Retranscription de L’embourbement, le 30 janvier 2019

Retranscription de L’embourbement, le 30 janvier 2019.

Bonjour, 

Nous sommes le mercredi 30 janvier 2019 et, aujourd’hui, un exposé dont le titre sera « L’embourbement ». Je vous parlerai essentiellement de 3 grands pays : de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis d’Amérique. 

Je vais commencer par autre chose. Je vais commencer par vous parler de ce compte-rendu, de la traduction en allemand, de « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». C’est paru dans une revue allemande qui s’appelle « Rubikon », le Rubicon, qui est une revue de gauche. J’ai lu avec attention ce long compte-rendu non pas pour essayer d’apprendre des choses – j’ai écrit le livre moi-même – mais pour voir comment il est perçu, comment le lecteur lit ce qu’il lit. J’ai été relativement surpris quand même parce que, de la même manière que quand j’avais fait une émission qui s’appelait « Sciences critiques » et où le titre qui avait été mis par la personne qui m’interrogeait était « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », qui n’était pas une chose que j’ai dite, je n’ai pas le souvenir d’avoir dit ça mais c’était la conclusion que la personne qui m’interrogeait avait tirée de ce que je dis et en avait fait le titre. C’était bien vu, au point que j’en ai fait, moi, le titre d’un recueil de chroniques parues dans différents magasines et, en particulier, dans le journal « Le Monde ». 

La lecture par « Rubikon » est bien faite. Je n’ai rien lu dans ce compte-rendu dont je me dis que je ne l’ai pas dit. Je suis quand même assez surpris du portrait général qui est dressé, qui est de dire que ma vision est effectivement extrêmement pessimiste, que j’ai le sentiment qu’il n’y a rien moyen de faire. Ce n’est pas ça mon sentiment intérieur, quand j’écris des choses comme ce livre. Ce livre en particulier, je l’avais écrit comme un lanceur d’alerte pour dire qu’il y a un risque d’extinction de l’humanité et je suis très content que cela ait été publié en 2016 parce que, sur les 3 ans qui se sont écoulés, une véritable prise de conscience a eu lieu. Quand le livre est sorti, il n’y avait pas grand monde pour dire qu’il y a risque d’extinction. Là, des enfants des écoles font la grève à propos de ça, toutes les semaines, au grand dam de leurs parents et de leurs enseignants. Il y a des manifestations. Il y a des mouvements qui sont lancés. Je ne dis pas que c’est moi qui aie lancé ça. J’étais sans doute sensible à quelque chose qui était dans l’air du temps mais, en tous cas, il y avait là un sentiment qui méritait qu’on lui donne un nom, qu’on lui donne une étiquette, que l’on dise, comme l’a fait d’ailleurs Fayard en mettant un bandeau en bas du livre « Essai sur l’extinction ».

Mon portrait est donc considéré par le lecteur de Rubikon comme un portrait pessimiste, disant qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Je n’avais pas le sentiment que, dans ce livre, déjà, j’attirais l’attention sur le fait que le scénario le plus probable est que, vu notre génie technologique, nous arriverons à produire des machines qui nous survivront et qui pourront se reproduire, s’entretenir, continuer à la surface de la terre comme une manifestation du vivant, à base de silicium plutôt que de carbone, encore que maintenant, on ait commencé à faire des robots qui ressemblent davantage à des animaux : les robots mous vont apparaître. C’est là l’image, sans doute, lucide de notre futur probable, ce qui ne veut pas dire que c’est notre futur tel qu’il aura lieu parce qu’il est possible, par exemple, comme je le signalais l’autre jour, que nous mettions avec succès les machines au service de l’humanité pour résoudre nos problèmes et que nous puissions maintenir notre planète comme étant l’environnement dans lequel nous continuerons à vivre prospères pendant un certain temps. C’est possible. Je l’espère. Cela ne me paraît pas le scénario le plus probable mais c’est à portée de la main. C’est faisable. 

