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Je défends une conception large de l’entrepreneur : Vivaldi était un entrepreneur (composer et monter un opéra), Pablo Servigne est un entrepreneur (rédiger un livre et en faire la promotion), les parents qui font des enfants, construisent une maison, sont des entrepreneurs, un Bourgmestre est un entrepreneur (initier un projet de quartier), le capitaine Kirk dans Star Trek est un entrepreneur (explorer l’univers avec son vaisseau Enterprise), ainsi que Martin Luther King (développer un mouvement pour les droits civiques) et bien d’autres profils « entrepreneuriaux ».
« Entreprendre », étymologiquement, signifie « saisir avec la main pour maîtriser ». Il y a plusieurs notions possibles : action volontaire dirigée vers l’extérieur, vers le monde, avec une intention de maîtrise, une intention de création, de projet, de contrôle, avec l’intermédiation, l’usage d’un outil.
Donc au sens le plus large, tout être humain est un entrepreneur. Dès qu’un enfant fait le projet de et commence à construire une tour avec des cubes, il est un entrepreneur, il entreprend quelque chose, il saisit avec la main pour maîtriser, il crée un intermède entre lui et le monde, via l’outil, sachant que son premier outil est sa propre main.
L’entreprise a aussi un sens collectif. Dès qu’un enfant fait le projet de jouer à un jeu avec ses semblables (et si on allait construire une cabane dans les bois ?, il crée une entreprise commune.
Dès lors, tant que l’espèce humaine existera, il y aura des entrepreneurs en chacun de nous, des entreprises (=des projets créatifs), une action de (tentative de) maîtrise sur le monde. L’Humanité est une gigantesque entreprise collective. On parle d’ailleurs de l’entreprise humaine.
La notion d’entreprendre est clairement « yang » en philosophie chinoise : élan, conquête, projet, projection, désir, etc.
Et nous allons en avoir besoin pour la transition écologique et solidaire de ces entrepreneurs : des initiatives de transition solidaire, des porteurs de projet, des audacieux, qui renversent la table et créent du radicalement neuf. Alors les entrepreneurs doivent être avec nous.
Si, comme le craint Nietzsche, nous sommes déjà des derniers hommes, incapables de « jeter par dessus les hommes la flèche de notre désir » et de « faire vibrer la corde de notre arc », si, en bref, nous n’avons pas la volonté de vivre, d’exister, de nous « surmonter » en poursuivant l’entreprise humaine, alors nous disparaîtrons.
Alors la gauche radicale a de bonnes raisons de se méfier de l’économie actuelle, du capitalisme, des entreprises et des entrepreneurs (en particulier les multinationales et leur CEO). Mais elle doit distinguer ce qui ressort de l’universel chez l’être humain (l’esprit d’entreprise, de création, d’exploration, de conquête) et ce qui ressort des excès de cet universel dans le système actuel, où cet esprit n’est pas contrebalancé, n’est pas limité socio-politiquement.
Ce qui manque probablement chez la plupart de nos entrepreneurs et de nos entreprises, c’est la dimension du « yin », c’est-à-dire la protection, la mesure, l’intériorité, le respect, la tempérance, bref : la limite au « yang ». Trop de yang a conduit à la destruction de la biosphère et des sociétés. La conquête peut conduire à l’anéantissement, au ravage des milieux et de leurs habitants.
Des entrepreneurs « mesurés » existent pourtant depuis que l’économie sociale existe. Dès le XVIIIe siècle grosso modo, des individus se coalisent pour créer des « entreprises sociales », dont les objectifs et les moyens sont liés au respect des humains et de l’environnement. Aujourd’hui, persistent d’énormes entreprises sociales : les syndicats, les mutuelles, l’économie sociale, les associations non lucratives, des banques coopératives, etc.
L’économie n’est pas le monopole de droit du capitalisme, du marché, du commerce international et mondialisé et des propriétaires-actionnaires. Il existe d’autres économies plus socialisées, écologisées, communes, sans les extrêmes du totalitarisme russe ou chinois.
La figure de l’entrepreneur n’est pas le monopole de cette économie destructrice. L’écologie, le socialisme, le communisme, la gauche radicale peuvent (re)proposer une figure vertueuse de l’entrepreneur, compatible avec ses luttes sociales ancestrales et avec les nouvelles luttes écologistes. Ils ne peuvent laisser la mainmise sémantique de la droite sur ces termes d’entreprise et d’entrepreneur dans les médias.
Donc ne jetons pas l’entreprise, l’esprit d’entreprise, les entrepreneurs avec l’eau du bain.
Quand on fait de l’entrepreneur et de l’entreprise l’ennemi juré, quand on persécute les commerçants, les porteurs de projets, les audacieux et les créatifs, c’est la famine et la mort en masse qui guettent, comme en Russie et en Chine lors de sombres périodes de l’histoire. Car les entrepreneurs, petits indépendants ou capitaines d’industrie, commerçants au long cours ou dirigeants de grandes ONG, sont des piliers essentiels de l’économie et de la société. Et elle s’effondre s’ils disparaissent.
Cherchons plutôt à faire émerger ces entrepreneurs qui combinent le « yang » de leur élan créatif avec le « yin » de la juste mesure, pour respecter humains, vivants et biosphère.
Il existe une économie écologique et solidaire où l’esprit d’entreprise est indispensable, et où l’entrepreneur, artiste, chef d’entreprise, directeur d’ONG, élu politique, jeune parent, architecte, initiateur de la transition locale, etc. est le créateur d’une Humanité réconciliée avec la Justice et la Biosphère.
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