« Il faut « politiser » l’effondrement comme une menace et un risque, et pas le dépolitiser comme une certitude monolithique abstraite. » Ouvert aux commentaires.
Au commencement était le verbe. Les idées gouvernent le monde, c’est assez admis. Donc ceux qui gouvernent les idées gouvernent le monde. Les idées sont des instruments de pouvoir, de la puissance d’agir spinozienne qui témoigne de l’émancipation vertueuse d’un individu, à la propagande totalitaire qui aliène et fait s’entretuer les masses, en passant par le fonctionnement de la science.
L’histoire de l’Eglise catholique est une mine d’or pour nous instruire sur le phénomène de lutte pour l’hégémonie d’un courant d’idées -une idéologie- qui est toujours instrumental pour asseoir le pouvoir d’une certaine faction au sein de la population, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire. Du « vote sur le sexe des anges » des Pères de l’Eglise à la Sainte Inquisition en passant par la vertu de la Vierge Marie, des homosexuels, des femmes et des enfants, les croisades et la pilule contraceptive, on trouve tout le vocabulaire de la lutte pour l’hégémonie des idées : hérésie, schisme, apostasie, hétérodoxie, secte, blasphème, excommunication, torture, bûcher, repentir, abjuration et autres joyeusetés civiles et urbaines de droit canon, urbi et orbi.
Pauvre Emmanuel Kant, il est encore loin l’âge de la majorité pour l’humanité, l’âge où l’autonomie (la loi fixée et librement acceptée par soi-même) remplacera l’hétéronomie (la loi transcendante, externe, en pratique fixée la plupart du temps par les dominants dans la société) !
Plus la période historique est chahutée, plus penser, parler et écrire est risqué. Car les factions qui dominent la société se culbutent les unes les autres. Paul Jorion nous l’a illustré avec son commentaire de la vie et des pensées d’illustres acteurs de la Révolution française. A ce moment, il est risqué de vexer quiconque, car on a vite fait de se retrouver sur l’échafaud. L’ambiguïté devient un réflexe de survie (cf. la vie de Talleyrand pour une leçon de survie en période chaotique).
Pour réduire une idée à néant, pour la rendre « impuissante » à affecter les rapports de force, comme encore aujourd’hui peu de gens écoutent et lisent vraiment dans le texte, le plus commode est d’excommunier publiquement son porteur. Excommunier, c’est assez simple, ça commence à l’école primaire entre camarades d’école : il suffit d’apposer une « étiquette » sur quelqu’un qui pense, parle et agit, et de rendre cette étiquette détestable aux yeux du groupe. L’insulte est souvent utilisée mais parfois, on transforme le mot descriptif en insulte. Manant, pauvre, hérétique, économiste hétérodoxe, néo-malthusien, Gilet jaune, bourgeois, Juif, Nazi, gauchiste, fasciste, Belge, gros ou blonde, la liste des étiquettes est interminable. Alors le groupe peut « mettre en quarantaine », voire même « éliminer physiquement » celui qui a été adéquatement « étiqueté », afin que ses idées « subversives » cessent de « corrompre » le groupe. Entre le système immunitaire du corps humain et le système immunitaire de la culture humaine, il y a pas mal de similitudes de processus.
Parfois néanmoins, l’idée minoritaire finit par supplanter le régime culturel dominant. La secte devient religion d’empire. L’idée est inscrite au fronton des institutions : Liberté, Egalité, Fraternité. Etc.
Nous vivons une époque chahutée. Sans doute autant que d’autres à d’autres époques mais malgré tout différente dans le sens où l’idée du suicide de l’espèce n’est plus une fiction depuis au moins la bombe atomique. Le régime dominant des idées est contesté. Ça craque et ça se fissure. Dès lors les luttes politiques prennent une saveur particulière. La bataille des idées pour l’hégémonie culturelle a en effet pour enjeu notre survie à tous au pire, notre qualité de vie à beaucoup, au mieux. On deviendrait Jeanne d’Arc ou Jésus pour moins que ça.
Pour contrer le régime culturel hégémonique vieux de 50 ans, deux siècles, trois ou quatre voir 200.000 ans, selon les interprétations sur les causes de la situation où nous nous trouvons (néolibéralisme, capitalisme, colonialisme, cartésianisme, catholicisme, impérialisme, patriarcat, expansionnisme et prédation darwinienne), on a essayé de propager bien des contre-idées pour essayer d’inverser la trajectoire délétère : stoïcisme, bouddhisme, socialisme, communisme, social-démocratie, droits de l’homme, écologie, décroissance, et… collapsologie. Jusqu’ici sans réel succès : nous scions encore la branche sur laquelle nous sommes assis (après avoir ré-aiguisé la scie).