Quand je regarde l’actualité autour de moi, France, Grande-Bretagne et Etats-Unis, je ne vois là pas non plus de source d’encouragement majeure. Vous le savez, je l’annonçais ici, j’ai beaucoup de sympathie pour le mouvement « Place Publique » en France, auquel je me suis rallié, et je ne suis pas le seul belge apparemment puisqu’hier, à l’Elysée Montmartre, M. Paul Magnette, un belge connu est venu se joindre aux personnes qui étaient là. Moi, je n’ai pas pu. Demain, à Vannes, à 18 h, au café Le Trussac aura lieu la réunion des sympathisants de Place Publique dans le Morbihan et de plus loin si vous voulez. A 18 h, au Trussac, les sympathisants de Place Publique. 

Qu’est-ce que Place Publique essaye de faire ? Place Publique essaye de rassembler les forces dispersées maintenant à gauche en France. Il n’y a pas de tentative véritable de rallier – des contacts ont eu lieu d’après ce que j’ai entendu dire – l’une des grandes composantes de la gauche en France historiquement. Non seulement historiquement en France mais à l’échelle mondiale. Vous le savez sans doute, l’organisation internationale de travailleurs qui a vécu de 1864 à 1876 était partagée en son sein en deux grands courants (le troisième était les Proudhoniens) : ceux qui se disaient Marxistes, ceux qui se disaient Antiautoritaires et manifestaient ainsi leur opposition aux Marxistes. Ces deux grandes tendances se sont retrouvées dans l’histoire séparées, parfois en conflit d’ailleurs, en conflit parfois violent comme cela a été le cas durant la guerre civile en Espagne, se regardant sinon en chien de faïence. Je ne pense pas qu’il soit réalisable, envisageable d’essayer de réunir ces deux tendances. Il y a une tendance en France, dans la grande tradition du marxisme, bien entendu le Parti communiste qui est toujours là, et il y a la France Insoumise. Place Publique s’efforce de réunir les forces du reste, de ceux qui représentent la tendance antiautoritaire de l’Internationale des travailleurs du 19ème siècle mais, comme je le disais, deux tendances à l’intérieur de la gauche qui sont difficiles à réconcilier. Je ne vais pas entrer dans les raisons pour lesquelles mais il me semble important qu’il y ait un rassemblement des forces non-autoritaires en France, en Belgique, partout dans le monde. Cela paraît extrêmement difficile mais je ne vois pas de raison liée aux convictions, aux choses que nous défendons qui empêcherait cette unification.

J’ai d’ailleurs été surpris, en regardant hier une vidéo enregistrée à Commercy par des Gilets jaunes, de m’apercevoir que, quand j’écoutais les revendications de ces personnes qui étaient réunies là, qu’elles coïncidaient. Je n’ai pas vu de différence essentielle entre ce qui était dit là par les Gilets jaunes et ce qui est dit par ailleurs par Place Publique. Il faut faire cet effort. Il faut essayer de réunir l’ensemble de ces forces-là. Cette gauche-là, la gauche non-autoritaire a souffert énormément. Elle a souffert énormément de ce qui était appelé un réalisme mais, en fait, ce qui a été la tentation, cette tendance à succomber aux sirènes de l’ultralibéralisme. Elle confond parfois les deux. 

