À propos de mon texte « La mort. Comment l’apprivoiser ? » dans le numéro le plus récent de Quinzaines. Ouvert aux commentaires.
Je ne connaissais pas le texte de London. Il a tout à fait raison, j’ai écrit quelque part (dans une nouvelle) que la mort par le froid est la plus douce qui soit, et j’ai raconté ailleurs le suicide de Guy Waterman, l’un des grands écologistes des USA, au mont Lafayette, dans les montagnes Blanches, y partant en hiver dans la tempête, après avoir simplement dit à sa femme (ils vivaient dans une maison très isolée, sans électricité ni téléphone, mais avec un piano Steinway, et voiture exprès à 2 km), « pense à faire du pain aujourd’hui ».
Ayant été 18 ans rédacteur en chef d’un magazine spécialisé, j’ai connu tout les grands alpinistes de la période 1980-2000, et la plupart sont morts en montagne. Pas moi, parce que je suis à la fois prudent et poltron, mais cela a plusieurs fois failli m’arriver, et j’en retire le sentiment que la peur de la mort est une anticipation. Mon expérience est que lorsqu’on est vraiment en danger, on n’a pas peur, on est dans l’action, on n’a pas trop le temps de penser. D’ailleurs c’est un des intérêts de l’alpinisme, où concrètement on se place volontairement dans une situation de survie. Là Heidegger ou Proust ne comptent plus comme ils peuvent le faire dans la vie normale. Là c’est aménager le bivouac, voir ce qu’il reste à manger, que faire demain. Les Magdaléniens et autres ne devaient guère penser autrement. Bref l’alpinisme, malgré toute la technologie dont il profite, c’est un peu se replonger dans la préhistoire. Alors en général ça dure peu de temps, un ou deux jours, cinq pour Bonatti au pilier éponyme au Dru, dix je crois pour la première ascension hivernale de la face nord de l’Eiger en 1961, etc. Le record absolu étant celui de John Mallon Waterman, fils du Waterman dont je vous parlais plus haut: 145 jours solitaires pour ouvrir l’itinéraire le plus difficile de l’Alaska. C’est tellement incompréhensible que John Mallon Waterman n’est pas trop connu. Bon, il était psychotique, très bizarre, et a terminé sa vie au mont McKinley, alias Denali, où il était parti sur la paroi la plus dangereuse avec un équipement totalement inadapté et des vivres également. C’était un suicide, plus ou moins voulu peut-être.
Un alpiniste des années 20-30, Robert Tézénas du Montcel, raconte dans un livre magnifique plusieurs ascensions et aventures. C’est publié chez Gallimard, j’ai voulu le faire rééditer chez Hoëbeke où j’étais directeur de collection, c’est pour moi un des livres les mieux écrits sur l’alpinisme. Donc dans ce livre Tézénas du Montcel raconte une tentative avortée de la face nord des Grands Charmoz. Lui et son compagnon remontent la pente de neige du milieu, ils sentent que ce n’est pas génial, mais redescendre serait plus difficile, le mieux serait de rejoindre au-dessus la partie rocheuse.
Mais voilà, l’avalanche les prend et les entraîne, et assez miraculeusement les laisse au bas du névé, c’est à dire au-dessus des barres rocheuses inférieures, où d’une chute dont ils n’auraient pu réchapper. Et c’est là que Robert Tézénas du Montcel explique : « En fait, ce n’est pas si difficile de mourir. Nous avions fait le plus dur ». Je trouve ces phrases magnifiques.
P.S. Une psychanalyste nommée Yvette Assedo, dont j’ignore tout, avait écrit un article jugeant que les alpinistes étaient contraphobiques. Je suis assez d’accord, et mon copain Jean Afanassieff, grand alpiniste, premier français au sommet de l’Everest et plein d’autres, choses, était d’accord, et lui qui était assez risque-tout était bien placé pour le savoir. Bon lui il est mort d’un cancer du pancréas.
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