Retranscription de Université Catholique de Lille, Déclarer l’état d’urgence pour le genre humain ? Les risques existentiels pour notre espèce, le 5 février 2019. Merci à Eric Muller ! Ouvert aux commentaires.
Bonsoir. Aujourd’hui, dans ce cycle sur la nécessité ou non de déclarer un état d’urgence pour l’humanité, je vais parler plus spécifiquement des risques que nous courons effectivement.
Et là, si on fait un pas en arrière, je ne sais pas, quelque chose de l’ordre de mon enfance ou de mon adolescence : la manière dont nous nous représentons ces risques est extrêmement différente. Il s’est passé en particulier – si j’ai bon souvenir c’était dans les années 70 – quand nous avons découvert que la disparition des dinosaures était liée à un événement cataclysmique. Nous savions bien que les dinosaures avaient disparu, nous ignorions encore aussi que les oiseaux sont des dinosaures et que eux ont survécu et que, effectivement, on parle de la disparition des dinosaures non-aviens maintenant, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des oiseaux. Ça a passionné, bien entendu, aussi les enfants de découvrir que les dinosaures existaient toujours mais qu’ils étaient beaucoup plus petits que ceux qu’on nous montre dans les musées d’histoire naturelle. Mais nous avons découvert que c’est l’arrivée d’un astéroïde, c’est l’écrasement sur la Terre d’un astéroïde qui a provoqué la disparition des dinosaures. C’est un événement massif – c’est un astéroïde de dix kilomètres de long d’après ce qu’on a pu calculer – qui a provoqué un hiver artificiel par la présence de poussières dans l’atmosphère, et qui a conduit à la disparition d’une quantité considérable de végétation : changement brutal de température, production dans un cas comme celui-là – quand il y a de grandes disparités qui apparaissent entre la température de la partie émergée de terre et celle des océans – cela provoque bien entendu des typhons, des événements météorologiques tout à fait catastrophiques dans la tentative de la Terre de rétablir un équilibre entre la température des terres et la température des mers.
Donc nous sommes devenus conscients de cela. Nous avons commencé à expliquer aussi que cet événement qui avait eu lieu en Sibérie – si j’ai bon souvenir c’était en 1908, une grande destruction de forêts en Sibérie – c’était probablement, là aussi, une météorite ou un petit astéroïde.
Un astéroïde de dix kilomètres de long ou de diamètre a donc provoqué la disparition des dinosaures. Les astronomes d’aujourd’hui calculent que l’impact d’un astéroïde d’un kilomètre de diamètre serait suffisant pour mettre en danger les mammifères. Comme vous le savez aussi, c’est la disparition des dinosaures qui a été l’occasion pour les mammifères de pouvoir se manifester. Les mammifères étaient plus intelligents mais ils étaient obligés, vu la présence massive des dinosaures, de se cacher, de vivre dans des terriers, de sortir essentiellement la nuit, et on cite cet exemple [pour rappeler] que l’évolution ne produit pas nécessairement des espèces plus intelligentes que celles qui disparaissent : c’était la taille massive des dinosaures qui leur donnait un avantage dans des climats qui leur permettaient de devenir des animaux aussi gros et aussi robustes, pas par leur intelligence mais par leur masse, leur masse en tant qu’animal.
On a répertorié en ce moment 1884 astéroïdes, corps célestes importants qui représentent un risque potentiel pour l’humanité. Vous avez dû voir – c’est un thème de films récents comme Armageddon ou Deep Impact, la possibilité que nous avons maintenant, quand nous voyons arriver un astéroïde à proximité de la terre, d’éventuellement pouvoir faire quelque chose – c’est-à-dire en particulier de pouvoir utiliser notre armement thermonucléaire à quelque chose de plus intéressant que la propre élimination de nos congénères – et éventuellement le détruire, détruire ce corps extrêmement dangereux qui vient à notre rencontre.
Donc, il y a un risque de type astronomique pour notre Terre. Heureusement des événements de ce type-là sont rares – des corps célestes de cette taille arrivant à la surface de la Terre – mais ça existe, et puis vous le savez, nous sommes bombardés en permanence par des petites météorites que l’on retrouve à la surface de la Terre mais qui aussi arrivent parfois de manière saisonnière, comme dans ces pluies d’étoiles filantes, comme nous disons – et qui sont en réalité des pluies de météorites, bien entendu – quand nous traversons une partie de l’espace particulièrement dense de ces petits corps.
Il y a d’autres risques, géologiques ceux-là, qui sont de taille à être un danger pour la vie à la surface de la Terre : le risque présenté par les volcans.