Il y a quelqu’un qui m’envoie un long mail ce matin, très aimable, très ultralibéral et qui glisse dans la conversation « Je suis de gauche ». Non monsieur, il y a un malentendu. Ce que vous dites-là n’est pas de gauche. Vous dites cela par tradition mais ce n’est pas ça. Il y a un truc historiquement qui s’appelle le socialisme, qui correspond avec l’anarchisme à ce courant non-autoritaire de l’ancienne Internationale. Il y a moyen de ce que nous pouvions nous réunir autour de grands thèmes comme l’extension de la gratuité, l’interdiction de la spéculation, une Europe qui soit une Europe véritablement confédérale et fraternelle,… Qu’est-ce qu’il y a encore ? Inscrire l’État-providence dans les constitutions et un certain nombre de choses de cet ordre-là que l’on peut trouver énoncé dans mon petit livre « Vers un nouveau monde » qui m’avait été commandé par des amis de Monsieur Magnette précisément. Voilà pour la France. Il faut que, au moins pour les européennes, vous connaissez mon scepticisme à l’égard de ce que l’on peut faire ou non à l’intérieur du Parlement mais il faut que, pour le mois de mai, cette gauche historique et qui a l’avenir devant elle malgré son impossibilité à aller de manière unie dans cette direction, elle a l’avenir devant elle, pour autant qu’il y ait un avenir. C’est pour cela qu’il faut aller vite. Il faut se réunir. Il faut mettre ensemble ces propositions. Il faut que les gens se réunissent autour de cela. 

Deuxième chapitre, la Grande-Bretagne. Le Brexit. J’ai attiré l’attention là-dessus. Il y a un certain nombre de gens qui connaissent bien les questions du renseignement et qui disent que le vote en faveur du Brexit est une opération russe et qu’il faudrait traiter les choses de ce point de vue-là, il faudrait considérer le vote qui a eu lieu au référendum (ce ne sont les Russes qui ont mis le référendum sur pied !) … mais le fait que le vote ait été négatif, il faut considérer cela. Il faudrait que les britanniques considèrent ça comme un acte de guerre d’une puissance étrangère. Je crois qu’il y a un certain nombre de gens qui s’occupent de ça en ce moment. On n’en parle pas énormément parce que l’on a pu voir hier, la chambre des communes, c’était le spectacle affligeant d’une démocratie en très très petite forme, avec des quantités d’amendements visant à essayer, justement, de colmater les brèches. Cela n’a pas donné grand-chose. Finalement, Madame May a eu raison, c’est-à-dire qu’on lui a dit d’essayer de recommencer, à partir de zéro. Les Européens, les représentants de l’Union Européenne ne sont pas disposés à écouter, une fois de plus, la mise devant eux non pas d’un programme de Madame May mais, simplement, de l’étalement de l’incapacité des Britanniques à remettre leur nation en place. Les firmes quittent en masse, elles pourraient les quitter pour de bonnes raisons aussi parce que l’on augmenterait les impôts, les choses comme ça mais non : c’est la désorganisation qui conduit les firmes à partir. La livre sterling s’écrase au sol, et ainsi de suite. Ce pays est en mauvaise posture. 

C’est un pays où j’ai habité 11 ans, d’abord 10 ans à Cambridge comme étudiant d’abord puis comme jeune enseignant puis encore un an après à travailler dans la City, dans le cœur financier de Londres où j’ai appris beaucoup de choses. Petite remarque en passant, il y a quand même deux personnes qui ont joué un rôle important dans ma vie dans la mesure où elles m’ont permis d’apprendre un tas de choses extraordinaires. C’est Monsieur Linggard qui m’a de but en blanc dit : « Rejoignez-nous, venez dans notre équipe d’intelligence artificielle à Ipswich chez British Telecom » et je lui ai répondu « Monsieur, je ne fais absolument rien dans ce domaine » mais il m’a dit « On a besoin de gens comme vous dans notre domaine maintenant ». C’était un grand honneur, merci Monsieur Linggard. Ensuite, Monsieur Jean-François Casanova à Paris, quelques années plus tard, qui m’a dit : « On a besoin de gens comme vous dans la banque » et, là aussi, je lui ai dit : « Je ne suis pas banquier » et il m’a dit : « Si, si, on a besoin de gens comme vous ». Ce sont deux personnes, cela m’est venu comme ça au milieu de ma petite vidéo mais ce sont deux personnes qui m’ont permis d’apprendre des choses extraordinaires. Je ne serais pas allé dans ces domaines-là. Je suis quasiment sûr, je ne serais pas allé dans ces domaines-là s’il n’y avait pas eu des gens comme eux pour me dire : « Venez, on a besoin de gens comme vous ». Cela ne me serait pas passé par la tête. Et en plus, si cela m’était passé par la tête, je me serais dit que je n’avais pas les qualifications et je ne serais pas allé. 