La collapsologie est un système d’idées qui n’a pas encore fait l’objet d’une décision de l’Académie française, du comité du Prix dit « Nobel » d’économie ou de l’Eglise quant à ce qui était « à l’intérieur » ou « à l’extérieur », « admis » ou « non-admis », orthodoxe ou hérétique. Dès lors chacun peut assez facilement se dire collapsologue, ou utiliser ce mot comme étiquette d’excommunication bien commode envers ses ennemis. Le concept flotte, il ne fait pas encore l’objet d’une littérature scientifique très fournie, l’usage n’a pas encore sanctionné son sens exact. Le mot fascine, il fait sérieux, ou ridicule, selon les factions.
« Nous sommes tous collapsologues » pourrait-on dire en l’écrivant sur une pancarte en carton et en défilant dans la rue. C’est vrai à partir du moment où nous sommes tous des spécialistes de la destruction de notre propre monde, praticiens de tous les jours de la dégradation écologique, théoriciens du « pourquoi on changerait, là on est bien ».
Mais les « vrais » collapsologues, les sérieux, les « experts » (ou « gourous » pour leurs ennemis), ce sont des « gens qui étudient les possibilités d’effondrements écologiques et sociétaux », pour faire court. Ainsi la collapsologie a, sur papier, l’ambition légitime de devenir une véritable « science » : l’étude scientifique des phénomènes d’effondrement. Tranchons donc rapidement une interrogation de la foire aux questions qui empêchent de dormir les docteurs de la loi : oui, la collapsologie pourrait être reconnue par la communauté scientifique internationale comme une « science » à part entière, comme le fut par le passé la chimie, la biologie, la sociologie, l’astrophysique et, avec le raffinement des expertises, « l’astrophysique des corps sidéraux de moins d’un kilomètre de diamètre ». Les opposants à cette reconnaissance, on peut le craindre, verront leurs arguments spécieux rapidement jetés aux oubliettes de l’histoire. Reconnaître une science, c’est avant tout une convention humaine et ici, il n’y aurait vraiment rien d’absurde à faire de la collapsologie un domaine avec facultés, centres de recherche, professeurs, chaires et colloques internationaux. On comprend que ça menace des financements ailleurs, et que ça crée de la concurrence dans la panier des crabes des « opposants au régime dominant », ceux qui disent « non, c’est le capital » ou « non, c’est le patriarcat » ou encore « non, c’est les syndicats ».
Contrairement à ces sciences les plus récentes qui analysent des parties de plus en plus « confetti-esques » du cosmos, la collapsologie semble avoir été une grande oubliée des siècles passés et procéder par un gigantesque mouvement à rebours de l’analyse vers la synthèse, du réductionnisme vers le holisme. Comment a-t-on pu louper la possibilité d’une science aussi énorme dans la portée du discours et de la connaissance qu’elle ambitionne ? Parce que l’ensemble de la science semble avoir abandonné le discours sur le « tout » (celui initialement de la philosophie), pour se contenter d’être extrêmement précise sur de « tout petits riens ». Du coup, c’est gênant, qu’on examine au microscope les ongles de l’éléphant, on ne voit pas qu’il va nous écraser avec son autre patte.
La collapsologie est donc ambitieuse, elle prétend avoir un discours sur rien moins que « la fin de l’espèce humaine » et/ou « la fin de la civilisation » et/ou « la fin de notre civilisation » et/ou « la fin d’un monde » et/ou « les fins des mondes », etc. Les pluriels font l’objet déjà d’une riche glose.
Pourra-t-elle forger des propositions réfutables, comme test de sa « scientificité » ? On peut le penser, car la littérature existante, dispersée à travers toutes les anciennes sciences ayant pignon sur rue, est conséquente. Et déjà des controverses se sont réglées par duel scientifique international : l’île de Pâques s’est-elle oui ou non effondrée ? On l’ignore mais cette question recouvre notre avenir ! Voilà en bref qui démontre de manière brouillonne le potentiel scientifique de la collapsologie.
