Ouvert aux commentaires.
Le Brexit, le « Peuple » et les parlementaires
Les États-Unis et le Royaume-Uni se trouvent aujourd’hui en situation périlleuse pour la même raison : les deux nations ont à leur tête un dirigeant décidé à étendre son pouvoir, celui que lui confère le fait d’être le chef de l’exécutif, au détriment du pouvoir législatif traditionnellement réservé aux parlementaires, désignés constitutionnellement comme un contre-pouvoir.
Seule différence entre eux aujourd’hui, Johnson essuie revers après revers, alors que Trump a eu l’habileté de prendre à contre-pied le Congrès, le parlement de son pays, grâce à une tactique dont il fait un usage systématique. Le président américain tire ainsi parti du fait qu’il existe une importante zone de non-dit dans le fonctionnement ordinaire des institutions démocratiques. Cette zone muette doit son existence au présupposé que l’on ne peut devenir Président si l’on ignore la common decency, les bonnes manières. Trump feint l’ignorance et s’engouffre dans la brèche de ce non-dit. Ainsi quand il s’enquiert s’il lui est possible de s’accorder la grâce présidentielle à lui-même. S’entendant confirmer qu’aucun texte n’interdit explicitement une hypothèse aussi loufoque, il laisse entendre qu’il n’hésitera pas alors à s’en faire bénéficier.
La justification qu’offrent Trump et Johnson de leurs incursions est la même : la revanche du « peuple » injustement spolié. Les parlementaires auraient négligé leur devoir de représentation pour se consacrer à la défense seulement des intérêts de leur « clique », ou dit de manière moins polémique : du groupe socio-économique auquel ils appartiennent.
Un tel reproche ne date pas d’hier, il fait partie de l’arsenal de propagande du populisme de tous les temps. Au début de l’occupation allemande, Henri de Man, principal conseiller de Léopold III, déclare : « La guerre a amené la débâcle du régime parlementaire et de la ploutocratie parlementaire dans les soi-disant démocraties. Pour les classes laborieuses et pour le socialisme, cet effondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance ».
Ce qui ne veut pas dire pour autant que le reproche d’égocentrisme adressé à la classe des parlementaires soit entièrement injustifié. Les enquêtes menées à l’occasion de la récente jacquerie des Gilets jaunes ont mis à jour un véritable délitement des classes moyennes, débouchant sur une société « en haltère » où s’observent en chiens de faïence, d’un côté, une frange importante de nantis et de l’autre, une population considérable d’individus à la dérive, sans qu’il n’y ait plus grand monde comme trait d’union entre les deux groupes. D’où le sentiment qui se développe parmi les laissés-pour compte, que les parlementaires ne s’occupent que des petits soucis des « élites », les gagnants du monde d’aujourd’hui, alors qu’ils négligent leurs gros soucis à eux, victimes d’un nouveau « Malheur aux vaincus ! ».
Un conflit violent entre exécutif et législatif n’est pas une nouveauté pour les Britanniques puisque c’est l’affrontement entre Charles 1er et son parlement qui fut à l’origine de la grande Révolution anglaise (1642-1651), débouchant sur le gouvernement d’Olivier Cromwell. Mais le rappel de cette tragédie historique souligne à quel point de telles luttes de pouvoir sont rares et reflètent des périodes hors du commun sous de multiples aspects. Tel est bien le cas aujourd’hui : un réchauffement climatique unique dans l’histoire récente voit se succéder sur un même été plusieurs canicules, événement décennal autrefois ; des îlots en Europe auront connu en 2019 des températures dépassant les 40°, seuil à partir duquel la végétation « rôtit » littéralement ; ces jours derniers l’ouragan Dorian a pratiquement rayé de la carte plusieurs îles des Bahamas.
Dans un tel contexte, profondément fragilisé, à la merci de moissons médiocres et de la dévastation causée par des événements météorologiques extrêmes, les sursauts d’un monde politique passablement déboussolé trouvent un terrain où l’onde de choc qu’ils créent peut se répercuter loin de son point d’origine.
Si l’on évoque désormais le risque d’un effondrement généralisé, on oublie que ce sont de réels événements qui le précipiteront. Accordons du coup toute l’attention qu’il mérite au Brexit dans sa capacité de déclencheur éventuel d’une catastrophe. Géré de manière calamiteuse par des apprentis-sorciers, rien ne l’empêche d’être « l’étincelle qui met le feu à la plaine ». Soyons vigilants !
Laisser un commentaire