Les révélations du rapport Mueller, le 19 avril 2019 – Retranscription

Retranscription de Les révélations du rapport Mueller, le 19 avril 2019

Bonjour, nous sommes le vendredi 19 avril 2019 et dans le pays où j’habite, on appelle ce vendredi le Vendredi saint parce que, dans 2 jours, ce sera la fête de Pâques.

Si vous vous êtes réjouis, ces semaines récentes, de m’entendre parler essentiellement de ma campagne pour devenir député européen, et du plaisir que j’ai à l’idée qu’un livre va paraître de moi le 15 mai, et que ce ne sera pas un livre comme d’habitude, que ce sera un roman, et que vous vous sentiez un peu soulagés de ne pas m’entendre parler une fois de plus de M. Donald Trump, eh bien, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous parce que la récréation est finie. Pourquoi ? Vous le savez, c’est parce que le rapport Mueller a été publié hier, le rapport de la commission Mueller, M. Mueller, Special Counsel, qui avait été chargé de faire une enquête sur le fait de savoir s’il y avait eu oui ou non collusion entre l’équipe de M. Trump – et éventuellement M. Trump lui-même – et la Russie. Il y avait eu une déclaration en 4 pages de M. William Barr, ministre de la Justice, que j’avais résumée de la manière conventionnelle, en disant « Circulez, y a rien à voir ! », mais je ne voulais pas me prononcer sur ce résumé un peu court, un peu bref, sachant qu’il y avait 448 pages dans le rapport lui-même. Alors, j’attendais.

Est-ce qu’il ne s’est rien passé du côté de M. Trump pendant ce temps-là ? Si, quelques petites tentatives encore à lui, par exemple, de fermer la frontière avec le Mexique, pourquoi pas, et une fois de plus, son administration l’a empêché de provoquer des catastrophes. Qu’est-ce qu’il y a eu ? Il n’a pas dû être très content non plus d’apprendre qu’en Corée du Nord, des essais sur des fusées à ogives nucléaires avaient repris. Il a dû penser que son prix Nobel de la paix était quand même sérieusement compromis parce qu’il ne faudrait pas que les Nord-coréens développent de nouvelles armes s’il veut le recevoir.

Alors, que s’est-il passé ? Ce M. William Barr avait fait un résumé disant essentiellement qu’il n’y avait ni collusion, ni obstruction de justice. On attendait de voir. On savait, on avait un peu peur parce que son ministère, les gens dans son ministère, s’occupaient à noircir des pages, à censurer des passages pour deux raisons essentiellement : parce que l’on dit des choses pas bien sur des gens qui, finalement, ne seront pas inculpés ou pas inquiétés et, d’autre part, parce qu’il y a des affaires en cours. C’est intéressant aussi de voir toutes les choses qui sont censurées parce qu’il y a encore des affaires en cours. C’est énorme. Ça touche beaucoup de choses et ça attire l’attention sur la stratégie qui avait été mise en place par M. Mueller depuis le départ : essayer de déléguer, essayer de transmettre à d’autres cours, à d’autres tribunaux le soin de s’occuper de certaines choses. J’y avais lu essentiellement une manière pour lui de protéger l’enquête, c’est-à-dire que même si on le virait, même si on fermait son bureau, ce que le Président avait en fait la capacité quand même de faire, que cela continuerait quand même. Et ça continue, effectivement : il y a un certain nombre de choses qui vont continuer à être jugées.

Est-ce que M. William Barr avait raison de dire « Pas de collusion et pas d’obstruction » ? Ce qui apparaît dans ce que l’on a pu voir – il faudrait lire les 448 pages moins celles qui sont tout en noir – ce qui apparaît des résumés que j’ai pu voir, c’est que la conclusion de M. Robert Mueller est « Pas de collusion – mais ce n’est pas faute d’avoir essayé ! » et « Pas d’obstruction – mais ce n’est pas faute d’avoir essayé ! », en particulier que M. Trump a eu des bâtons dans les roues chaque fois qu’il a essayé de faire obstacle à l’exercice de la justice. Est-ce que l’on peut parler de Deep State ? Non, on ne peut pas parler de Deep State ! C’est simplement le fonctionnement normal des institutions. Comme je l’ai souligné plusieurs fois, quand j’ai dit en rigolant « Où est le Deep State quand on en a besoin ? », c’est simplement le fonctionnement normal des institutions. S’il y avait eu Deep State, il se serait passé des choses beaucoup plus spectaculaires ! Simplement, l’enquête a suivi son cours. Les conclusions sont là. M. Mueller dit à de nombreuses reprises qu’il n’est pas certain du tout de pouvoir présenter les conclusions qui s’imposent parce qu’il n’a pas trouvé un certain nombre de choses. Il y a aussi les barrages qui ont été opposés à son enquête par les gens qui ont détruit systématiquement les preuves éventuelles, etc. On met obstacle à cela.