Dernier chapitre dans ma petite vidéo, les Etats-Unis. Pour ce qui est de l’embourbement, là aussi, on est vraiment… Ça colle vraiment aux talons, ça colle vraiment aux bottes. Hier soir, une réunion des conseils de sécurité des Etats-Unis. Tous ces braves gens qui étaient là, représentants de la CIA, service de renseignements, etc. ont dit « Non, Monsieur Trump se trompe dans son évaluation de la situation des Etats-Unis par rapport à l’Iran. Monsieur Trump se trompe dans son évaluation de notre situation par rapport à la Corée du Nord. Monsieur Trrump se trompe dans son évaluation du savoir si ISIS, Daesh, a été vaincu ou non » et un grand silence a entouré la question de savoir s’il était payant, s’il était intéressant de construire un grand mur à la frontière du Mexique.

Donc, un pays où, publiquement, vous pouviez écouter ça, moi aussi, les dirigeants du Conseil de sécurité du pays disent « Notre président de la République a tout faux et les politiques qu’il applique en ce moment (retrait de Syrie, d’Afghanistan) sont des erreurs », laissant entendre que son mur avec le Mexique ne mérite pas même la moindre attention. Et on a appris dans la journée hier aussi que, lors du dernier G20 en novembre, alors que M. Trump avait annoncé qu’il renonçait à une discussion avec M. Poutine, la discussion a quand même eu lieu en secret. Trois personnes dans la salle : M. Poutine, M. Trump et l’interprète de M. Poutine, et pas de second Américain en plus de M. Trump, et réunion non connue du public autour de lui et connue uniquement ce matin par une indiscrétion. 

Alors, je termine sur « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». Vous voyez pourquoi j’ai écrit un livre comme celui-là. Celui qui s’appelle « Défense illustration du genre humain » est une sorte, je dirais, de prolongement donnant toute la couleur, mettant tout le relief, ajoutant tous les éléments qui manquaient comme le transhumanisme, les religions et ainsi de suite, mais le message de « Défense illustration du genre humain » est le même. Je voulais l’appeler « Qui étions-nous ? ». C’est l’éditeur qui a pris la décision que cela s’appellerait autrement. C’est le prolongement. On me dit « Vous voyez, c’est terrible, il ne faut pas faire peur aux gens ! ». Et là, je réponds toujours « L’anxiété dont on ne connaît pas l’origine, l’angoisse, ne sont pas des bonnes choses mais la peur, c’est un excellent sentiment ». Avec la joie ou la conviction qui nous porte en avant, la peur qui nous oblige à faire machine arrière, c’est très bon aussi. Il y a la fuite en avant, qui est justifiée dans certaines situations, et puis la fuite en arrière qui est justifiée dans d’autres. Il faudrait que nous ayons un peu plus peur. J’insiste ces jours-ci sur le fait que c’est peut-être parce que je n’arrive pas à vous convaincre de la taille des évènements de l’extinction de ce que fait M. Trump et qu’il ne devrait pas faire, c’est parce que je n’arrive pas à vous transmettre le sentiment de la taille de ces évènements que vous ne me suivez pas beaucoup. Si, vous me suivez mais d’un air distrait, d’un œil distrait. Je ne devrais pas dire cela puisqu’effectivement, dans les trois ans qui nous séparent de la publication de « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », il s’est passé beaucoup de choses. C’est peut-être moi qui suis impatient. Peut-être que dans trois ans, espérons que je serai content de revoir cette vidéo en me disant « Voilà, c’est simplement que j’étais impatient. Des choses étaient en train de se passer ». 

Je vous laisse là-dessus, sur une bonne note, sur une note optimiste. 

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta