« La chute de la Bourse hier fait craindre une crise obligataire ! » C’est quoi ?

Tous vos journaux parlent à propos du plongeon hier des Bourses de « crise obligataire ». De quoi s’agit-il ?

Je vous l’ai déjà expliqué dans une vidéo l’année dernière : Grandes prophéties : Fin du capitalisme (2009), le 11 octobre 2018, je vous recopie la partie qui répond à la question.

« On va avoir [on a] des obligations en quantité, ces obligations auront [ont] un prix, et ce prix baissera si les taux augmentent. Alors, en général, on vous dit, quand vous demandez une explication – « Pourquoi est-ce que, quand les taux augmentent, le prix des obligations baisse ? » – on dit : « Ben, c’est comme ça, voilà, et au contraire, si le prix des obligations augmente, eh bien, les taux d’intérêt baissent. » On ne vous explique pas pourquoi. Alors moi, je vous ai expliqué ça un million de fois, mais bon, je le répète encore aujourd’hui parce qu’il y a des gens qui verront ça pour la première fois.

Pourquoi est-ce que, quand les taux d’intérêt augmentent, le prix des obligations baisse ? Eh bien, c’est très simple, c’est la chose suivante : c’est que des obligations circulent. Voilà : des obligations circulent, par exemple à du 2 %. Si, tout à coup, sur les marchés, vous pouvez obtenir du 3 %, eh bien, votre obligation, elle vaudra moins. Elle vaudra moins qu’une obligation qu’on émet aujourd’hui à du 3 %. Pourquoi ? C’est bien simple : parce que, dans les années qui restent, ça ne vous rapportera que du 2% au lieu de 3 %. Donc, son prix baisse : son prix baisse parce qu’il se compare à celui d’obligations avec un meilleur rendement, un meilleur coupon : avec un taux d’intérêt plus élevé. Voilà le mécanisme mystérieux qu’aucun livre d’économie ne vous explique et qui pourtant est très, très simple. C’est quand même assez simple à comprendre !

Par ailleurs, qu’est-ce qui fait qu’un taux augmente ? Il y a deux choses qui peuvent faire augmenter les taux de manière générale – les taux flottants, ceux qui ne sont pas déterminés par une banque centrale. Parce que la banque centrale peut déterminer – ça fait partie de la définition de son rôle, de sa fonction – elle peut déterminer les taux à très court terme. Par exemple, ce qu’elle prête d’un jour sur l’autre, elle peut déterminer à quel taux ça se fait. Elle n’a pas d’influence, véritablement, sur les taux beaucoup plus longs [2, 5, 10, 30 ans], sauf à acheter en grande quantité des obligations ou à en vendre, parce que, bien entendu, s’il y a beaucoup de demande pour les obligations [les emprunts d’État], les États peuvent les émettre à des taux moins élevés puisqu’il y aura, de toute façon, des gens pour les acheter [c’est-à-dire pour prêter à l’État qui cherche à emprunter]. Tous ces mécanismes sont en fait extrêmement simples. C’est un rapport de force entre le prêteur et l’emprunteur. Si on disait ça simplement aux enfants des écoles, ils comprendraient tout de suite comment se déterminent des prix, des taux, des choses de cet ordre-là, des choses financières qui varient.

Les taux peuvent augmenter pour deux raisons. Parce que l’économie va mieux : quand l’économie va bien, eh bien, les gens qui ont emprunté de l’argent pour faire des choses ont pu faire gonfler cet argent, faire un profit, et ils sont dans de bonnes dispositions pour partager d’une manière, je dirais équitable, entre eux et les gens qui leur ont prêté, le fruit, le bénéfice d’avoir pu emprunter de l’argent.