Est-ce que M. Mueller – comme le laissait entendre M. William Barr – dit qu’il n’y a pas eu obstruction de justice ? Là, il y a manifestement un maquillage de la part de M. Barr parce que M. Mueller dit explicitement le contraire. Il fait une liste de 11 cas d’obstruction à la justice de la part de M. Trump, 10 de manière absolument directe et une de manière indirecte et, surtout, c’est écrit noir sur blanc : il encourage le Congrès, c’est-à-dire le parlement, à se saisir de cela et à poursuivre les investigations dans ce sens-là, ce qui devrait avoir lieu.

Il y a quelqu’un qui doit être à la fois content ce matin d’avoir appris ce qu’elle a appris hier mais en même temps doit se mordre les doigts d’avoir dit il y a quelques jours, peut-être quelques semaines, qu’on allait laisser tomber cette histoire d’impeachment parce que M. Trump ne mérite pas le temps que l’on y passerait. C’est Mme Pelosi à la tête de la majorité démocrate au Congrès précisément, à la chambre des Représentants, parce que M. Mueller, lui, dit « Non, il faut le faire. Il faut lancer une procédure d’impeachment ». Si vous voulez, je mettrai le paragraphe entier si vous avez des doutes sur ce que je dis là *. Il le dit clairement : c’est au Congrès de jouer son rôle de contre-pouvoir dans cette affaire. Ça, c’est le contraire de ce que William Barr a prétendu. Il a prétendu aussi qu’avec le soutien de M. Rod Rosenstein, n° 2 au Ministère de la Justice, qu’il n’y avait pas nécessité, qu’il n’y avait pas de justification à des poursuites pour obstruction de justice. Là, M. Robert Mueller dit explicitement le contraire et, donc, il encourage – tout Républicain qu’il soit, qu’il a toujours été – le Congrès à se saisir de cette affaire-là, faute d’avoir pu établir, ce qui était le motif qui avait décidé la mise en place de la commission d’enquête : la collusion.

Alors, tout le monde va souligner qu’il a mis la barre très haute pour dire « collusion ». Il l’a dit : il donne une définition qui est des accords délibérés de personnes – il ne dit pas « assises autour d’une table » mais pratiquement ça – pour dire « Maintenant tu fais ça, moi je fais ça et on coordonne ! ». Ce qu’il n’a pas trouvé, c’est la possibilité de dire qu’il y avait coordination. Ceci dit, il y a des rapports extrêmement détaillés sur le fait que les gens ont essayé, se sont assis autour de la table pour essayer de faire quelque chose mais qu’ils n’y sont pas arrivés. Là aussi, il y a un certain nombre de personnes qui ont mis des bâtons dans les roues, même si des gens très très proches de Trump, comme son fils Donald Jr., ont joué un rôle majeur en essayant d’encourager les Russes de divulguer un certain type d’informations.

Voilà où on en est. Qu’est-ce que William Barr a essayé de faire ? C’est difficile à dire. Il a créé un narratif comme on dit. Il a essayé de définir dans quel sens on interpréterait le rapport quand il serait véritablement visible. Il a peut-être espéré aussi que les gens de son ministère noirciraient davantage de pages qu’ils ne l’ont fait parce que, en noircissant davantage, il y aurait plus de plausibilité pour sa thèse. Il a simplement retardé de quelques semaines la parution de ce que la commission Mueller avait découvert. Il est aussi arrivé à démoraliser les Démocrates pendant un certain nombre de semaines, qui se sont gratté la tête en disant « Est-ce que l’on a rêvé ? ». Il a permis à M. Roger Stone de dire : « Voilà, c’est la preuve que c’est un scandale de m’avoir arrêté, etc. ». M. Roger Stone, ce matin, ne doit pas être très content de voir le rapport tel qu’il est sorti, M. Donald Jr. non plus, qui avait aussi paradé en disant : « Vous voyez bien, vous voyez bien ! » et M. Trump lui-même qui avait dit – et c’est écrit noir sur blanc dans le rapport de la commission Mueller – « Si cette commission est vraiment crédible, je suis foutu ! ». Eh bien, il doit se convaincre qu’il est peut-être foutu quand même ! Même si pendant quelques semaines, il s’est convaincu du contraire.