Nous connaissons essentiellement les volcans sous la forme du danger qu’ils représentent, un danger pour les populations vivant à proximité, mais nous savons – par l’histoire mais surtout par les empreintes géologiques – que des éruptions volcaniques peuvent être beaucoup plus considérables que celles que nous connaissons. Il y en a une en particulier en 1815, qui a provoqué des famines à la surface de la Terre, un volcan en Indonésie, le Tambora, dont on parle peu mais qui a provoqué un mini-hiver artificiel dû aux poussières dans l’espace, qui a conduit à des famines, en particulier en France et, petite anecdote que les Américains connaissent : si on a ouvert les territoires de l’Indiana et de l’Illinois à la population colonisatrice d’origine blanche, c’est en raison de la famine qui avait lieu en 1816 sur la côte Est, et qui a conduit la population à essayer de trouver des endroits plus propices.
Donc nous connaissons, je dirais, quelques générations avant nous – c’est de l’ordre de nos grands-parents ou de nos arrière-grands-parents – des catastrophes importantes. Mais il y a eu des catastrophes beaucoup plus considérables, et en particulier une catastrophe super-volcanique comme on dit, qui a détruit – c’était à l’époque du permien si j’ai bon souvenir – qui a détruit 50% des espèces animales et 25% des espèces végétales. Donc, là aussi, la possibilité d’avoir des événements volcaniques extrêmement dangereux. Un des événements les plus dangereux à la surface de la Terre date de – le chiffre est de l’ordre de trois cent mille ans – c’est l’explosion d’une boule de magma dans le parc aujourd’hui de Yellowstone aux États-Unis. Mais nous savons que la boule de magma qui est en train de se former, qui s’est reformée depuis, a une taille qui est probablement de l’ordre de grandeur de celle qui avait conduit à un événement tout à fait considérable, provoquant là aussi un hiver de type naturel mais qui détruit les espèces vivantes, animales et végétales, de manière tout à fait considérable. Donc, le risque existe.
Là, nous n’avons même pas, je dirais, au niveau de la science-fiction, de représentation de comment combattre une boule de magma en train de se créer pas très loin de la surface de la Terre, et qui pourrait conduire à ce qu’on appelle un méga-événement de type volcanique, qui peut là aussi détruire les espèces animales et végétales de manière tout à fait considérable. Quelques géologues se sont aventurés à proposer de percer des puits autour des endroits connus comme étant dangereux, pour faire évaporer, pour dissiper une partie de la chaleur dans l’atmosphère, mais à ma connaissance – et dans les livres que j’ai consultés – il n’y a pas de projet véritablement de cet ordre-là. Là, nous sommes entièrement désarmés : nous ne pouvons même pas imaginer que, comme dans le cas de météorites – pardon : d’astéroïdes – venant dans notre direction, que nous pourrions faire quelque chose, essayer de combattre un danger qui se préciserait.
Autre événement de type naturel, ce sont les épidémies. Les épidémies, bien sûr, sont d’ordre naturel. Elles dévastent les populations humaines de manière tout à fait considérable : on considère que la peste de Justinien – au VIe siècle – a tué la moitié de la population dans l’empire romain, à l’époque. Donc c’est tout à fait considérable. La Grande peste du moyen-âge, bien entendu, là aussi éliminant une partie importante de la population, et pour penser à un événement plus proche de nous, vous le savez sans doute, Apollinaire, notre grand poète est mort en 1918, mais il n’est pas mort des blessures qu’il avait subies effectivement pendant la guerre, il est mort de la grippe espagnole, et la grippe espagnole a tué à la surface de la Terre cinquante millions de personnes, à comparer aux dix-sept millions de morts de la guerre. Il y a pratiquement trois fois plus de personnes qui sont mortes entre 1918 et 1920 de la grippe espagnole que de la guerre en tant que telle. Ce n’est évidemment pas une manière de justifier les morts de la guerre, mais c’est pour vous montrer la taille des événements de type épidémie.
Nous sommes mieux armés parce que nous avons compris pas mal des mécanismes relatifs aux microbes, d’ordre bactérien, ou aux virus, mais comme vous le savez, on parle maintenant de super-germes ! Notre utilisation massive des antibiotiques a produit aussi des souches résistantes, comme on dit, et surtout, nous avons la capacité, je dirais, dans le cadre d’une guerre bactériologique, nous avons la capacité de créer des armes à partir de notre capacité à faire du génie génétique maintenant, et à modifier les organismes. Nous pourrions créer un microbe particulièrement dangereux en combinant certaines des propriétés que nous connaissons. Par exemple, si on voulait en faire une arme de guerre, on pourrait prendre une bactérie ou un virus dont nous savons que la période de latence est extrêmement longue, donc il y a une période d’incubation longue pour que l’ennemi ne soit pas prêt. Nous pourrions combiner des propriétés que nous connaissons, par exemple des bactéries particulièrement létales, particulièrement contagieuses d’une personne à une autre, etc.
