Sommes-nous à la veille d’une guerre mondiale généralisée ? le 14 mai 2019 – Retranscription

Retranscription de Sommes-nous à la veille d’une guerre mondiale généralisée ? le 14 mai 2019.

Bonjour, nous sommes le mardi 14 mai 2019 et il y a 10 jours, je préparais ma chronique mensuelle qui serait publiée dans le journal belge L’Écho et qui, à une certaine époque qui s’est terminée il y a 2 mois, au mois de mars, serait publiée simultanément dans le journal Le Monde. Le Monde a cessé de publier mes chroniques. Je les continue et, donc, mon texte rédigé il y a 10 jours a été publié dans L’Écho il y a exactement une semaine, le 7 mai, sous le titre « Sommes-nous dans le très inhabituel ? ».

De quoi est-ce que je parlais ? Je parlais de ce qui se passe au Brésil. Je parlais de l’Angleterre, du Royaume-Uni, où le Financial Times avait annoncé en première page la veille que le pays était dans l’immobilité totale : grinding to a halt, s’était immobilisé. J’ai parlé de la France parce que la veille, M. Castaner, Ministre de l’Intérieur (il est revenu ensuite sur ses propos), avait dit qu’une foule en colère avait envahi l’Hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. Je parlais du très inhabituel. Je parlais aussi des États-Unis. Je parlais du fait que M. Trump refusait que le pouvoir législatif à la tête duquel se trouvent maintenant des Démocrates (en tout cas dans le cadre du Congrès, si pas au Sénat), joue son rôle de contre-pouvoir, en faisant le blocus de toutes les informations qui sont demandées par les Démocrates à la tête de commissions sénatoriales aussi mais essentiellement du Congrès.

Je posais la question « Sommes-nous dans l’inhabituel ? ». Le papier a été publié dans L’Écho. Je l’ai envoyé à tout hasard au Monde également puisque j’avais l’habitude de l’envoyer au Monde. Le Monde l’a refusé immédiatement. Je l’ai proposé à La Croix dans les minutes qui ont suivi, me disant qu’un professeur au département d’éthique à l’Université catholique de Lille était peut-être écouté dans ces quartiers-là. Ça n’a pas été le cas non plus. Le papier a paru uniquement en Belgique et je l’ai mis, bien entendu, sur mon blog.

Nous sommes une semaine plus tard. Nous sommes le 14 mai et mon billet ne sera plus intitulé… J’aurai pu l’appeler « Sommes-nous dans le très inhabituel bis ? », quelque chose de cet ordre-là mais je vais l’appeler, parce que les choses ont évolué, « Sommes-nous à la veille d’une guerre mondiale généralisée ? ». Pourquoi ? Parce que les choses évoluent de ce côté-là, dans tout ce que j’ai évoqué.

Hier, M. Mike Pompeo, ministre des Affaires Etrangères américain, s’est imposé (comme un gatecrasher), il s’est présenté à une réunion où les partenaires européens à Bruxelles essayaient de se mettre d’accord sur la manière de ne pas suivre les États-Unis dans l’escalade guerrière contre l’Iran. 120 000 troupes américaines sont prêtes. Les Américains nous annoncent ce matin qu’un incident qui a eu lieu avec des bateaux saoudiens, des pétroliers si j’ai bon souvenir, en fait, que c’était l’Iran qui était responsable. On nous annonce, vous le savez, des incidents comme la baie du Tonkin, des incidents qui vont être considérés du côté américain comme étant des provocations de la part de l’Iran pour une guerre généralisée.

Il ne faut pas se faire d’illusions non plus : l’Iran, c’est une théocratie agressive. Elle est dans une guerre millénaire. C’est un pays à dominance chiite qui est en guerre permanente depuis quasiment [1.500] ans avec d’autres pays de confession sunnite à l’intérieur de la même religion, l’Islam. Nous sommes du côté de l’Arabie saoudite dans le conflit larvé avec l’Iran, ce qui conduit en France à ce que des journalistes qui se posent la question de savoir si des armes qui sont vendues à l’Arabie saoudite ne seraient pas utilisées contre des populations civiles au Yémen. Et les journalistes français qui posent ces questions sont convoqués au nom du secret défense parce que… ce sont quand même les intérêts de la France ! Je n’ai pas d’opinion sur le fait de savoir si ces armes seraient utilisées dans la guerre civile au Yémen. M. Macron nous dit qu’il a l’assurance et même les preuves que ce ne serait pas le cas mais, dans une guerre généralisée, dans une guerre mondiale généralisée, je suis certain que les Saoudiens, qui seraient nos alliés – il faut bien le savoir, nous n’aurions pas le choix – n’hésiteraient pas à utiliser ces armes, je peux vous le dire moi, même si ce n’est pas dans le cadre de la guerre civile du Yémen.