C’est un vieux principe [P.J. celui du métayage] que j’ai expliqué aussi dans pas mal de bouquins – je crois que je le rappelle précisément dans ce livre qui s’appelle Le capitalisme à l’agonie – c’est la mise en commun, par un propriétaire et par un paysan au départ, ou un pêcheur qui a besoin d’un bateau. La mise en commun : l’un va prêter son capital (parce que c’est ça un capital : de l’argent qu’on prête) et l’autre va apporter du travail, et on va partager le fruit du travail entre celui qui a fait des avances en capital et celui qui a fait des avances en travail. C’est le même principe qui explique pourquoi il y a des dividendes qui sont distribués par les sociétés à actions, et des choses de cet ordre-là. Tout ça finalement, il y a des mécanismes extrêmement simples qu’on peut expliquer sur cinq à dix pages, pas moins malheureusement, ce qui permet à des thèses complotistes qui font moins que cinq pages (par exemple, une seule phrase) d’essayer de prendre la place d’une explication de ce type-là.

Donc, les taux peuvent augmenter parce que l’économie va mieux, parce que tout le monde a plus d’argent, parce que le capital rapporte davantage – c’est-à-dire qu’entre le capital investi et ce qu’on produit à l’arrivée, ça produit davantage, on peut payer des intérêts plus élevés, on peut payer des dividendes plus élevés. Les sociétés peuvent payer des dividendes plus élevés quand ça s’est bien passé, quand elles ont fait beaucoup d’argent. Tout ça, ce sont des mécanismes élémentaires.

Donc, les taux peuvent augmenter quand l’économie va mieux, mais les taux peuvent monter également quand l’économie va plus mal. Alors, ça, c’est paradoxal, mais c’est parce qu’il y a un autre mécanisme. L’autre mécanisme, ce n’est pas simplement la richesse qu’on va partager, c’est le fait que le prêteur court un risque. Le risque, c’est qu’on ne lui paie pas les intérêts, c’est qu’on ne lui rembourse pas l’argent. Alors, quand les choses vont mal, le prêteur va quand même prêter, mais il va se constituer une cagnotte au cas où on ne le rembourserait pas. Il va demander des taux d’intérêt plus élevés. La différence, à l’intérieur du taux, c’est ce qu’on appelle la prime de risque de crédit, la prime liée au risque que ce ne soit pas remboursé. Voilà.

Quand on demande à l’État grec qu’il emprunte à du 60%, et qu’on est en 2010 ou en 2012, ce n’est pas parce que la Grèce va soudain si bien qu’elle peut payer 60% de la somme en plus pour avoir emprunté. Non, c’est parce qu’elle va si mal que, pour lui prêter, on demande une prime de risque extraordinaire, de l’ordre de 60%. Si on compare à l’époque, je ne sais pas, un taux quelconque, voilà, pour du trois mois, le taux pour l’Allemagne, ça doit être du 0,75% (je dis ça à tout hasard mais je ne dois pas être très, très loin), si à la même époque, on prête à la Grèce pour du 60%, 60% moins le 0,75% qu’on considère normal pour l’Allemagne, c’est la prime de risque à l’intérieur du taux [59,25%].

[…] on se met [on s’est mis] dans une situation où l’économie ne peut pas aller mieux parce que sinon, le prix de toutes les obligations va baisser – les taux vont augmenter et le prix des obligations déjà en circulation va baisser de manière massive – et on ne peut pas non plus être dans une situation où les choses vont plus mal, parce qu’à ce moment-là, les primes de risque augmentent, les taux augmentent aussi, et le prix des obligations, de la même manière, baisse aussi dans la même proportion. Donc on se cale dans une situation où l’économie ne peut que stagner : si elle va mieux, tout va s’effondrer, et si elle va plus mal, tout va s’effondrer aussi. On s’est mis – j’ai employé l’image, sans doute à l’époque et je l’ai reprise depuis, selon un fameux gag de Quick et Flupke – on a peint le sol de la pièce en oubliant qu’il ne fallait surtout pas se coincer dans un coin au moment où on termine la peinture. […] on se trouverait [on se trouve] dans une situation où une crise obligataire pourrait [peut] faire s’effondrer totalement le système. »

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