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Quelques fonctionnaires et des personnes engagées dans l’environnement et la politique, voudraient que se développe en Belgique une véritable politique de résilience territoriale locale. La résilience, cela signifie la capacité à rebondir après un choc, éventuellement extrême, et à reprendre une dynamique fonctionnelle, éventuellement différente. Ainsi, une personne qui perd ses deux jambes dans un grave accident peut néanmoins se remettre du drame, apprendre à fonctionner sans jambes et continuer à vivre, y compris en étant heureuse, à condition d’être dotée de suffisamment de résilience ou de renforcer suffisamment sa résilience spirituelle, psychologique, sociale, économique et physique. Elle ne sera plus jamais la même personne, mais elle « fonctionnera » à nouveau.
Alors que tous les signaux d’alarme retentissent pour nous avertir chaque jour de la hausse spectaculaire des catastrophes écologiques et de leur cortège de victimes, la résilience des territoires et de leurs habitants face aux chocs devient un impératif moral et politique absolu.
Les climatologues ont longtemps hésité à défendre les mesures « d’adaptation » au changement climatique de peur de déforcer les mesures « d’atténuation » de ce changement climatique. Aujourd’hui, on ne parle plus de « changement » mais « d’urgence/catastrophe/rupture climatique » et on peut déjà démontrer que le retour au climat précédent est devenu impossible. A cause de l’inertie gigantesque du système climatique (atmosphère, océans -hydrosphère- et biosphère), que nous le voulions ou non, et même si nous stoppions instantanément nos émissions de gaz à effet de serre, nous allons vivre dans un nouveau climat, inconnu à notre espèce (apparue il y a 200.000 ans), et subir des chocs climatiques permanents. Pour le meilleur et surtout pour le pire, nous entrons dans l’ère de l’incertitude absolue. C’est pourquoi le philosophe Clive Hamilton parle de « Defiant Earth », c’est-à-dire de « Terre rebelle » en français.
Depuis 10.000 ans, l’espèce humaine et ses civilisations pouvaient se lever chaque jour en ayant une relative confiance dans les événements météorologiques et climatiques des années qui allaient suivre, malgré quelques phénomènes extrêmes ponctuels. Dès lors que nous avons modifié irréversiblement, à terme humain, l’équilibre climatique terrestre, nous entrons dans une ère climatique où plus aucune certitude ne vaudra, une ère d’incertitude climatique radicale.
Si l’adaptation convient au risque probabilisable, seule la résilience peut aider à faire face à l’incertitude radicale, non probabilisable.
La résilience en ce sens devient une nécessité morale et politique absolue. On ne peut laisser les populations, les citoyens, au Nord et au Sud, affronter seuls, à la seule force de leurs moyens individuels, les chocs écologiques déjà en cours. L’Etat, les pouvoirs publics, la solidarité collective doivent créer les institutions nécessaires au renforcement de la résilience territoriale.
L’être humain peut y exceller. Au Japon, on a bâti un empire et une civilisation prospère sur une marmite géologique qui explose régulièrement, via tremblements de terre et autres tsunamis. C’est grâce à une conscience aigüe de l’incertitude de leur territoire que les Japonais ont mis au point des normes de construction anti-sismique et des entraînements à se protéger des catastrophes pour les écoliers. On a vu que ça ne suffisait pas à les protéger de toutes les incertitudes, dont celle de Fukushima. Il semble qu’un certain système économique s’embarrasse mal des considérations de résilience… Nous n’imaginons peut-être pas bien que si les peuples les plus résilients du monde se font surprendre par l’incertitude en défaut de résilience, on ne doit pas donner cher de notre peau à tous ailleurs dans le monde…
Si on s’intéresse à la Belgique et aux Belges (mais la question est semblable ailleurs dans le monde), on peut se poser la question : « Y a-t-il au moins 1 ETP en Belgique (PIB : 492 milliards de dollars, 11 millions de cerveaux et de corps) qui se préoccupe de la résilience du territoire belge et des Belges ? » « Y a-t-il 1 euro de budget consacré à cette mission dans notre pays ? » « les politiques sont-ils conscients de l’ampleur de la menace climatique/écologique ? » On peut démontrer en économie que les premiers euros dépensés pour la résilience ont un retour sur investissement qui tend vers l’infini. Il n’y a aucune justification à ne rien dépenser pour la résilience, c’est complètement irrationnel de ne pas « commencer » à s’en préoccuper.
Pourquoi ? Parce que l’enjeu d’un minimum de résilience est l’existence de la personne, du groupe, du pays, tout simplement. Pour des enjeux existentiels, on doit éthiquement s’assurer qu’on a pris ses précautions face aux menaces de destruction irréversibles, c’est ce qu’on appelle couramment la responsabilité, que le philosophe Hans Jonas a bien conceptualisée dans son Principe Responsabilité.
Mais donc il semble qu’il existe bien un petit quelque chose :
Dernière actualité en date, et non des moindres (et non ce n’est pas un canular, ça émane vraiment des autorités fédérales belges), le lancement du site internet « adapt2climate » par la Commission nationale Climat : Lancement du site internet « adapt2climate ».
