit document de la BBC que je vous ai montré était expurgé : on n’en était pas aux insultes pures et simples). C’est mauvais pour une nation.

C’est une grande nation. Elle a… entre 1940 et 1944, elle a servi d’exemple au monde. Pour les gens qui écoutaient secrètement la BBC dans les pays occupés, c’était important [P.J. le souvenir me revient alors de propos émus entendus de mes aînés, quand j’étais gosse]. C’était très important, sa résistance. Ça aidait tout le monde. C’était un exemple de persévérance, etc. (Tous les Britanniques ne sont pas des gens honorables. Je peux dire quelque chose, je dirais, de moins positif [rires] que j’ai dit quand j’étais jeune : dans une bagarre improvisée, je préférais de loin avoir des Français devant moi que des Britanniques parce que, voilà, ça se passe encore autrement… Voilà. C’est un petit élément un peu négatif [rires]).

Merci quand même à cette personne qui m’a donné des éléments d’information, qui m’a soutenu et moi, je l’ai soutenue à mon tour…

Nous sommes dans une période difficile : ce n’est pas avec plaisir que je vois ma « prophétie » se réaliser, que le Brexit est impossible. C’est avec tristesse.

C’était avec tristesse aussi les subprimes. Il est dommage que les gens qui crient « casse-cou » soient écoutés de manière distraite. J’ai été écouté de manière moins discrète pour le Brexit mais ça n’a pas fait beaucoup de différence. Je termine sur une petite note personnelle pour dire que tout ça ne me fait pas plaisir. Comme d’habitude, dans les tragédies, on voit l’humanité au mieux de sa forme et au pire de sa forme. Il y a, en Grande-Bretagne, des membres du Parti conservateur qui se conduisent de manière exemplaire et… héroïque…  bien que leurs opinions politiques ne soient pas ma tasse de thé, ni de café. Il faut le dire aussi.

Je continue de vous tenir au courant. Regardez la petite vidéo que j’ai faite à Trans-Mutation. Ce n’est pas mon exposé proprement dit. Mon exposé va venir (mon exposé devant la salle), mais là, c’est une petite capsule qui a été faite très bien par une personne qui s’occupait de ça, d’interviewer les intervenants sous forme de petite vidéo. Je parle de manière condensée de l’extinction – c’est une autre histoire, encore qu’elle soit liée malheureusement ! Si vous avez le temps de passer les 6 minutes à regarder ça…

Quand j’étais allé la fois précédente à Trans-Mutation, c’était il y a 7 ans sans doute, en 2012, on avait fait de la même manière (c’est la même personne d’ailleurs qui l’avait fait) une petite vidéo. Elle est bien regardée. Elle est très regardée. Elle fait partie de mes vidéos les plus vues que vous pouvez maintenant voir dans la colonne de gauche du blog.

Voilà, allez, à bientôt. J’espère pas « trop bientôt « parce que ça voudrait dire que les choses s’aggravent encore ici ou là dans un monde dont l’état présent ressemble fort à de l’effondrement.

Allez, à bientôt !

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @CORLAY Ah ! Cette publication sur les arbres vient donc redoubler votre intérêt dans cette activité du moment. Heureuses concordances.…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta