Le danger de publier des articles dans des magazines, quand le texte doit être déposé une semaine avant sa publication : que le projet soit abandonné le jour où l’hebdomadaire paraît. Un communiqué vient en effet de signaler que la fusion de Deutsche Bank et de Commerzbank, qui devait être annoncée demain, n’aura pas lieu. La question purement comptable que j’évoque dans mon article, reste bien entendu pertinente.
La « bonne » et la « mauvaise » volonté de Deutsche Bank et de Commerzbank
La fusion en Allemagne de Deutsche Bank et de Commerzbank va impliquer pour qu’elle apparaisse faisable sur le papier, une astuce comptable appelée en français « goodwill négatif », ou en anglais « badwill », ce qui traduit littéralement donne « mauvaise volonté ».
Le goodwill, la « bonne volonté », est une catégorie comptable qui entérine le fait que la vie économique de tous les jours n’a aucun respect pour un des principes fondamentaux de la « science » économique, à savoir l’objectivité du prix, et qu’il a bien fallu créer un poste pour des sommes qui ne devraient pas exister selon la théorie mais qui existent pourtant.
De quoi s’agit-il ? Il y a deux manières de calculer le prix d’une firme, la première est sa valeur comptable, soit ses actifs moins ses passifs, c’est-à-dire l’ensemble de ses composantes au prix du marché moins ce qu’elle doit, la seconde consiste à additionner ses flux de trésorerie à venir, ceux-ci étant « actualisés », escomptés, en fonction de la distance dans le temps où ils se matérialiseront. La capitalisation boursière de cette entreprise, le cours présent de l’action multiplié par le nombre d’actions en circulation, devrait en toute logique économique, s’il y avait précisément objectivité des prix, être égale à la somme des flux de trésorerie escomptés : la capitalisation boursière « théorique ». Non seulement ça, mais ce chiffre devrait aussi le même que la valeur comptable.
Quand la différence se creuse entre ces chiffres, les analystes financiers crient casse-cou ; ils parlent d’« exubérance irrationnelle » et préviennent qu’une correction ne manquera pas d’avoir lieu : une baisse du cours de l’action qui se réalignera sur les attentes justifiées de revenus.
La différence que l’on constate dans le plupart des cas entre valeur comptable fondée sur le présent, capitalisation boursière théorique fondée sur des flux futurs, et capitalisation effective à la Bourse, ne peut être ignorée lorsqu’une firme en rachète une autre car il va falloir inscrire la fusion au bilan, et s’il existe une différence entre la somme payée et la valeur comptable, un poste doit exister qui en rende compte. Il s’agit précisément du « goodwill », la bonne volonté que devra manifester l’avenir par rapport au présent pour que se justifie a posteriori un prix supérieur au « prix à la casse » actuel.
Le goodwill est donc une dépense inconsidérée que des résultats économiques futurs doivent venir justifier. Par exemple, dans le cas d’une fusion : des économies d’échelle, une compression de personnel faisant double emploi, etc. Si ces nouveaux flux ne se concrétisent pas, les règles comptables imposent que le goodwill soit annuellement déprécié au bilan, et si la firme devait faire faillite, le goodwill serait compté pour zéro, la bonne volonté de l’avenir ne s’étant manifestement pas concrétisée.
Une firme qui en absorbe une autre cotée en Bourse le fait en rachetant ses actions auprès du public. Le moyen le plus efficace, c’est de proposer aux détenteurs des actions de les leur racheter à un prix supérieur au cours boursier. Quand, comme c’est le plus souvent le cas, le montant total du rachat est supérieur à la valeur comptable, la différence est portée au bilan comme goodwill.
Revenons maintenant à nos moutons : Deutsche Bank et Commerzbank. La capitalisation boursière de cette dernière ne représente en ce moment qu’un tiers de sa valeur comptable. La Deutsche Bank rachètera les actions de la Commerzbank à une cote supérieure au cours boursier, mais qui restera très inférieure à la valeur comptable de la banque, en raison du cours particulièrement déprimé de l’action. Il n’y aura pas eu dans ce cas dépense inconsidérée mais au contraire, « bonne affaire » : la différence entre prix payé et valeur comptable sera ici négative : il y aura goodwill, mais négatif, un badwill, une mauvaise volonté apparente de la part de l’acquéreur, achetant pour un montant inférieur au prix à la casse de l’entreprise !
Chacun touche du bois, chacun espère que la Banque centrale européenne fera preuve de bienveillance et de grande générosité envers Deutsche Bank et Commerzbank en acceptant que du point de vue des réserves à constituer, le goodwill négatif ou badwill en question soit comptabilisé comme un gain immédiat de 16 milliards d’euros. Hocus pocus dit-on au music-hall !
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