Retranscription de Brexit et apocalypse, le 3 septembre 2019. Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le mardi 3 septembre 2019 et cela fait plusieurs jours, peut-être même une semaine, que j’ai envie de vous faire quelque chose sur le Brexit.
Quand je parle du Brexit, il y a deux choses qui me retiennent : d’abord, c’est le fait que l’actualité change de minute en minute depuis pas mal de temps et donc il est difficile de faire un point sans se dire que ce sera obsolète, dépassé, dans les heures qui suivent, mais je vais quand même le faire. La seconde raison, c’est le fait que, comme mes vidéos sur Trump, mes vidéos sur le Brexit vous intéressent beaucoup moins.
Je parle personnellement volontiers de la Grande-Bretagne. C’est un pays où j’ai habité 11 ans. Je parle volontiers aussi des États-Unis, un pays où j’ai habité 12 ans, que je connais bien. Mais enfin, il y a encore moyen d’habiter 11 ans dans un pays sans comprendre comment ça marche. Dans les deux cas, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, j’étais d’une certaine manière dans le réacteur – pas exactement le même réacteur. Aux États-Unis, vous le savez, j’étais au cœur du système financier lié aux prêts individuels, aux prêts au logement essentiellement, donc j’étais vraiment très près du cœur du réacteur dece qui allait provoquer la crise des subprimes. Ma connaissance de la Grande-Bretagne de l’intérieur, c’est plutôt lié au fait de m’être retrouvé – ce qui n’est pas évident pour un étranger – au cœur des institutions les plus élitistes du pays en étant accepté d’abord comme étudiant thésard à l’Université de Cambridge puis en y étant nommé jeune professeur.
De toute manière, même si je n’avais pas été au sein du réacteur des deux côtés, je crois que je me serais intéressé à ces pays : je m’intéresse à beaucoup de choses [rires]. Quand j’habitais dans un pays africain, je me suis fort intéressé à ce qui se passait dans ce pays : je ne suis pas du genre à être indifférent à ce qui se passe autour de moi, vous avez dû le remarquer si vous regardez un peu mes vidéos, si vous lisez ce que j’écris.
Pourquoi est-ce que tout ce qui se passe aux États-Unis et en Grande-Bretagne est plus important que vous ne l’imaginez peut-être ? C’est parce que, quand on parle d’effondrement, quand on parle de collapsologie et quand on parle d’apocalypse, tout le monde est d’accord que le risque existe mais, en même temps, quand on en parle aux gens – et je l’ai vu récemment – les gens ont l’impression que cet effondrement, il viendra « comme un voleur à la faveur de la nuit », qu’on se réveillera un matin et qu’on se dira : « Zut ! Tout s’est effondré ». Les gens n’imaginent pas qu’il y ait des évènements qui vont provoquer l’effondrement, qu’il y ait des pans entiers qui vont tomber, et quand je dis que M. Trump est un des éléments qui peut produire un effondrement d’un pan entier, par exemple en déclarant une guerre thermonucléaire, ou en faisant… il y a tellement de choses qu’il fait qui sont dangereuses, difficile d’en faire la liste. Et ça peut être aussi le Brexit : ce Brexit sans accord, c’est une catastrophe qui peut avoir des ramifications qui peuvent provoquer une réaction en chaîne, un effet boule de neige, quelque chose de « thermonucléaire » à sa façon.
Donc je comprends mal votre indifférence. Ça doit être lié à ce sentiment que l’effondrement, cela reste quelque chose d’assez vague, de difficile à visualiser mais que ce ne soit pas lié à des évènements précis comme ceux qui se déroulent sous nos yeux.
Après avoir dit ça, je ne vais pas entrer trop dans le détail de ce qui se passe en Grande-Bretagne mais je vais essayer de justifier quand même pourquoi là, on est au bord de quelque chose, d’une bombe à retardement, qui est quelque chose d’extrêmement dangereux.
