Retranscription de Où je vous révèle un secret, le 8 juin 2019. La vidéo était déjà ouverte aux commentaires, mais comme certains me disent qu’ils attendent la retranscription…
Bonjour, nous sommes le samedi 8 juin 2019. Dans le pays d’où je vous parle, on appelle ça le samedi de la Pentecôte. Je suis rentré hier d’un long voyage, d’un voyage d’une semaine. Je suis parti en fait exactement il y a une semaine et je suis rentré hier soir. J’ai fait beaucoup de choses. Je vous en ai évoqué certaines comme ça, en passant. Je n’ai pas beaucoup écrit. Je ne me suis pas beaucoup manifesté sur le blog. J’ai lu vos commentaires. J’ai fait quelques remarques à ce sujet-là. J’ai fait allusion au fait que j’ai fait une conférence à Malmédy en Belgique, pas loin de la frontière allemande. L’un d’entre vous était là, l’un des commentateurs était là. Il a d’ailleurs signalé qu’il était là et a fait quelques remarques à propos de la conférence. Je crois que ça a été enregistré. Vous allez entendre ça. Je l’ai dit. Tout le monde était content parce que c’était le lancement d’une organisation et il y avait beaucoup de monde. Nous avons fait salle comble.
Qu’est-ce qu’il y a encore eu ? C’était avant-hier. Je me suis réuni et nous avons parlé longtemps, Bruno Colmant, économiste belge, et Marc Lambrechts du journal L’Écho. Nous avons parlé près de 2 h de l’avenir de la Belgique et nous sommes partis en faisant confiance à Marc de faire ce qu’il voudra de ce qui aura été dit. Nous ne sommes pas arrivés à des conclusions très précises et c’est lui qui va nous faire la synthèse.
Ce voyage pour moi a été aussi l’occasion d’autre chose. Ça a été l’occasion de voir de visu, d’avoir des conversations les yeux dans les yeux avec des gens qui ont lu mon roman. Cela s’appelle un roman parce que c’est écrit comme ça sur la couverture, « roman » parce que c’est écrit dans le style du roman mais c’est un récit. Cela fait partie de ces récits qui ressemblent un petit peu à des journaux intimes que j’ai écrits au fil des années et que j’ai laissé dans des tiroirs et que j’ai décidé maintenant de sortir petit à petit. Je continue d’en écrire.
Et je m’étais posé une question sur ce qui se passait quand je parlais à des gens qui ont lu « Mes vacances à Morro Bay ». J’ai fait une petite remarque dans les commentaires. Ça devait être avant-hier, dans la nuit. Je me suis posé la question suivante. Il y a un effet curieux que j’ai vu à plusieurs reprises, c’est que les gens qui ont lu mon livre me parlent différemment de ce que j’ai écrit ailleurs, de ce que j’ai écrit avant. Là, je n’avais pas une vision très claire de quoi il s’agissait. J’ai posé la question : « Est-ce que cela donne une légitimité particulière au fait d’écrire des choses que l’on appelle ‘de non-fiction’, des essais, le fait d’écrire par ailleurs des romans ? ». J’ai posé la question. Est-ce que, d’une certaine manière, on ne vous prend pas au sérieux comme essayiste avant que vous n’ayez essayé d’écrire bien un roman ?
Je me suis planté. La question n’était pas du tout ça. Je me suis réveillé ce matin en me disant « J’ai la réponse à ma question ». La réponse est ceci, et c’est pour ça que je vais appeler mon petit exposé « Où je vous révèle un secret ». La réponse, je crois que c’est la suivante, c’est qu’elle est dans le visage illuminé des gens qui me parlent de ce livre. Vous pouvez voir, il y a de petits textes qui m’ont déjà été envoyés, de vous, de gens qui regardent le blog. Là aussi, c’est la même chose. Vous avez dû écrire ce papier avec un sourire aux lèvres. Dans le compte-rendu qui est paru dans Le Suricate par Matthieu Matthys, il y a là aussi, on le voit, un sourire qui perce. Ce sourire veut dire la chose suivante : « J’ai lu votre livre et ce livre m’a rappelé ou m’a convaincu que le bonheur existe ». Voilà. Je crois que c’est ça, c’est ça qui fait la différence et c’est ça qui explique ces visages. C’est ça qui explique un autre regard porté sur ce que j’ai pu écrire avant.
Hier, je suis rentré. J’avais fait beaucoup de route. J’étais fatigué. Je me suis dit que j’allais mettre un film et j’ai mis un film. Au bout de 20 minutes, j’ai arrêté de le regarder. J’ai arrêté ça parce qu’il y avait autre chose que j’avais envie de faire et, cette autre chose, je l’ai faite pendant 1h30 – 2h00. J’ai écrit 2 ou 3 pages et ces 2 ou 3 pages, c’était pour quoi ? C’était pour raconter précisément un moment de bonheur dans la journée d’hier. Voilà. Ça s’est passé entre deux personnes qui ne se connaissaient pas et qui ne se connaissent toujours pas mais il y a eu un petit quelque chose qui était formidable. Ce sont des choses qui arrivent. Ça mérite d’être raconté.
Vous ne le verrez pas. Ça va aller dans mes tiroirs et un jour ou l’autre, peut-être, ça réapparaîtra dans un de ces récits que l’on présente comme des romans. Parce que ça n’existe pas en tant que tel : ça doit être dans quelque chose. Ça doit être sur du papier. Ça doit être quelque chose que l’on se transmet de l’un à l’autre en disant « Ecoute, j’ai lu ça. Il faut que tu le lises aussi ! ». Ça doit être dans un objet.