Mais ce qui distingue une science, c’est aussi sa réflexivité sur son propre discours. Son auto-correction dynamique, le feedback organisé par ses membres et les sciences proches. C’est pourquoi Paul Jorion a eu raison d’affirmer que la dite « science économique » n’en était plus une à partir du moment où elle ne se considérait plus comme réfutable et qu’elle abandonnait tout effort sérieux de réflexivité, d’auto-critique, de reconnaissance de ses propres erreurs et errements, et qu’elle omettait d’analyser les pattes de l’éléphant dans le magasin de porcelaine : l’environnement, l’énergie, la matière, bref le caractère biophysique du monde.
Pour gagner ses galons scientifiques, les « papes » actuels de la collapsologie doivent se montrer d’une prudence de Sioux. Car leurs propositions courantes remettent profondément en question l’ordre culturel dominant (Progrès, Croissance, Technologie, Science et Digitalisation comme un discours du Salut humain futur), ce qui est toujours salutaire, mais leur procure de nombreux ennemis, prêts à les excommunier.
Mais aussi et surtout car ils ont une audience très importante. Et donc une influence tout aussi importante, peut-être de plus en plus importante. Sur les petites gens comme sur les corps intermédiaires et leurs intellectuels « organiques » (comme dirait Gramsci). Et qui dit pouvoir, dit responsabilité.
Lorsqu’on dit ou laisse entendre que « l’effondrement est certain », sans disposer d’une théorie validée (ou plutôt non-invalidée, non réfutée) selon les standards scientifiques communément admis (publications dans des revues à comité de lecture), pour le démontrer, ne risque-t-on pas de sortir de la méthode scientifique, pour entrer dans le dogme, la pétition de principe ? Ne risque-t-on pas, sur la base d’un discours millénariste, de favoriser la part dans le PIB des gourous de micro-sectes partout dans les campagnes ?
De mes discussions avec plusieurs collapsologues, au demeurant forts sympathiques et dont je m’estime ami (mais sans accepter l’étiquette pour moi-même, cf. supra), je retiens qu’on ne peut pas, en l’état actuel de la science , parler d’un effondrement monosémantique, prédire la forme exacte d’un tel effondrement, ni estimer sa probabilité à terme avec certitude, ni estimer avec certitude sa date, sa sévérité et sa durée éventuelle. Mais on peut par contre prouver que le risque existe de certaines « sortes d’effondrements », avec leurs caractéristiques spatio-temporelles et humaines, avec suffisamment de certitude. Cela est déjà documenté pour le passé, l’existence d’une occurrence prouve la possibilité d’existence. Et le risque de nombre de ces « sortes d’effondrements » est significativement différent de zéro, tandis que leur sévérité englobe parfois des enjeux « existentiels » : la vie des gens, la stabilité de sociétés entières, l’espèce humaine. Ah oui ! au fait, nous ne sommes pas le premier empire ou la première espèce d’homo qui s’éteindrait, le saviez-vous ?
Certains critiquent la notion « monobloc » du concept d’effondrement, comme « empêchant de penser ». Mais ce n’est pas parce que ces gens sont « dépassés » par la taille de l’événement qu’il n’existe pas et qu’il doit empêcher de penser. S’il y a une éruption solaire extrême ou un événement cosmique extrême, comme la chute d’un astéroïde de taille arbitrairement élevée sur Terre, on peut prouver par A+B que la civilisation (concept à définir, celle des Somaliens ou la nôtre ?) va s’effondrer, quel que soit son niveau technologique. Et donc l’idée d’un « effondrement monobloc » n’est pas une fiction. Cela sur le principe.
Ensuite sur la possibilité pratique d’un effondrement pour des causes humaines systémiques, ça ne me semble pas non plus idiot de concevoir un effondrement mondial « monobloc » qui exprimerait évidemment des caractéristiques différentes en fonction des lieux et des moments, mais qu’on pourrait analyser comme une unité systémique d’analyse. La crise de 1929, la grippe espagnole, les guerres mondiales, etc., sur le continuum « pas d’effondrement ==> effondrement, sont des phénomènes qui commencent à partager beaucoup de caractéristiques avec un « début d’effondrement » mondial. Si on va plus loin sur le continuum, on a déjà les ingrédients d’un phénomène mondial qui s’aggrave. La délimitation du périmètre d’un phénomène analysé en science est un choix méthodologique, c’est un acquis de la méthode scientifique, qui a son sens en fonction de sa portée pratique : analyser la pandémie de grippe espagnole seulement dans les tranchées à Ypres, avouez que ça ne va pas aider à la contenir.