M. Boris Johnson, nouveau Premier Ministre, fait comme M. Trump aux États-Unis : il teste, à partir de l’exécutif, la résistance du législatif en tant que contre-pouvoir et ils le font tous les deux dans la même perspective, que d’une certaine manière, l’exécutif qui les a mis au pouvoir représente le « Peuple » bien davantage que les institutions, en particulier le législatif qui, lui, serait une sorte d’émanation des élites par le système de représentation, délégué, par le fait que les gens votent et qu’il y ait des gens qui les représentent.
Quand on parle des États-Unis, avec des gens comme Mme Ocasio-Cortez, un certain nombre d’autres personnes : M. Sanders, Mme Elizabeth Warren, il est difficile d’avoir cette image de représentants du peuple qui seraient des gens qui, par définition, seraient opposés au « Peuple » entendu comme l’authentique source du pouvoir – qui aurait été privé de sa capacité de faire des choses.
Il est vrai – et j’en parle assez souvent – j’en parle presque, je dirais, dans chacune de mes vidéos récentes, il est vrai que les partis de pouvoir dits « civilisés » ont fait un très très mauvais boulot au cours des quarante dernières années. Ils se sont détachés dans les décisions qu’ils ont prises de la population en tant que telle. Ils ont laissé se créer des écarts. Ils n’ont rien fait, et parfois même, ils ont accéléré la concentration des richesses. Ils n’ont rien fait pour l’empêcher. Ils ont mis même en place – et c’est le paradoxe en France – c’est sous M. Mitterrand que se sont mis en place les grands mécanismes de concentration de la richesse.
C’est vrai que les pouvoirs élus n’ont pas un bon track-record comme on dit en anglais : ils n’ont pas grand-chose à montrer pour justifier qu’ils représenteraient véritablement la nation en tant que telle. Et M. Johnson, et M. Trump, jouent le jeu de dire : « Voilà, nous, nous représentons le Peuple en tant que tel » et, dans le cas de Johnson, de dire : « Le peuple a voté par 51,89 % pour la sortie de l’Union européenne donc je vais le faire quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse ! ».
Il s’oppose bien entendu non seulement aux partis d’opposition qui seraient plutôt contre : le parti Labour, travailliste, est divisé, le parti SNP (Scottish National Party) qui représente les nationalistes écossais unis autour de cette idée de ne pas sortir de l’Union Européenne de même que les LibDems, les libéraux démocrates. Il nous dit : « Je vais le faire puisque j’ai le pouvoir de le faire ». Mais s’opposent à ça un certain nombre de gens, même dans son camp, qui disent : « Oui, mais le référendum n’a pas donné un mandat pour sortir de l’Union Européenne sans accord ! », avec tous les risques qui sont associés éventuellement, risques qui ne sont pas simplement des choses qu’agite l’opposition au Brexit mais des rapports internes qui fuitent et qui montrent le chaos qui pourrait avoir lieu le 31 octobre en cas de sortie de l’Union Européenne sans accord : des queues invraisemblables aux frontières, des pénuries de médicaments, des pénuries d’alimentation… Le pays, depuis l’intégration dans l’Union européenne, s’est habitué et, détricoter un si grand nombre de choses qu’il est très difficile de changer ça du jour au lendemain, sans compter la chose sur laquelle j’insiste moi depuis le départ, pour avoir vécu en Angleterre pendant 11 ans, pour avoir « vécu » la guerre civile en Irlande du Nord, et pas simplement en Irlande du Nord…
… Tiens, je vais vous raconter une anecdote. Je travaille à Londres. Ce n’est pas dans la City à cette époque-là mais ce n’est pas loin [de la City]. Je travaille pour un certain David Freud qui est un petit-neveu de Sigmund Freud et nous nous trouvons dans la situation suivante, c’est qu’il y a des attentats à cette époque-là, il y a des attentats. On est au milieu des années 90. Il y a des attentats de l’IRA à Londres. Il y a des bombes qui sont placées un peu partout. L’IRA a toujours la même stratégie. Elle dépose une bombe. Elle situe à peu près là où ça se trouve, quitte aux gens de prendre leurs jambes à leur cou et, pour que la police essaye de désamorcer ça.