J’en ai préparé un, le voilà. Un objet comme ça. C’est un livre. C’est un livre pas récent. Ça date de 1934. C’est d’un certain Albert Halper dont vous n’avez jamais entendu parler, « On The Shore », et c’est sous-titré « Young writer remembering Chicago », un jeune auteur, un jeune écrivain qui se souvient de Chicago. 1934.
Si vous êtes un lettré ou une lettrée, cette expression « jeune auteur / jeune écrivain » vous aura peut-être mis la puce à l’oreille. Je ne crois pas que ce Albert Halper ait jamais été traduit en français. Vous me le direz si vous tombez là-dessus, mais vous connaissez peut-être cette expression de « jeune auteur », de « jeune écrivain » et si vous la connaissez, c’est que vous l’avez trouvée sous la plume de quelqu’un qui l’applique à lui-même de manière constante, c’est Jack Kerouac, Beatnik, l’un des inventeurs avec Allen Ginsberg et Lawrence Ferlinghetti, Gregory Corso, la Beat generation, ceux que l’on aura appelé les auteurs Beat, les auteurs Beatnik. Kerouac utilise ce terme à ce propos et si vous avez lu avec attention – mais alors il faudra vraiment beaucoup d’attention – Kerouac, vous aurez découvert ce nom, Albert Halper, qu’il mentionne ici et là très discrètement. Il faut vraiment faire attention mais il est clair que c’est l’un de ses 3 ou 4 maîtres à penser. Il y a aussi [William] Saroyan parmi ses maîtres à penser [Je dis en fait « Aram Saroyan », induit en erreur par le fait qu’il ait écrit un livre intitulé « My Name is Aram »].
C’est quoi ce livre ? C’est la vie des gens dans les années 30. C’est très dur. C’est très très bien écrit. C’est formidable. Vous allez découvrir le style Kerouac déjà en germe chez Halper si vous lisez ça. C’est la vie de gens qui ont des vies difficiles, des vies brisées comme il le dit, des choses qui vous évoqueront l’actualité, n’est-ce pas ? le procès France Télécom. Mais ça vous parle du bonheur, du bonheur comme pépite, comme joyau serti dans des vies de malheur. C’est ça qui est très beau dans ce livre. J’en citerai quelques passages parce que je vais le mettre dans un article que je prépare sur Kerouac pour La quinzaine littéraire, ou Quinzaines comme ça s’appelle maintenant.
Le vrai bonheur, la joie de vivre, c’est comme celle dont je parle dans « Mes vacances à Morro Bay ». Je regardais où j’en parlais tout à l’heure pour me souvenir du nom que j’avais donné à cette dame. Je l’appelle Sherry. Elle est barmaid à Santa Cruz, en face du luna park. Je raconte qu’elle m’explique qu’une de ses petites filles à 15 ans a mis pour la première fois des chaussures pour lui rendre visite à Santa Cruz. Ce sont des vies comme cette dame-là – qui est arrière-grand-mère à 50 ans. Ces gens-là savent qu’il y a du bonheur et ils savent qu’il est rare, qu’on ne le trouve pas facilement et que surtout, ce n’est pas du bonheur béat. Le bonheur béat, ça n’existe pas. Il y a des gens qui essayent de vous en vendre. Ce sont des filous. Ils vous prennent pour des gogos. Quelqu’un a utilisé cette expression de « bonheur béat » pour faire un commentaire. J’avais fait quelque chose que je déteste, j’ai dit des mots pas aimables sur quelqu’un qui venait de mourir mais beaucoup de gens ont abondé dans mon sens, en particulier un commentateur ou une commentatrice, je ne me souviens pas, a dit « Ce monsieur essaye de vendre du bonheur béat ». Ça, c’est de l’escroquerie.
On nous dit, les vieux disent « Les jeunes perdront leurs illusions ». Quand ça rate, à ce moment-là, c’est formidable : les jeunes qui ne perdent pas leurs illusions, c’est formidable ! Parce que leurs illusions, dans la bouche des vieux, ce ne sont pas des illusions bien entendu, c’est l’intuition que le bonheur existe ! Ils le savent les jeunes, les adolescents. Ils savent que le bonheur existe. Ils y ont déjà un peu goûté. On va les faire changer d’avis. On va leur faire perdre le goût du bonheur. Et c’est ça bien entendu « devenir adulte », c’est perdre le goût du bonheur. Quand ça rate complètement, se convaincre que le bonheur c’était une « illusion, » ce n’est pas vrai. Mais c’est là qu’on aura le test, c’est là que l’on va voir le test.
Sur cette histoire d’extinction du genre humain, le test est en préparation. On va s’en sortir, on va se sauver ou on va rater. Si on rate, c’est très simple : c’est parce qu’on se sera convaincu que le bonheur n’existe pas. Si on s’en sort, c’est parce qu’on se sera convaincu que le bonheur existe et, donc, je pourrais dire j’arrête. Je vais regarder le spectacle. Je vais voir ce qui se passe. Mais non, parce que vous le savez bien, je suis un militant ! Alors je vais continuer à écrire des récits militants sur le bonheur, comme j’ai fait hier soir, au lieu de regarder un film qui parle des histoires d’autres gens, etc. Un militant du bonheur. Voilà le secret dont je voulais vous parler aujourd’hui. Ça passe ou ça casse mais je vais continuer à écrire des récits. Vous ne les verrez pas sur mon blog parce que cela viendra dans un livre, dans un objet en papier et en carton que l’on se passe de l’un à l’autre avec un sourire entendu.
Bonne fin de week-end de la Pentecôte et à bientôt !
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