Brexit : une bombe à retardement d’une taille colossale
David Cameron a été Premier ministre britannique de 2010 à 2016. Il dirige aujourd’hui une association luttant contre l’extrême pauvreté. Il est également président d’une association de défense des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et encourageant la recherche sur cette terrible maladie.
Dans quel état d’esprit est-il quand il se lève le matin ces jours-ci ? C’est lui en effet qui fut à l’origine du referendum du Brexit, en tant que Premier ministre. Durant la campagne, il s’affirma personnellement opposé à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et démissionna ensuite quand les électeurs désavouèrent son choix en votant à 51,9% en faveur du Brexit.
Il faut se poser la question quand on voit dans quel état de confusion mentale se trouvent aujourd’hui les députés et les lords britanniques et dans quel état de chaos économique se trouve sa nation à la suite de sa décision malencontreuse. La raison en est l’incertitude qui règne plus de onze cents jours après le vote fatidique du 23 juin 2016. Les options sur la table ne sont plus en effet les différentes modalités d’une sortie de l’Union européenne, elle posent la question de savoir si cette sortie aura bien lieu et si oui, à quel moment, la date initiale du 29 mars 2019 ayant déjà été reportée, sans qu’on ne sache au moment où j’écris quand elle tombera : en avril encore, en mai ou en juin peut-être, voire carrément dans un an.
Au cas où le Brexit aurait bien lieu, il n’est pas encore entièrement exclu que ce soit dans la précipitation et le désordre, en l’absence d’accord avec l’Union européenne, même si le jeudi 4 avril une motion soutenue par la Travailliste Yvette Cooper et le Conservateur Olivier Letwin, rejetant l’option « no-deal » a été votée au parlement et l’a emporté par une majorité d’une seule voix : 313 pour, 312 contre. La mesure était débattue par les Lords lorsqu’une inondation à Westminster a interrompu les délibérations et empêché que le vote ait encore lieu vendredi. Mais rien n’interdit de penser à l’heure qu’il est que le Brexit n’aura peut-être pas lieu : les hypothèses d’un second referendum ou même d’élections législatives anticipées n’ayant pas entièrement été rejetées.
La proposition de Mme Theresa May, Premier ministre a été présentée, quelque peu remaniée à trois reprises, et rejetée successivement le 15 janvier, le 14 février, le 12 mars et le 29 mars. Sa position s’est trouvée affaiblie chaque fois davantage et elle a été acculée à promettre sa démission en cas d’accord, comme un moyen pour elle de voir ses propositions accueillies plus favorablement.
L’ouverture d’un dialogue avec Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste est apparue comme positive aux yeux de l’opinion mais a déforcé Mme May encore davantage par rapport à un gouvernement qui lui fait de moins en moins confiance, et où les défections s’égrènent de jour en jour. Quant à un second referendum, qui pourrait porter sur une proposition rédigée conjointement par Conservateurs et Travaillistes, un sondage publié le 1er mars donnait 46% des Britanniques votant cette fois pour un maintien dans l’Union européenne, 41% toujours en faveur du Brexit, et 13% d’indécis.
L’issue de ce referendum ne faisait aucun doute pour David Cameron alors Premier ministre : les Britanniques n’en voudraient selon lui à aucun prix. Il est de notoriété publique aujourd’hui qu’il entendait simplement se débarrasser à cette occasion de quelques rivaux encombrants, principalement de M. Boris Johnson, maire de Londres jusqu’en mai 2016 et Ministre des affaires étrangères dans le cabinet de Mme May jusqu’en juillet 2018.
Le Financial Times soulignait à l’époque du referendum qu’il s’agissait avec le Brexit de rien de plus qu’une querelle entre camarades de promotion d’abord à l’école prestigieuse de Eton et ensuite à l’Université d’Oxford. Une tempête dans un verre d’eau à l’intérieur du même petit monde fermé des « élites ».
En appelant au referendum du Brexit, Cameron voulait s’assurer les coudées franches pour la suite. Mal lui en a pris. Mal en a pris également à Mme May quand dans des circonstances comparables, pressée par des rivaux, elle a voulu elle aussi accroître sa marge de manœuvre en appelant à des élections législatives anticipées en juin 2017 et perdit à cette occasion la majorité absolue dont son parti disposait au parlement, rendant sa navigation plus malaisée et non plus facile. L’enfer, dit-on est pavé de bonnes intentions.
L’incertitude régnant au Royaume-Uni est présage d’une authentique catastrophe, voire d’un véritable cataclysme, politique aussi bien qu’économique : le statut si complexe de l’Irlande du Nord, qui ne put être réglé en 1998 dans l’Accord du Vendredi Saint que grâce à un Royaume-Uni et une République d’Irlande réunis au sein de l’Union européenne, pourrait être compromis, ravivant des luttes fratricides.
On apprenait le mardi 2 avril que dans un rapport de 14 pages, Sir Mark Sedwill, le ministre à la tête de l’administration britannique, alertait qu’en cas de Brexit improvisé en l’absence d’accord, le prix des aliments augmenterait de 10%, qu’un grand nombre de compagnies seraient acculées à la faillite et que le gouvernement se verrait obligé de venir à leur secours, qu’une récession débuterait aussitôt et que la livre sterling subirait une dépréciation plus significative qu’en 2008. Gageons que devant de tels remous, le reste de l’Union européenne n’en sortirait pas indemne lui non plus.
La situation actuelle du Royaume-Uni contient en elle un pouvoir détonnant à faire pâlir celui des titres subprimes autrefois puisqu’il s’agit de la cinquième puissance économique mondiale. David Cameron, pour avoir voulu s’assurer les coudées franches dans des querelles entre rivaux du temps des bancs d’école a mis en place une bombe à retardement d’une taille colossale.
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