Je me trouve donc dans cette entreprise et on apprend qu’un établissement qui est à la fois un café, un magasin mais qui appartient aussi à David Freud [198 Shaftesbury Avenue, London, WC2H 8JL], qu’il y a une bombe juste à proximité. Et David me regarde, moi et son collaborateur, et dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? ». Après avoir réfléchi un petit peu, il dit : « On y va ! ». Et son collaborateur dit : « Non, moi, écoutez, j’ai des enfants. Je n’y vais pas ! ». Moi j’ai dit : « J’y vais ! » (j’avais des enfants aussi [rires]). J’ai dit à David Freud : « On va y aller. On ne peut pas laisser le personnel comme ça, se disant que ça va péter ! ».
Et alors, bien entendu, il y a des cordons de police. On ne peut pas aller à l’endroit qui est à l’intérieur du cordon, qui est circonscrit. Il me dit : « Je connais une ruelle ». On prend une petite ruelle par derrière. Il faut monter un petit peu sur des trucs et puis redescendre de l’autre côté. On se retrouve [quand même] dans ce magasin/restaurant et, la première chose qu’on constate… – enfin, on le savait ! – il y a une grande verrière au-dessus et tous les gens [le personnel du magasin et du café] sont assis [juste] en-dessous, les gens qui travaillent là-dedans. On leur dit : « Restez pas là ! Restez surtout pas là ! » [ils auraient été transpercés par les éclats de verre s’il y avait eu une explosion]. On dit aux gens d’aller se planquer. Et voilà : on a passé quelques heures là à attendre que la police vienne nous dire qu’on avait trouvé la bombe et qu’on pouvait sortir.
Quand je vous dis depuis des mois et mois, depuis le vote du référendum, que je sais ce que c’est la guerre civile en Irlande du Nord, je n’ai jamais pensé à ça ! Je n’ai jamais pensé à cet incident. J’ai toujours eu le sentiment que c’était de connaître un peu l’Irlande : d’être allé dans le County Sligo [et le County Mayo], à la frontière des deux, mais je ne pensais pas à ça. C’est vrai, j’ai vécu, moi, et dans une situation, dans ce cas-là, qui était un peu dangereuse : j’ai « vécu » cette guerre civile. C’est pour ça que j’y attache tant d’importance.
Et c’est que M. Johnson s’en fout. Il parle de ce [Irish] backstop. Il y a des rapports qui sont faits sur ce backstop, c’est-à-dire une situation de rechange dans le cas d’une sortie de l’Union Européenne et tout ça ne vaut pas un clou ! Un rapport qui vient de fuiter montre qu’il n’y a pas de solution connue véritablement pour cette situation.
Tout ça confirme d’abord ce que je vous dis dès le départ : ce n’est pas faisable ! Ce Brexit n’est pas faisable sur un plan économique et ce serait une catastrophe. Cela relancerait certainement les troubles en Irlande du Nord, pas simplement mes petites aventures à moi en rapport avec ça.
