Je publie en feuilleton la retranscription (merci à Éric Muller !) de ma très longue conférence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.
Question de la salle : Bonsoir. Je vais commencer par introduire ma question en expliquant que je suis un fils d’agriculteur qui est allé étudier en ville. Dire qu’on était paysan revenait à se faire traiter de paysan. C’était une insulte, dans les années 2000, d’être fils de paysan. Donc moi, je pense que pour organiser la transition écologique et faire en sorte qu’on ait une coopération globale et qu’on construise quelque chose de tenable à long terme, il faudrait changer ce type de représentation dans l’esprit global de tout le monde, de tout un chacun. Il se trouve qu’on a une explosion des technologies et comparable à l’évolution technologique qu’on a connu au début du XVIe siècle, au moment de la révolution luthérienne. On a une révolution éducative qui est en train de se produire dans le monde entier, et en particulier sur le continent asiatique. J’ai vécu trois ans au Vietnam, et j’ai pu constater que c’est spectaculaire. Ma question est « Pouvons-nous étudier quelque similitude avec ce qui s’est passé il y a quelques siècles en Europe, pour envisager une révolution du même type avec les outils technologiques et éducatifs du XXIe siècle, et construire de nouveaux types de représentation pour respecter la planète, qui est notre maison, et qu’on évite de la brûler.
PJ : Oui, je crois qu’on sera tous d’accord avec vous qu’il faut essayer de mobiliser tous les moyens dont on dispose maintenant pour essayer de changer des choses. Une des difficultés, c’est celle que j’ai soulignée, c’est que malheureusement, le cadre explicatif dans lequel nous pouvons de manière lucide décrire le monde économique, il n’est pas celui qu’on enseigne dans les universités. Au moment de 2008, on entend beaucoup dire « L’université devra remettre en question la manière dont l’économie est enseignée. » Vous le savez, ça n’a absolument pas eu lieu. Une petite anecdote : M. Jacques Attali, que j’ai connu à l’époque, me dit « On va s’arracher, on va vous faire un pont d’or pour aller enseigner dans une université. » S’il y a bien, au cours des dix dernières années, un endroit où on ne m’invite pas, c’est bien dans les facultés d’économie. Ni pour m’offrir un emploi, ni même pour écouter des conférences. Qu’est ce qui s’est passé ? Ben, il y a un « esprit de corps », comme on dit : on a resserré les rangs. Les économistes qu’on appelle « hétérodoxes », qui sont souvent rassemblés en France sous l’expression d’ « Economistes Atterrés », considéraient eux aussi qu’on allait faire grossir leurs rangs dans l’université, or à partir de 2009, c’est le nombre d’économistes hétérodoxes qui a diminué, il n’a pas augmenté. M. Tirole aussi… Il y a eu une tentative il y a quelques années de, justement, de créer du coup des sortes de faculté de sciences économiques parallèles, avec justement des anthropologues, des sociologues, des géographes, etc. et c’est M. Tirole, avant qu’il reçoive son prix Nobel d’économie, qui a mis tout le poids de son autorité pour l’empêcher. Il a torpillé ça. C’était pratiquement fait, il l’a empêché. C’est ce qu’on appelle l’esprit de corps, c’est défendre des intérêts de clique. Ce n’est pas une défense de la connaissance en tant que telle.
GD : Nous avons eu l’année dernière M. Aglietta, et je peux vous dire une chose, c’est que M. Aglietta, qui est un de ceux qui avaient, justement, prévu la crise de 2008 – et j’ai des textes que je pourrais vous donner – ses étudiants ont parfois eu du mal à se caser. Les gens qui avaient fait des thèses avec Aglietta, (je ne sais pas s’il vous la dit) ont eu du mal à se caser parce qu’effectivement, ils n’étaient pas dans le moule. Et pourtant, il n’appartenait pas, à ma connaissance, aux « Economistes Atterrés ».
PJ : Non, mais il fait partie des gens qui ont un autre type de réflexion. La première chose à faire, c’est qu’il faudrait que nous ayons une représentation correcte des processus économiques. Voilà : j’ai le plaisir de voir que certains de mes ouvrages sont là où j’essaie de faire ça, effectivement, dans les marges, en m’adressant à des étudiants dans des conférences faites ici ou là. Quand je suis invité, quand même, dans une école de commerce et/ou dans une faculté d’économie, c’est par des associations d’étudiants et pas par les gens véritablement en place. J’ai été invité à Francfort, à la Banque centrale européenne, mais c’était par le syndicat des employés. [rires dans la salle]
(à suivre…)
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