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Un excellent article dans le Financial Times, Chore wars: why do women still do more housework ?, « La guerre des corvées », par Gavin Jackson, résout la question à mille francs : pourquoi – quelles que soient les cultures – et même en présence d’efforts louables de part et d’autre, les femmes consacrent-elles plus de temps aux tâches ménagères que les hommes ? Gavin et sa copine Gabi ont rempli des fiches quotidiennes de budget-temps qu’ils ont fait analyser ensuite par une équipe de sociologues.
La première raison semble aller de soi aussitôt qu’on l’énonce : les différences de salaire entre hommes et femmes conduisent à optimiser l’économie du ménage en faisant faire les tâches non-payées par celui des deux qui gagne le moins : cela « coûte moins cher » (coût d’opportunité) de faire nettoyer la maison par celui ou celle qui gagne 15€ de l’heure dans le monde du travail que par celle ou celui qui en gagne 20€.
Seconde raison, qui à première vue va de soi elle aussi : optimiser l’utilisation du temps global du ménage en se spécialisant.
Avant même que l’enquête commence, Gavin se dit (il ne se fait pas d’illusions) que la différence de temps constatée dans les budgets-temps sera probablement due au fait qu’il aura (inconsciemment) pu séduire sa copine à effectuer des tâches qu’il n’avait pas envie de faire. En cours de route, il constate que ce n’est pas cela : c’est surtout elle qui l’exclut de certaines tâches (nettoyage, repassage, etc.) en ne lui faisant pas confiance, en lui disant qu’il ne le fera pas aussi bien qu’elle (et qu’il faudra donc le refaire au moins partiellement).
Gabi observe elle de son côté qu’elle a tendance à se dire à propos de telle ou telle tâche domestique : « Oui mais ça, ce n’est pas vraiment du travail », et que c’est le décompte du budget-temps qui lui fait apparaître que si, et que chacune de ces « non-tâches » à ses yeux prend beaucoup plus de temps qu’elle ne l’imaginait. Ce qui attire l’attention sur le fait que toutes les tâches ménagères ne sont pas des « corvées », qu’il y a des choses que l’on aime bien faire. Gavin le dit : quand c’est lui qui fait la cuisine, il ne considère cela ni comme du travail, ni comme une corvée, mais comme un divertissement, un passe-temps agréable.
Autre constatation faite, celle-là à partir de données récoltées dans d’autres contextes, le mariage accentue l’écart dans le temps consacré au travail domestique. Explication des sociologues : par ce geste « conformiste » un couple entre dans un contexte très imprégné de « rôles de genre », la culture ambiante modelant les comportements davantage aussitôt qu’on est marié. Effet renforçant : dans le contexte du mariage, lutter contre les stéréotypes est « épuisant » et débouche sur de véritables pertes de temps.
Autre observation, liée ici à la venue des enfants : la capacité à consacrer de nombreuses heures au travail rémunéré, qui fait progresser rapidement en début de carrière, est davantage ouverte aux hommes aussitôt qu’apparaissent les enfants dans la famille.
Conséquence cette fois du moindre temps consacré aux tâches ménagères par les hommes : un temps de « loisir » leur est offert qu’ils ne consacrent en réalité pas à se reposer ou à se divertir mais à poursuivre une éducation permanente à la maison, qui leur permettra de progresser à un rythme accéléré dans leur carrière… ce qui contribuera à accroître la différence de salaires au sein du ménage… alimentant ainsi le cercle vicieux, du fait de la tendance (coût d’opportunité) à attribuer les tâches non-payées à celui des deux qui est le moins payé.
Indépendamment donc de choses qui seraient d’ordre « naturel », du genre « l’intuition d’une femme est meilleure que celle d’un homme sur comment répondre à la demande inattendue d’un bébé », ce qui explique la différence constatée dans le temps consacré aux tâches ménagères est essentiellement dû à un mécanisme auto-renforçant découlant d’un principe élémentaire : « le temps c’est de l’argent ». C’est-à-dire, spécialisons-nous au sein du ménage dans les comportements qui gaspillent le moins le temps et qui permettent de faire davantage d’économies. Les progressistes parmi nous appelleront cela « la sacro-sainte rationalité économique », et les conservateurs, pour qui le monde marchandisé et monétisé va de soi, « le simple bon sens ».
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