Ça sent le roussi ! Est-ce qu’on va bouger à la limite ?. Ouvert aux commentaires.
Après la France, le record absolu de température, le plus élevé jamais mesuré en Belgique depuis 1833 vient de tomber.
Que se passera-t-il si cette tendance se poursuit ? Pour le comprendre, il faut faire un raisonnement « à la limite ». Que se passe-t-il si je laisse ma casserole sur le feu « indéfiniment » ? Ben c’est simple, mon repas est carbonisé. Que se passera-t-il si je laisse le robinet couler dans ma baignoire (et qu’il n’y a pas de trop plein). Ben c’est simple, elle finira par déborder. Ainsi, même dans le monde incertain qui est le nôtre, on peut prédire avec un degré de certitude quasiment absolu « ce qui se passera si un phénomène se poursuit », sous-entendu « si nous n’arrêtons pas ce phénomène », simplement on examine ses conséquences graduelles, et en les extrapolant.
Ainsi, à la question « Que se passera-t-il si les températures continuent à augmenter », sous-entendu « si nous n’arrêtons pas nos émission de gaz à effet de serre » ? On peut répondre sans trop de risques : « il se passera les changements que nous observons déjà graduellement, qui font s’amplifier de plus en plus fort ». Pour un exemple concret, c’est facile, il suffit de s’informer sur l’urbanité des gens en Inde lorsque les températures atteignent 50°C et qu’il n’y a plus d’eau. Entre 46°C et 50°C, il y a ? oui c’est très bien : 4°C, c’est assez facile à extrapoler.
Mais il y a une astuce : le franchissement de seuils d’irréversibilité. Ainsi, pendant un certain temps, laisser son repas sur le feu ne le gâchera pas. Mais à un moment donné, « ça brûle ! », et le repas est irréversiblement carbonisé. De la même manière, le robinet d’eau peut couler longtemps dans une baignoire, qui se remplira sagement, jusqu’à ce l’eau parvienne au niveau du bord, et que ça déborde.
Pour le climat c’est pareil. Jusqu’ici nous avons observé avec des yeux placides (bovins je dirais mais je ne veux insulter personne) l’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation concomitante des températures partout dans le monde, y compris chez nous, et – ce n’est pas fini – l’augmentation des dégâts causés par l’élévation constante de ces températures (cf. les vignes brûlées au chalumeau en France). Le repas cuit, la baignoire se remplit, tout va bien !
Sauf, sauf ! Sauf que sur Terre, il y a aussi des « effets de seuil » et les franchir peut se révéler irréversible. Ainsi, si nous continuons, nous pourrions assister à des phénomènes « non-linéaires », ces hausses brutales de température et du cortège de catastrophes qui les accompagnent. Jusqu’à même basculer dans un état terrestre inconnu pour notre espèce, selon certains scénarios scientifiques : la Terre-étuve.( Steffen W. et al, Trajectories of the Earth System in the Anthropocene, PNAS, August 14, 2018, 115 (33), pp. 8252-8259. “Hothouse Earth is likely to be uncontrollable and dangerous to many, particularly if we transition into it in only a century or two, and it poses severe risks for health, economies, political stability (12, 39, 49, 50) (especially for the most climate vulnerable), and ultimately, the habitability of the planet for humans.”)
Souvenez-vous, le franchissement de seuil : le repas carbonisé, la baignoire qui déborde : on voit bien qu’on change instantanément de monde dans lequel on vit.
Alors oui, « ça sent le roussi ». On a déjà beaucoup essayé d’expliquer les risques d’effondrement et la nécessité d’une société écologique, soutenable et décarbonée. On l’a dit en écrivant, en chantant, en se menottant à la grille d’un parlement ou en discutant avec son entourage. Comme je pense que notre compréhension bute encore un peu sur ce raisonnement d’extrapolation « à la limite », j’ai envie d’essayer en langage mathématique, en équations. Et même d’essayer de montrer au passage qu’en principe, la collapsologie remplit potentiellement au moins une condition pour être reconnue à terme comme une science : faire des propositions réfutables (sous condition qu’elle y parvienne avant un éventuel « effondrement scientifique »). Attention, utiliser le langage mathématique ne signifie pas qu’on a raison, comme Paul Jorion l’a montré avec les facétieux économistes. Mais les mathématiques peuvent aider à poser le débat logique. Le lecteur excusera l’ironie mathématique qui transparait éventuellement de mes formules, l’humour me permet de rester sain d’esprit malgré la chaleur.
Proposition 1 :
Où t est le temps, x et y sont les coordonnées géographiques
Cette expression mathématique se lit comme suit : La limite, lorsque le temps tend vers l’infini, de la probabilité de franchissement d’un seuil écologique irréversible au lieu x, y, sous condition de trajectoire carbone inchangée, est 1, c’est-à-dire la probabilité certaine.
A trajectoire inchangée d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, plus le temps passe plus la certitude de franchir un seuil écologique irréversible augmente au niveau local.
Proposition 2 :
Où s est le nombre de seuils écologiques irréversibles franchis sur Terre.
Plus le temps passe et plus nous franchissons des seuils écologiques irréversibles sur Terre, plus le risque d’effondrement écologique au niveau local augmente. A contrario, plus vite nous atteignons une société soutenable au niveau mondial, plus nous réduisons ce risque à terme en tout lieu. Chacun a donc intérêt à ce qu’on ne franchisse aucun seuil écologique nulle part.
Proposition 3 :
Plus le temps passe et plus le nombre d’effondrements écologiques d’écosystèmes sur Terre augmente, plus la probabilité d’un effondrement sociétal local se rapproche de la certitude. Les Européens ont donc un intérêt objectif au maintien de la forêt amazonienne, des rizières chinoises et de la Grande barrière de corail australienne.
Proposition 4 :
Plus le temps passe, plus un effondrement sociétal local a de chances de mener au décès des habitants de ce lieu.
Autrement dit : à mesure qu’on retire un à un les boulons d’un avion en plein vol, la probabilité de décès en plein vol augmente.
Proposition 5 :
Plus le temps passe, l’humain étant mobile, plus la probabilité de migrer pour quitter un lieu effondré sociétalement vers un autre lieu augmente.
Proposition 6 :
Où e est le nombre d’effondrements sociétaux sur Terre
A mesure que le temps passe, la probabilité de guerre en tout lieu augmente en fonction du nombre d’effondrements sociétaux sur Terre. Je fais l’impasse sur la probabilité de décès en cas de guerre, cas trivial.
Proposition 7 :
L’espèce humaine est certes condamnée à disparaître un jour ou l’autre… même si elle parvient à la soutenabilité mais…
Proposition 8 :
Où T signifie une durée de temps arbitrairement longue.
…nous avons beaucoup plus de chances de survivre longtemps en tant qu’individu et espèce si nous mettons en œuvre collectivement une société mondiale soutenable et décarbonée le plus vite possible.
La conclusion de tout ceci est toujours la même : ça sent le roussi, la baignoire va déborder : bougeons nous tant qu’il est encore temps ! Plus vite on bougera, mieux ce sera pour nous tous !
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