Nous minimisons le danger que représentent pour nous les épidémies – parce que nous avons maintenant une certaine maîtrise et parce que les grandes épidémies datent d’un certain temps – mais nous avons, par ailleurs la possibilité, par intention mauvaise, de multiplier le risque en créant dorénavant des germes pathologiques de manière artificielle. Bien entendu, ce qui est créé comme microbes est d’ordre naturel, mais à l’aide de techniques de type technologique classique, et comme le faisait remarquer un auteur, l’équipement pour produire des armes bactériologiques cela peut se faire maintenant dans une chambre de taille moyenne, c’est-à-dire qu’il ne faut pas d’énormes équipements. Vu la rapidité de reproduction de ces organismes, on peut faire des choses extrêmement rapidement.
Intention mauvaise, mais aussi possibilité d’accident. Un exemple connu : des chercheurs australiens essayent de réguler la fécondité des souris en manipulant le microbe de la variole chez la souris, et provoquent de manière incontrôlée, par erreur, un germe absolument résistant à tous les médicaments que nous pourrions utiliser. Donc, pas seulement intention mauvaise mais aussi risque d’accident : le risque, par exemple aussi, dans le cas de microbes dont nous considérons qu’ils ont disparu et que nous conservons soigneusement pour des buts de recherche dans des laboratoires, un risque de contamination accidentelle, un accident arrivant à l’endroit de stockage et des choses de cet ordre-là.
Les risques naturels précèdent absolument notre possibilité d’augmenter les risques, en tant qu’êtres humains, de manière volontaire ou involontaire ou simplement par la présence de notre espèce en grand nombre à la surface de la Terre. Quand on regarde ces différents risques et qu’on les combine, des chercheurs s’amusent à nous provoquer par des paradoxes : en combinant le risque de météorites, d’épidémies et de volcans, le risque que nous mourions dans ces événements est 1500 fois plus élevé que le risque de mourir dans un accident d’avion ! L’accident d’avion nous paraît – nous le voyons dans les journaux : c’est quelque chose d’affreux – mais simplement en utilisant les chiffres, en multipliant les risques les uns par les autres – parce qu’il ne faut pas penser qu’un risque de volcan empêche le risque de météorite : les risques se combinent.
Je m’étais amusé, si on peut dire – c’était à l’époque de Fukushima – et quand nous on nous parlait d’un événement comme celui-là et qu’on essayait de minimiser les risques pour nous tous d’un accident de ce type-là, j’avais fait un calcul, de type élémentaire justement, comme dans cet exemple de risque de cataclysme d’ordre naturel plus élevé que le risque de mourir dans un avion : à partir du simple chiffre disant que, dans les centrales nucléaires, le risque est calculé de manière à être quasi inexistant – c’est-à-dire un risque d’accident tous les cinq mille ans – à mettre en perspective, bien sûr, avec le fait qu’en général – bien que maintenant, vous le savez pour des raisons d’économie, on essaie de prolonger la vie des centrales nucléaires qui vivent trente ans, quarante ans, cinquante ans peut-être – à comparer aux risques de l’accident tous les cinq mille ans – mais je m’étais amusé à partir de ce chiffre-là, et à le combiner avec le fait que, à l’époque de Fukushima, si j’ai bon souvenir, le nombre de centrales nucléaires en fonctionnement est de l’ordre de quatre cent quatre-vingt-dix. Quand vous combinez l’ensemble des risques de cinq mille ans par centrale sur un chiffre qui est quasiment de cinq cents, vous arrivez à un accident tous les quinze ans ! C’est-à-dire que cet accident qui vous paraît pratiquement impossible parce qu’il n’arriverait que tous les cinq mille ans, si nous avons de l’ordre de cinq cents centrales, un accident tous les quinze ans ! Et quand vous regardez Fukushima et que vous le mettez en perspective justement, avec Three Miles Island, avec Tchernobyl, avec encore d’autres incidents qui ont eu lieu, vous pouvez voir : depuis que nous avons des centrales nucléaires, c’est à peu près de l’ordre de quinze ans ! Donc, il ne s’agit pas de série noire dans ce que nous avons vu, non : c’est ce que les chiffres auraient pu nous montrer. C’est simplement que notre vigilance est endormie par cette idée d’un accident tous les cinq mille ans, et que nous mettons spontanément entre parenthèses que, quand il y a cinq cents centrales, bien entendu, le risque d’une centrale n’élimine pas le risque d’une autre : ça les combine à la surface de la Terre. Bien entendu, ce n’est pas à Fukushima qu’il y a un accident tous les quinze ans, c’est à la surface de la Terre dans son ensemble.
Passons aux risques qui sont liés à nous en tant qu’êtres humains. J’ai mentionné la guerre, éventuellement bactériologique, mais il y a bien entendu les guerres que nous causons nous-mêmes. Nous pouvons nous dire « Il est extraordinaire qu’il y ait eu cinquante millions de victimes de la grippe espagnole », mais nous pourrions aussi bien nous ébaudir sur le fait que, en quatre ans, nous soyons quand même arrivés à détruire dix-sept millions de personnes rien que par les guerres que nous nous livrons les uns aux autres. Et nous le savons : nous avons des armes de plus en plus létales que nous utilisons dans les guerres que nous faisons.
Vous savez, cette association de défense des propriétaires d’armes individuelles aux États-Unis, la National Rifle Association (NRA), extrêmement puissante du point de vue politique – qui joue un rôle dans les élections, qui peut pratiquement mettre son veto à la nomination d’un candidat – un de ses mots d’ordre, c’est « Ce ne sont pas les armes qui tuent, ce sont des êtres humains » mettant entre parenthèses le fait d’observation qu’une arme n’est pas un objet quelconque et qu’un individu pouvant éventuellement saisir un couteau de cuisine n’est pas aussi dangereux que celui qui peut saisir un revolver, ou ces armes à répétition que l’on vend maintenant, qui sont utilisées dans les massacres de masse. Bien entendu, l’objet, lui, est inerte, mais là aussi, la combinaison entre l’être humain et l’objet, quand il cesse d’être inerte et quand il est utilisé dans le but pour lequel il a été conçu, peut être extrêmement dangereuse. Il y a une différence entre un peigne et une kalachnikov, bien que les deux doivent être actionnés par un être humain. La dangerosité de la combinaison n’est pas comparable dans un cas et dans l’autre. Il est dommage que cet argument ne soit pas utilisé davantage par les gens qui combattent ces tentatives d’innocenter la présence des armes comme ne représentant pas un danger en soi.
Si l’on pense aux armes nucléaires, elles sont en nombre considérable. Les États-Unis viennent de dénoncer un accord sur les armes thermonucléaires et la Russie, bien entendu, va emboîter le pas, et nous allons repartir dans une guerre de type classique.
Je parlerai d’un autre risque aussi, parce que nous sommes – plus particulièrement maintenant – dans un autre type de risque qui est un risque de cyber-guerre, de guerre cybernétique, de guerre numérique, mais j’en parlerai un peu plus tard [hélas non !], quand j’aurai pu développer un tout petit peu les arguments sur la technologie.
Les armes nucléaires sont extrêmement dangereuses, bien entendu. Heureusement, peu ont été véritablement utilisées au monde. En 1945 bien sûr, il y a eu Hiroshima et Nagasaki. En 1952, les Américains ont fait exploser une bombe qui était deux cents fois plus puissante que celles qui avaient été utilisées au Japon, et toujours la même année, les Russes ont fait sauter une bombe qui était cinq fois plus puissante [que la bombe américaine] mais dont on sait – ils l’ont expliqué et l’explication est vraisemblable – qu’ils auraient pu la rendre cinquante fois plus fois plus puissante, et que c’est en raison des risques de contamination qu’ils l’avaient bridée : la Tsar Bomba était relativement modeste par rapport aux possibilités.
Donc, nous avons le nombre d’armes à la surface de la Terre qui est considérable – plusieurs milliers -, il y a neuf puissances nucléaires si on inclut dans le nombre Israël – qui dément, depuis je crois la fin des années 50, posséder l’arme nucléaire, mais dont des gens informés disent qu’elle existe véritablement. Certains pays, comme le Pakistan, possèdent la bombe atomique et l’ont disséminée, en particulier vers la Libye, vers la Corée du Nord pour des raisons d’ordre géopolitique et il n’est pas impossible que – parce que six cents incidents de vol de matériaux fissiles ont été enregistrés au fil des années – que d’autres personnes possèdent le moyen de faire des bombes nucléaires de manière, on pourrait dire artisanale si on veut – parce que la préparation d’une bombe atomique demande quand même un équipement très important, comme par exemple les centrifugeuses qui permettent de concentrer certains types d’isotopes pour constituer le noyau explosif de la bombe.
Mais, je vous l’ai dit, le risque existe maintenant, également, de guerre bactériologique, qui demande là un faible équipement. La chose rarement mentionnée mais qui est pourtant vraie, l’invention de l’internet a rendu la communication de l’information beaucoup plus simple qu’autrefois [… les piles rendent l’âme !]
Laisser un commentaire