Je publie en feuilleton la retranscription (merci à Éric Muller !) de ma très longue conférence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.
Question de la salle : Est-ce que les monnaies virtuelles ne seront pas le grain de sable du capitalisme ?
PJ : Quand vous dites « monnaie virtuelle », vous pensez peut-être à des choses comme le bitcoin mais il y a une première chose à dire, c’est que ce n’est ni virtuel ni des monnaies. On emploie de plus en plus, en anglais, le mot « token » pour en parler, c’est-à-dire le mot « jeton », et c’est l’expression que j’utiliserais moi-même aussi. Ce sont des jetons commercialisables, c’est-à-dire qu’on peut faire le commerce de ce jeton. Le bitcoin, c’est du même ordre que ces transactions qui ont lieu, par exemple, entre des gens qui sont dans des communautés autour de certains jeux vidéo où un commerce s’est installé, où on peut acheter des pouvoirs magiques ou des armes, etc. autour de certains personnages dans des jeux vidéo. Et là, effectivement, autour d’un jeu vidéo, des gens peuvent acheter avec du vrai argent des choses qui sont en fait de l’ordre du jeton, c’est-à-dire que ça n’a pas de reconnaissance au niveau de ce que pourrait être une vraie monnaie.
Une vraie monnaie, il faut bien le dire, doit être garantie par une banque centrale. Il n’y a pas de vraie monnaie qui ne soit pas garantie par une banque centrale. Quand on fait des monnaies parallèles, en France par exemple, ce sont de simples échanges : il faut qu’il y ait une parité de un euro avec la monnaie, le Sel, etc. je ne sais plus, l’Anémone, des noms de monnaies parallèles. Ce sont de simples équivalences, ce ne sont pas des monnaie. Là aussi, ce sont des jetons qui sont échangeables à équivalence – une unité de ces monnaies par rapport à l’euro – et là ce sont des vraies monnaies, parce que si il y a effectivement tricherie, s’il y a faux-monnayeur, on peut se tourner vers les tribunaux de la république et obtenir réparation.
Dans le cas de pseudo-monnaies comme le bitcoin, il n’y a pas de système de garantie, il n’y a pas d’État qui les garantit. Si vous suivez les conseils de Madame Nabila et allez acheter du bitcoin parce que ça vous fera du 400% et que vous avez perdu tout cet argent – ce qui est probable – et que vous allez au tribunal en disant « Je voudrais réparation » on vous dira « Mais on ne sait pas de quoi véritablement il s’agit ». Ce sont des transactions à titre privé autour de jetons.
Alors y a t-il un danger pour les États à ce niveau là ? Oui, il y a un certain danger parce que ces systèmes, vous avez pu le constater parce qu’on en parle beaucoup dans la presse – d’abord, ils donnent lieu à énormément d’escroqueries, donc il y a un problème pour la société dans son ensemble, et surtout, ce sont des outils qui sont utilisés par les pègres pour faire des transactions qui n’apparaissent pas au regard des banques centrales. Donc, quand on vous parle du bitcoin, vous vous apercevez qu’il y a quelque chose qui s’appelait Silk Road. Silk Road c’était une grande d’entreprise où on pouvait acheter des choses en bitcoin. Qu’est-ce que vous pouviez acheter là ? Vous achetiez des armes illicites, vous pouviez acheter toutes les drogues illicites, vous pouviez même acheter des contrats sur la vie de quelqu’un. C’est comme ça, d’ailleurs, que l’inventeur de Silk Road est tombé : un agent du FBI lui a proposé un contrat sur la vie d’un de ses concurrents qu’il a accepté en bitcoins, et ce monsieur est en prison depuis, pour une raison évidente.
Dès que les États se sont intéressés au bitcoin, parce qu’évidemment il y avait trop de choses illicites qui se passaient là, on en a inventé d’autres, l’Ethereum, on invente d’autres monnaies. C’est une espèce de course, si vous voulez, un peu comme les courses entre les insectes et les plantes : les plantes se défendent contre les insectes, les insectes trouvent de nouvelles armes contre les plantes… Il y a une espèce de course. On invente à tout moment de nouveaux jetons qui permettent aux opérations illicites d’avoir lieu dans ces jetons, jusqu’à ce que l’État s’intéresse à eux, et on est obligé de passer à la suivante.
Le danger le plus grand lié à cela, c’est que le fonctionnement de ces pseudo-monnaies demande des sources d’énergie tout à fait considérables. Alors on créé des sortes d’usine à produire du bitcoin dans des endroits où l’énergie est relativement bon marché, comme l’Islande – parce qu’on utilise l’énergie thermique de certains volcans qui se trouvent là – et si j’ai bon souvenir, maintenant je crois que la moitié de l’énergie de l’Islande passe à produire des bitcoins et d’autres pseudo-monnaies.
Il viendra un moment où ces systèmes s’effondreront, ou bien les États les interdiront purement et simplement. C’est quelque chose d’extrêmement marginal et qui ne risque pas, je dirais, de révolutionner véritablement la finance. Si ça devait le faire, les banques centrales se mettraient d’accord, et on éliminerait une fois pour toutes ces choses-là.
Ça fonctionne un peu dans certaines marges, il y a en particulier deux marchés à terme qui se sont construits aux États-Unis à propos du bitcoin – même pas sur le bitcoin : c’est à propos du bitcoin – qui permet de faire des contrats à terme libellés en bitcoin, mais ce sont des jeux, ce sont des jeux de casino comme je le disais tout à l’heure, ça n’a pas d’avenir.
On a parlé beaucoup de la technique sous-jacente, la blockchain, et il y a eu une sorte de mode, il y a deux ou trois ans, en disant qu’on allait faire plein de choses en blockchain. On s’est aperçu que les questions énergétiques liées à cela faisaient que l’approche n’était pas nécessairement viable, et on en parle beaucoup moins.
Si vous regardez le cours du bitcoin, eh bien il y a des articles un peu tous les jours sur le fait qu’il s’effondre depuis pas mal de temps. Je crois que les spéculateurs vont s’en désintéresser. On inventera autre chose, comme on avait inventé le marché à terme des tulipes aux Pays-Bas au XVIIe siècle : l’inventivité humaine en terme de spéculation est infinie. On inventera bientôt autre chose que les jetons de type bitcoin.
(à suivre…)
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