Saint-Etienne, Conférence de l’hôtel de ville : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie » (VIII) Comment se déterminent les taux d’intérêt ?

Je publie en feuilleton la retranscription (merci à Éric Muller !) de ma très longue conférence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.

Question de la salle : Je ne suis pas une économiste mais, tout de même, sauf erreur, la rente avant 1914 rapportait entre deux et trois du cent. Est-ce que le marasme économique actuel ne vient pas, justement, des taux exorbitants que prélève le capital, et est-ce que ça n’est pas accentué par le fait qu’on a autorisé les banques à créer, en quelque sorte, de la monnaie virtuelle chaque fois qu’elles accordent un prêt ?

PJ : C’est vrai que les banques centrales ont pu fonctionner de manière correcte au fil des siècles parce qu’elles produisaient de l’argent supplémentaire à mettre dans le système au prorata de la richesse véritablement créée. Pourquoi est-ce qu’elles l’ont fait ? Et bien, c’est parce que leur rôle principal était un rôle de stabilité de la monnaie : il fallait, dans le monde du travail, le monde de la production, il fallait qu’il ne faille pas à tout moment augmenter les salaires ou les baisser pour que les choses fonctionnent. La stabilité des prix était très importante, et les banques sont arrivées à le faire, en faisant que les masses monétaires reflètent effectivement la richesse créée. 

Il est vrai que pendant des siècles, on a considéré que le rapport normal d’un prêt était de l’ordre de 3 % dans le monde occidental, et c’était sans doute un reflet de la générosité d’une nature sur laquelle nous n’avions pas une action technologiques très poussée. Parce que nous avions des outils mais nous avions surtout la charrue, le moulin à vent, etc. et la nature, dans laquelle l’homme apparaissait essentiellement comme un catalyseur, produisait effectivement d’elle-même – c’est ce que Proudhon appelait « les aubaines ». On appelait ça aussi « l’ébullition de la nature » qui faisait que la part que l’on pouvait donner aux propriétaires dans la distribution, par exemple dans un contrat 50/50 de métayage, impliquait que l’on pouvait faire du 3% sans grande difficulté. Si c’était de cet ordre-là, ça voulait dire que le rendement devait être 6 %, parce qu’il fallait quand même qu’il n’y ait pas uniquement que le propriétaire qui obtienne de la richesse, il fallait aussi que celui qui travaille en obtienne. Donc, c’est vrai que la nature a eu des rendements de ce type-là. La difficulté dans laquelle on est maintenant, c’est qu’il y a deux éléments dans la détermination d’un taux d’intérêt : il y a, quand tout va bien, le partage la richesse, les parts. Dans l’exemple, la moisson est de l’ordre de 6 %, le propriétaire aura quelque chose de l’ordre du 3 % et le métayer aura de l’ordre de 3 %. Ça, c’est quand tout va bien. Quand tout va mal, vous le savez, les taux d’intérêt augmentent aussi, pas simplement parce que la nature rend davantage ou parce qu’une invention technologique permet de tirer davantage de la nature, mais parce qu’on introduit un autre élément dans le taux d’intérêt : c’est la prime de risque. C’est la prime de non remboursement, parce que, effectivement, il y a pour celui qui prête de l’argent, un capital quelconque, il y a un risque, c’est que ce capital ne soit pas rendu. Quand c’est de la terre, le risque est limité : la terre sera toujours là. Mais quand il s’agit de sommes d’argent, elles peuvent disparaître entièrement.

L’usage s’est introduit qu’une part du taux réclamé est là pour constituer une sorte de cagnotte au cas où les intérêts ne seraient pas payés, au cas où le capital, le principal comme on dit, ne serait pas remboursé. Quand on prête à un emprunteur subprime aux États-Unis, et ça c’était au coeur de mon métier, c’était de déterminer quels sont les taux d’intérêt que l’on réclame sur les différents types de prêts immobiliers. J’ai souligné tout à l’heure que ce ne sont pas des prêts hypothécaires.

On avait inventé, aux États-Unis, ce qu’on appelle la cote FICO, le score FICO. C’est une mesure du risque que représentent les emprunteurs individuels. On regarde tous les paiements qu’ils ont fait aux compagnies de l’électricité, les remboursements qu’ils ont fait pour de l’électroménager, un prêt sur une voiture, etc. et on regarde si les gens ont payé l’argent qu’ils devaient payer, et on leur donne un score, et en fonction de ce score, on déterminait la prime de risque à introduire, ou non, dans les taux d’intérêts qu’on réclamait de ces personnes. Donc, de manière typique, un emprunteur prime, c’est à dire qu’il avait un score FICO extrêmement élevé, une notation FICO, si vous voulez, très élevée, on ne lui réclamait qu’une prime de risque extrêmement faible. Par exemple, il a dû emprunter, comme on voit maintenant, à du 1,5 %, mais l’emprunteur subprime, parce qu’il y avait quand même un risque de non-remboursement même si on était dans une bulle – une bulle immobilière qui faisait que la banque pouvait récupérer son argent – mais il y avait quand même des frais, voilà, il fallait remettre la maison à neuf, etc. et la prime de risque de crédit était énorme dans le cas des emprunteurs subprime. Donc, par exemple, au lieu d’emprunter a du 1,5 %, ils emprunteraient à du 7 %, à du 9 %. Petite remarque quand même : à l’intérieur du taux d’intérêt, il y a aussi la marge de profit que met le prêteur, et là, remarque à faire pour montrer dans quelle genre de société on vit quand même : la marge de profit sur les prêts subprime était double. C’est-à-dire que quand l’emprunteur subprime payait beaucoup plus en terme d’intérêts, c’était pas simplement la prime de crédit en plus. On lui doublait en douce le profit de la banque en arrière-plan. Ça, c’est un aspect malheureusement rapace de la finance dont on voit la trace tous les jours. Lisez aujourd’hui l’actualité sur Deutsche Bank ou des choses de cet ordre-là, il y en a malheureusement tous les jours dans les journaux.

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