En Grande-Bretagne, est-ce que tout va bien ? Oui, bien entendu, tout va bien [rires] : Mme May est au bord de la démission. Pourquoi est-ce qu’elle est au bord de la démission ? Parce qu’elle s’est retrouvée dans une situation où la Grande-Bretagne, le Royaume-Uni, qui voulait sortir de l’Union européenne avant les élections européennes, se trouve obligé de faire des élections européennes quand même et que c’est le parti de M. Nigel Farage qui se trouve en tête des sondages et que la quasi-totalité des gens qui votent pour le Parti conservateur et qui ne sont pas des Remainers (c’est-à-dire des gens qui voudraient que l’on reste dans l’Union européenne), ne vont pas voter pour le Parti conservateur dans ces élections, qui se trouve au 4ème rang dans les sondages, mais vont voter pour le parti de M. Nigel Farage.

Une petite remarque à ce propos, quand j’essayais de justifier le fait de me retrouver sur une liste pour les élections européennes, mon argument principal était de raconter cette anecdote : je m’étais trouvé dans la même salle, au Parlement européen, avec M. Nigel Farage qui faisait le pitre et je m’étais dit que je pourrais, moi, j’aurais la capacité (et je l’ai toujours) de faire taire un pitre comme cela. Ce pitre va se retrouver non seulement de nouveau au Parlement européen mais à la tête du principal parti qui sera représenté pour le Royaume-Uni, qui sera toujours en instance de partance de l’Union européenne. Je ne serai pas là pour le faire taire puisqu’on n’a pas voulu de moi sur les listes. N’en parlons plus. J’en ai parlé suffisamment longtemps.

Alors, nous sommes dans une situation qui n’est plus comme il y a 10 jours (que nous soyons dans l’inhabituel), nous sommes à la veille d’une guerre mondiale généralisée. Vous allez voir, dans les journaux, je suis à peu près le seul à dire ce genre de choses. Je n’ai même pas encore parlé des tensions qui montent avec la Chine du côté des États-Unis où il y a une guerre de chicken game, comme on dit en anglais. Je ne sais pas comment [ça s’appelle en français], vous avez dû voir ça dans le film « La Fureur de vivre » : Rebel Without a Cause [Nicholas Ray, 1955], ces courses de bagnoles que les gosses font et où on saute de la bagnole à la dernière minute parce que les bagnoles, en fait, vont tomber dans un ravin qui se trouve un peu plus loin.

Les États-Unis ont voulu jouer ce jeu avec la Chine en imposant des droits d’accises, des tarifs douaniers, sur 250 milliards de dollars de produits chinois. La Chine a répondu en faisant pareil sur 60 milliards de dollars de produits américains. M. Trump est quelqu’un de trop stupide pour comprendre que c’est le fonctionnement du dollar depuis que le dollar est une monnaie de référence (une monnaie mondiale), que c’est le fonctionnement du dollar qui veut qu’il y ait des déficits commerciaux de la part des États-Unis. C’est cela qui alimente le fait que le dollar soit une monnaie de référence. Il n’a pas compris ça. Il y a plein de gens qui peuvent le lui écrire mais je retrouve dans les journaux (je retrouve même dans les commentaires du blog), des gens qui disent : « Oui, mais il y a un déséquilibre commercial entre les États-Unis et la Chine ! ». Oui : c’est voulu ! C’est comme ça que le dollar fonctionne ! Il ne faut pas s’inquiéter : c’est la manière pour les États-Unis d’être le parasite de l’ensemble du système, de vivre aux crochets du monde entier ! Alors, on peut ne pas être d’accord avec ça. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça ! Mais ça ne justifie pas une guerre commerciale avec la Chine puisque c’est comme ça que le système a été mis en place au moment où ont disparu les accords de Bretton Woods, un ordre monétaire international, en 1971.

S’il y a une guerre généralisée, on aura d’un côté la Russie, l’Iran également, la Chine également, des pays avec lesquels il n’y a pas de raison, en ce moment (c’est mon opinion), d’avoir une guerre généralisée avec eux. On peut ne pas aimer l’hyper-surveillance qui existe maintenant en Chine, même quand on se souvient, comme je vous le rappelle à l’occasion, que le système dont on nous dit que c’est l’horreur absolue en Chine, c’est un système qui fonctionne aux États-Unis depuis plus de 20 ans sans que cela n’ait causé de grande commotion dans le reste du monde. Oui, on peut ne pas aimer le fait que l’Iran soit une théocratie. Oui, on peut ne pas aimer le fait que le régime russe est un régime autoritaire et il vaudrait mieux que l’on n’ait pas des choses de cet ordre-là chez nous…

Qu’est-ce qui peut empêcher une guerre généralisée ? Là, ça va être le paradoxe absolu bien entendu. Ce qui peut empêcher une guerre généralisée dans les semaines ou même dans les jours qui viennent, ce serait que M. Trump soit véritablement un agent russe. Il en donne tous les signes extérieurs [rires]. S’il n’est pas un agent russe, il est en tous cas compromis du côté russe puisqu’il donne raison à Poutine sur absolument tout. C’est encore une chose qui a modéré la [tension] la semaine dernière. Je ne sais plus à propos de qui tous les ministres américains disaient qu’il fallait absolument… Ah oui, c’était à propos de M. Maduro au Venezuela. Tous les généraux américains étaient prêts à envahir le Venezuela d’une manière ou d’une autre, de l’extérieur ou de l’intérieur, et M. Trump a dit « Je viens de bavarder avec M. Poutine. On a parlé un tout petit peu du fait que je me suis débarrassé de cette histoire de Russiagate, du fait que l’on m’a accusé de collusion. À propos de Maduro, il m’a dit que c’est un brave type alors je me pose la question puisque, autour de moi, il y a des gens qui se disent que ce serait peut-être une bonne idée de le faire disparaître du Venezuela. Je trouve que Poutine a probablement raison. Je lui fais confiance sur à peu près tout ! ». C’est peut-être ça qui va nous sauver. Ce serait le paradoxe absolu bien entendu, mais prions que ce soit le cas [Ce fut en effet le cas le lendemain : Trump, frustré par ses conseillers, n’est pas convaincu que ce soit le bon moment d’attaquer l’Iran ; bravo Jorion 😉 ].

Il n’y a pas de raison que l’on se lance dans une guerre généralisée si ce n’est un processus d’apoptose. Si vous n’avez pas encore entendu ce nom prononcé ici, c’est le processus dans lequel les cellules se sacrifient, se suicident quand quelque chose [dans le corps] est condamné. Du point de vue de la confiance que nous avons en Occident dans la manière dont les choses vont se dérouler, pour le moment, on est dans la décomposition absolue (il faut bien appeler les choses par leur nom). On est dans l’affrontement entre, d’un côté, des gouvernements autoritaires, ceux qui se fondent sur un ultralibéralisme qui a été désavoué par les faits il y a une dizaine d’années, à l’époque de la grande crise. Et, en face de cela, se dressent essentiellement des gens dont le discours est (même s’il est motivé par des raisons véritables dont il faut tenir compte), est un discours complotiste. C’est un discours mal informé, un discours qui a tendance à rejeter sur des minorités qui n’y sont absolument pour rien les malheurs qui sont les nôtres alors que ce sont des problèmes essentiellement structurels – dont j’essaye de vous parler depuis une dizaine d’années mais peut-être dans des textes qui sont un petit peu difficiles puisqu’on me revient encore… j’ai encore cette tristesse de voir dans les commentaires, sur mon propre blog, des gens qui me disent : « Oui, mais il y a vraiment un déficit commercial entre la Chine et les États-Unis ! », comme si tout ce que j’ai pu vous raconter pendant 10 ans à ce sujet-là n’avait pas eu le moindre effet.

Je vais arrêter là-dessus. Ça s’appelle effectivement « Est-on au bord d’une guerre mondiale généralisée ? ». Il n’y a pas de raison que je sois particulièrement optimiste dans la manière dont je vais terminer ce blog. On va réfléchir. On va voir ce que l’on peut faire. Les camps sont en train de se dresser véritablement les uns contre les autres. On le sait bien, dans les situations comme celle-là, il est très difficile de faire marche-arrière par rapport au bellicisme généralisé. Espérons que l’on puisse encore le faire et ma petite plaisanterie sur le fait que l’on pourrait être aidé par le fait que Trump ne comprenne rien à rien et, surtout, qu’il soit éventuellement compromis ou même un agent du côté des Russes et qu’il serait, du coup, une passerelle qui pourrait encore empêcher que les choses dégénèrent complètement.

Voilà, je vous tiens informés bien entendu. J’ai l’habitude de le faire.

A bientôt ! Passez quand même une bonne fin de semaine. Au revoir.

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