Voilà, je vais continuer à vous tenir au courant. Il y a une réunion importante ce soir. Je voulais encore attendre demain matin mais, bon, comme je dis : il faut mettre ça à jour toutes les 10 minutes ! M. Johnson menace les gens qui s’opposeraient à lui à l’intérieur de son parti de les démettre de leurs fonctions de parlementaire du Parti conservateur et, là, ce matin en particulier, il y a véritablement une fronde. C’est Philip Hammond, un ancien ministre, soutenu par David Gauke, aussi un ancien ministre, qui sont des Conservateurs et qui sont contre Johnson. S’ils ne sont pas pour s’opposer au Brexit et à un second référendum, en tout cas, ils sont contre une sortie en force. Face à eux, il y a un certain M. Dominic Cummings qui joue un peu le rôle qu’a joué à une époque Steve Bannon aux États-Unis pour Trump, qui est une espèce d’âme damnée, qui menace, qui a viré des collaborateurs d’un ministre [du Chancellor of the Exchequer, le ministre des Finances], à l’insu de ce ministre. C’est la personne qui menace de démettre du Parti conservateur des gens qui comme Phil Hammond ont répété ce matin qu’ils sont à l’intérieur du Parti conservateur où ils ont joué un rôle important en tant que ministres depuis 45 ans, que c’est pas un type qui n’a même pas une carte du parti qui va les virer [PJ : il le fera le lendemain, pour 21 piliers du parti]. Quand le reporter de la BBC demande à ce monsieur [Phil Hammond] s’il envisage des mesures de type juridique pour se défendre, il répond oui.
Donc, voilà où on en est. Ce n’est pas une guerre civile qui se prépare, au sens où ça pourrait l’être aux États-Unis, où les partisans de Trump sont des gens surarmés, qui sont des fanas des kalachnikovs ou de fusils d’assaut équivalents de modèle américain mais il y a une opposition autour des institutions (je suis distrait par une mouche), des institutions démocratiques de type classique avec parlement, ministres, cabinets ministériels, Premier ministre, etc.
Quand je dis, quand j’attire votre attention sur des choses comme ce Brexit bâclé éventuellement le 31 octobre, comme certaines décisions de Trump comme étant des déclencheurs éventuels de ces grands effondrements dont on parle, auxquels je reproche à certains d’entre vous de refuser de le visualiser, refuser de l’associer à des évènements précis. Ce Brexit a le potentiel d’une déflagration pas seulement pour la Grande-Bretagne, pour le Royaume-Uni, mais éventuellement pour nous aussi, pour l’Europe, et vous le savez bien.
C’est ça la stupidité de M. Trump, qui ignore que le marché boursier, que le marché financier, que le marché des capitaux, c’est un truc international. Tout le monde devrait le savoir : c’est complètement mondialisé. Il ne peut pas, avec des murailles, avec des décisions unilatérales, il n peut pas dire, comme il l’a fait l’autre jour : « J’ordonne par la présente que les entreprises américaines cessent de faire du commerce avec des entreprises chinoises ! ».
Il peut le dire mais il passe simplement pour un fou comme quand il dit : « Je suis l’élu ! » ces jours-ci. (Certaines personnes attendent de voir s’il bascule complètement dans la psychose ou non avec des déclarations de ce type-là).
On n’en est pas là avec M. Johnson. M. Johnson se présente comme un voyou, un démagogue du côté du « Peuple ». Comme je l’ai déjà souligné, M. Johnson n’a pas les références de M. Trump. M. Trump est un faux parvenu, « faux » parce qu’il a reçu l’argent de son père malgré qu’il prétende que c’est lui qui a tout fait, mais c’est un nouveau riche. Il a une prétention, d’une certaine manière, d’être vraiment du populo. M. Johnson absolument pas : c’est quelqu’un qui a des aristocrates dans [son ascendance], qui est passé par Eton, qui est passé par Oxford. Ce monsieur n’a aucune référence crédible pour se présenter comme un « défenseur du Peuple », sauf peut-être un tribun comme les Gracques, qui tout à coup prennent le parti du Peuple. Mais, pour avoir une certaine crédibilité de ce côté-là, il faudrait qu’il fasse encore beaucoup de choses et, surtout, qu’il se préoccupe du bien commun, ce qu’il n’est absolument pas en train de faire.
Voilà, allez, un [billet] quand même sur le Brexit. Comme je vous l’ai dit : j’étais un peu hésitant à le faire. Je l’ai fait quand même. Allez, à bientôt !
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