Cela n’enlève rien à une théorie des effondrements au pluriel, locaux, limités, connectés ou non, aux effets différenciés. Une théorie des effondrements en cascade, multiniveaux, déclin ou chocs brutaux. La critique du concept monobloc est la plus juste sur le blocage politique que cela provoque, sur le fatalisme collapsologique (que Paul Jorion critique à juste titre), mais pas assez juste sur la réfutation du principe d’existence de l’effondrement monobloc (ce n’est pas en niant des conséquences indues sur la mobilisation politique qu’on arrive à réfuter l’existence possible de la cause matérielle).
Est-ce à dire que de certitude il ne saurait être question quand on est collapsologue ? Non ! D’après mes humbles lectures scientifiques et ma compréhension d’économiste des systèmes dynamiques non-linéaires, je n’exclus pas qu’à terme, les climatologues soient en mesure de prédire avec un degré de certitude tendant vers 100%, si le cas échet en pratique, que l’atmosphère terrestre soit prise dans une trajectoire « vénusienne » ou du moins « Terre-étuve », irréversible, sauf pari technologique particulièrement héroïque (géo-ingénierie terrestre). Auquel cas, ils pourront à juste titre prédire avec un grand degré de certitude la probabilité, la date et la forme de l’effondrement, « toutes choses égales par ailleurs » et à mesure que t tend vers la date E (pour Effondrement). Pourquoi ? Parce que l’atmosphère est un macrosystème qui obéit aux lois de la physique, même avec sa composante chaotique-incertaine, et que l’être humain n’a à ce jour démontré aucune capacité de prise sur la trajectoire de son atmosphère en lien avec les gaz à effet de serre, au-delà du franchissement de seuils d’irréversibilité naturels (prise « volontaire et contrôlée » j’entends, NB : le cas majeur du trou dans la couche d’ozone n’avait pas dépassé un seuil d’irréversibilité). Rien n’indique que nous parviendrions à inverser une trajectoire « irréversible d’un point de vue naturel » avec des moyens « humains ».
J’aimerais qu’on ne démontre jamais cela, et qu’on agisse bien avant que la science sonne notre glas.
C’est pour cela que le philosophe Hans Jonas a raison selon moi dans sa logique : pour un enjeu existentiel, pour L’enjeu existentiel de la survie de l’Humanité, il n’est pas de pari « optimiste » sur l’avenir qui soit responsable. A partir du moment où un risque non nul est identifié qui menace l’existence de l’Humanité, la responsabilité politique première est de faire le nécessaire pour l’éviter, avec la meilleure connaissance disponible. Et l’incertitude doit renforcer le principe de précaution sous-jacent : elle doit renforcer l’obligation d’action préventive et pas l’inverse.
Enfin j’ajoute une autre clef d’analyse possible du discours de Pablo Servigne, Yves Cochet et Agnès Sinaï (puisqu’il s’agit d’eux dans la critique de Paul Jorion). Le philosophe Jean-Pierre Dupuy a théorisé le « Catastrophisme éclairé » suite au propos de Hans Jonas sur le Principe Responsabilité. Selon ce premier concept, considérer la catastrophe comme certaine est le seul moyen pratique de l’éviter (je schématise). Jacques Attali, dans ses avertissements, utilise également cette « éthique de Cassandre » : c’est seulement en alertant sur le pire qu’on l’évite. Tout discours euphémiste quant au futur est irresponsable car il relâche l’attention nécessaire pour éviter les scénarios du pire, toujours possibles en pratique. C’est l’heuristique de la peur qui fonde le principe Responsabilité de Hans Jonas. Tout parent sait exactement de quoi il s’agit vis-à-vis de ses enfants (la relation parent-enfant fonde l’archétype de la responsabilité pour Jonas : on est responsable de l’existence de l’enfant totalement et face à tous les risques = on doit répondre de face à lui, face à sa question « que m’as-tu fait ? », ça ne veut pas dire « coupable » mais répondre de = obligation de moyen).
Si on suit cette ligne de raisonnement conséquentialiste (je n’ai pas dit que je la partageais), les collapsologues sont habilités à se comporter, à penser, à parler et à agir « comme si le pire était certain », dans l’idée que c’est la meilleure manière de l’éviter/de s’y préparer. Les déontologistes diront : ils exagèrent, voire ils mentent, mais l’idée ici est bien de sauver des vies, au prix d’une certaine exagération ou simplification. Il faut alors distinguer cette attitude « pour soi même » et sa transposition en « manipulation bienveillante » (paternaliste diront certains) pour autrui. Dois-je dire « nous sommes foutus » à tout le monde pour entraîner un sursaut, même si ce n’est pas « tout à fait exact » ? Peut-être… ou peut-être pas.
Car si l’on revient à Kant, notre problème au fond est de ne pas parvenir à nous autolimiter, à parvenir à l’autonomie, l’âge de la majorité. Est-ce vraiment en créant une nouvelle hétéronomie, une norme transcendante en surplomb –la certitude de l’effondrement ou son risque imminent– qu’on va réussir à « sauver l’humanité » ? N’est-il pas temps d’être honnête avec les autres, d’avouer les limites de la connaissance (comme Kant) de leur dire : « vous savez, nous collapsologues nous sommes très inquiets et nous avons beaucoup de raisons objectives de l’être, nous –et les autres scientifiques– ne pouvons plus exclure désormais des scénarios catastrophes, voire même LE scénario catastrophe d’extinction humaine, mais dans l’incertitude, et à cause de l’incertitude, il est de notre responsabilité de parler de nos découvertes avec tous, même si beaucoup d’entre vous ne voulez pas nous écouter, pour que tous ensemble, nous prenions nos responsabilités, collectivement et que nous rendions son sens au mot « politique ». »
Donc là où peut-être je rejoins Paul Jorion par rapport à nos trois collapsologues (plus responsables que bien des chefs d’Etat sur bien des aspects), c’est sur la nécessité de conserver le caractère « politique » de « l’effondrement » (nuage sémantique, pas besoin ici de définition précise), et d’avoir la conviction (la Foi pour continuer avec la métaphore religieuse) qu’il existe un marge de manœuvre, un libre-arbitre, un espace politique pour agir collectivement dans la Cité.
Je partage comme Paul Jorion, la critique du caractère futile et vain de leurs tentatives de retraite de survie autonome, car j’estime que le champ de bataille « sérieux » se situe dans la Cité, dans ses murs, pas en dehors donc, dans la cabine du navire et pas dans un canot de sauvetage en regardant le navire sombrer avec ses passagers et en criant « je l’avais bien dit, allez sautez tous ». Non, les calculs n’ont pas encore prouvé que le navire allait couler avec certitude, il y a encore du travail à faire dans la cabine. Il faut donc « politiser » l’effondrement comme une menace et un risque, et pas le dépolitiser comme une certitude monolithique abstraite.
En toute éthique conséquentialiste, si le propos collapsologique conduit à convaincre beaucoup de gens qu’une telle marge de manœuvre n’existe pas/plus, qu’il n’y a plus aucun espace des possibles mais seulement une fatalité qu’il va falloir vivre sans pouvoir y échapper (fatum romain, ananké grecque dans leurs mythologies), alors leur propos pourrait être considéré comme irresponsable et criminel.
Car à nouveau, en l’état de la science, nul ne peut prouver que ce scénario est désormais inévitable. Et au contraire, l’essentiel des travaux scientifiques relayés estiment qu’il y a des marges de manœuvre très importantes pour choisir, entre plusieurs maux, les moindres.
Enfin pour conclure, je voudrais rappeler Albert Camus et son esprit de la révolte : c’est non seulement indispensable en pratique -c’est seulement comme ça qu’on découvre les interstices, qu’on injecte de nouveaux possibles dans le cosmos, et qu’on a des chances de trouver les chemins du « salut » pratique- mais même Sisyphe DOIT se révolter contre la fatalité, d’un point de vue purement existentiel, humaniste -c’est seulement comme cela qu’on est humain, qu’on humanise l’absurde de l’Univers : par la révolte contre la fatalité.
Ainsi, si la collapsologie peut prétendre à devenir une science, si elle veut, comme la science écologique l’a fait pour l’écologie politique, pouvoir féconder une doctrine et un imaginaire politique en amenant dans le débat public les objets « d’effondrements », et ne pas devenir imperceptiblement une secte, une religion, voire un futur totalitarisme, elle doit se montrer explicitement ouverte au libre-arbitre, à la démocratie, à la politique, à l’incertitude, à l’indétermination radicale des possibles humains et favoriser non pas la résignation, le repli en ses terres et la prophétie auto-réalisatrice, mais l’occupation du champ de bataille démocratique, la révolte, la découverte d’interstices dans les marges du réel, des leviers politiques pratiques, susceptibles de transformer la société, comme s’y emploient les jeunes pour le climat depuis un an.
« Alors les collapsologues, êtes-vous prêts à sortir de votre tanière pour revenir avec nous faire ensemble société ? »
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