Il y a énormément de choses bien entendu. Le travail a été très bien fait. C’est un professionnel. C’est un des grands monsieurs, Robert Mueller, quoi que l’on pense du FBI et quoi que l’on pense du rôle qu’il a joué de héros dans la guerre du Vietnam, etc., c’est un fonctionnaire modèle et on savait qu’il allait faire son travail consciencieusement. Il a dû être un peu désarçonné pendant les quelques semaines entre la déclaration de M. William Barr, à la tête du ministère de la Justice, et la publication, de se dire « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? ». Il savait que, déjà, les Congressistes, les parlementaires, allaient le faire venir pour parler de ça. Ils le feront peut-être encore venir mais, voilà, le texte parle.

Il y a beaucoup à lire. Il y a beaucoup de choses à regarder. La plupart des choses, on les connaissait. Ce qui était curieux, c’est que Barr nous avait laissé entendre que l’on avait peut-être rêvé, que tout le monde avait peut-être déliré, que le New York Times avait inventé des choses, que peut-être le Washington Post avait inventé des choses, que peut-être MSNBC, la chaîne de télévision – ce sont ceux qui ont fait les enquêtes les plus approfondies – la revue Wired, que tous ces gens avaient rêvé. Non, ils n’ont pas rêvé et, en fait, non seulement ils n’ont pas rêvé mais, maintenant, on trouve dans le rapport de la commission Mueller – dans les parties qui ne sont pas en noir – la confirmation de tout ce que ces gens avaient découvert par des enquêtes approfondies, et ce n’est pas terminé bien entendu parce que, vous le savez, il reste encore pas mal de choses qui ont été lancées et qui vont continuer.

En particulier, c’est dans l’actualité, en raison de l’arrestation de Julian Assange, son rôle va finir par apparaître aussi en pleine lumière. L’astuce qui consiste à l’inculper et à demander une extradition sur ce qui s’est passé en 2010-2011, c’est un peu cousu de fil blanc parce que l’on veut sûrement l’entendre aussi sur le rôle qu’il a joué d’intermédiaire entre les gens dans la campagne de Trump : essayer d’obtenir des informations sur les données qui avaient été piratées, hackées, dans les comptes de la campagne Démocrate, entre les Américains et les Russes qui avaient piraté les données. Les Américains veulent sûrement en comprendre encore davantage et faire parler M. Assange dans un procès.

Voilà un petit résumé ce matin. J’ai déjà 3 volumes bouclés sur l’affaire Trump. Le 4ème s’est ouvert hier soir. Le premier va paraître à la rentrée. Je ne regrette pas d’avoir fait cette enquête. Je tire parti, vous l’avez compris, du fait que les États-Unis, c’est un pays que je connais bien. J’y ai habité 12 ans d’affilée. Je connais différentes parties du pays. J’ai travaillé un petit peu au Texas. Je connais très très bien la Californie et, surtout, à ma manière, j’ai participé à la politique américaine en étant un militant de ACLU (American Civil Liberties Union), l’équivalent d’un parti de gauche aux États-Unis.

Alors, chers ami.e.s, je continue de vous tenir au courant. Il y aura sûrement pas mal de choses dites encore à propos de ce rapport, que tout le monde doit lire un peu fébrilement dans les rédactions et on va encore trouver des perles dont on pourra parler dans les jours qui viennent. Il y aura aussi des réactions, bien entendu, à ce qui a été dit. On s’attend à des réactions, bien entendu, du côté de Fox News, qui pavoisait. Passe un très mauvais quart d’heure, apparemment – il faudra que je lise davantage là-dessus – dans le rapport Mueller, Mme Sarah Huckabee Sanders, la porte-parole de la Maison Blanche, que la presse a accusé à de nombreuses reprises de mentir délibérément et le rapport Mueller dit la même chose. Mme Huckabee Sanders a menti délibérément de manière assez systématique et je ne crois pas qu’elle pourra sortir entièrement indemne de cela.

Voilà, allez, à bientôt. Dès qu’il y a autre chose, je me tourne vers vous comme d’habitude pour une petite vidéo. Joyeuses Pâques !

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* Le rapport Mueller :

La conclusion qui voudrait que le Congrès [Assemblée nationale] applique les lois relatives à l’obstruction de justice à l’exercice corrompu des pouvoirs associés à sa fonction par le Président concorde avec notre système constitutionnel de contrepouvoirs et avec le principe que nul n’est au-dessus de la Loi.

« The conclusion that Congress may apply the obstruction laws to the President’s corrupt exercise of the powers of office accords with our constitutional system of checks and balances and the principle that no person is above the law. »

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