On l’ignore peut-être mais la Belgique dispose depuis mai 2016 d’un Plan national d’adaptation 2017-2020, rédigé avec la Commission nationale Climat. L’Europe dispose également d’un site.
Le fait qu’en tant que citoyen et fonctionnaire, on n’en soit pas informé, tend à démontrer que l’on est très très loin du niveau suffisant de résilience sociétale élargie à la population belge. Car oui, c’est la résilience humaine, sociale, qui est le principal vecteur de la résilience d’une société, bien plus que son infrastructure, sa technologie ou ses procédures. C’est d’abord dans les esprits et les relations humaines que se construit la résilience de tous.
Pendant ce temps, dernières nouvelles de la Biosphère en vrac, il n’y a même pas besoin de lire les articles pour comprendre :
Un record absolu de chaleur enregistré près du Pôle-nord ; Nos forêts se meurent silencieusement ; En dix ans près de la moitié des hérissons ont disparu en Flandre.
Tout ressemblance avec les conclusions d’un certain rapport du GIEC quant au réchauffement de 1,5°C, sur les menaces pratiques liées au dérèglement climatique, est fortuite.
Face aux faits biosphériques qui menacent notre existence et face à l'(in)action humaine, j’en conclus ceci, qui n’est pas anodin d’un point de vue philosophique et politique :
A ceux qui imaginent que les autorités politiques et publiques ne sont pas bien informées de la situation écologique catastrophique, à ceux qui imaginent que les citoyens ne sont pas bien informés, dans le sens « qu’ils n’auraient pas reçu l’information et qu’ils n’auraient pas pu en prendre connaissance », les faits opposent un démenti formel. OUI, les autorités politiques et publiques ET les citoyens (du moins ceux qui savent lire et lisent un minimum la presse ou regarde la télévision), sont PARFAITEMENT INFORMES de la situation écologique catastrophique. Ils peuvent en outre depuis la sécheresse 2018 en Europe la percevoir dans leurs corps, dans leurs affects, la catastrophe écologique devient SENSIBLE même pour les riches occidentaux que nous sommes.
Dès lors, et je m’adresse en particulier aux personnes qui étudient les obstacles psycho-sociaux au changement, on ne peut que s’interroger et émettre diverses hypothèses :
– les dirigeants et les citoyens n’ont pas COMPRIS le sens de l’information qu’ils ont reçue. C’est-à-dire le risque existentiel. Parlez de la neige à un Bédouin, parlez de l’orage à un poisson, parlez de discriminations à un américain blanc et riche… et bien qu’ils reçoivent l’information et même qu’ils la ressentent, il y a des chances qu’ils ne soient pas en mesure d’INTEGRER cette information, de l’élaborer, de lui donner une issue pratique à travers leur cheminement cérébral, d’en tirer les conséquences logiques.
– les dirigeants et les citoyens ont PARFAITEMENT COMPRIS le risque existentiel qu’impliquent ces informations et ces sensations corporelles. Dès lors, s’ils ont reçu l’information, celle de leurs sens, et qu’ils l’ont comprise, on ne peut que déduire au NIHILISME de nos dirigeants et des citoyens, c’est-à-dire l’acceptation résignée, voire active, de la marche vers l’abîme, la mort et la souffrance.
– … ?
J’insiste car les faits s’accumulent et d’anciennes théories, dont celle de la « pédagogie du climat » (il faut davantage expliquer aux gens et blablabla), deviennent de plus en plus « héroïques » pour qui veut comprendre l’époque.
On retrouve le même aveuglement de masse, des citoyens aux dirigeants en passant par les corps intermédiaires, que l’on a observé en Europe durant la montée des fascismes durant les années 30. L’empereur est totalement nu, personne ne le dit, tout le monde applaudit, et il n’y a plus que les enfants qui s’en émeuvent.
La capacité de l’espèce humaine de s’aveugler, de se mentir à elle-même, de se raconter des histoires et de marcher placidement vers l’abîme, en se défendant bec et ongle de le faire, est hallucinante…
On a donc besoin d’une sorte de philosophie et d’une politique de la « révélation », de la « prise de conscience éthique », d’une « révolution des consciences », d’un « basculement copernicien de nos paradigmes » comme dans le conte des Habits neufs de l’empereur de Hans Christian Andersen. Le principal problème de notre espèce et de notre époque est la faiblesse de la conscience et de l’éthique : la capacité à percevoir la réalité telle qu’elle est, autant que possible, et à la capacité à agir adéquatement face à cette réalité en lui donnant un sens authentiquement humain. Ce sont les enfants aujourd’hui qui incarnent la conscience et l’éthique, ils sont désormais parmi les rares à porter un sens authentiquement humain face à la réalité en gestation. Ils sont entourés d’adultes nihilistes, cyniques (ou ignorants mais ça devient héroïque de le penser) qui se satisfont de l’absurde sans se révolter (Albert Camus).
Alors, pour ceux qui sont conscients et qui ont une éthique, qui veulent une existence authentiquement humaine : révoltons-nous !
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