Encore une chose à propos de l’article du New York Times publié vendredi et intitulé : « Le FBI avait ouvert une enquête sur la question de savoir si Trump agissait secrètement au nom de la Russie ». On y trouve aussi ceci à propos de la révocation par Trump de James Comey, patron du FBI :
Même après que le ministre adjoint de la Justice, Rod J. Rosenstein, eut rédigé un projet de lettre plus nuancé et dit à M. Trump qu’il n’avait pas à mentionner l’enquête russe [sur une collusion éventuelle avec la Russie] – la gestion maladroite par M. Comey de l’enquête sur les mails de Clinton constituant une infraction suffisante pour justifier une révocation, lui expliquait-il – M. Trump lui demanda de mentionner quand même l’enquête russe .
Rosenstein ignora l’ordre du président, irritant ainsi M. Trump. Le président ajouta finalement une référence à l’enquête sur la Russie à la note qu’il avait remise, remerciant M. Comey de lui avoir dit trois fois qu’il n’était pas l’objet d’une enquête.
Comment interpréter ces informations si le scoop de l’article du New York Times est véridique, à savoir que la commission Mueller est instituée le 17 mai 2017, non pas comme il est dit à l’époque pour enquêter sur une éventuelle collusion entre l’équipe Trump et la Russie, mais parce qu’une telle collusion a précisément été établie par les services de renseignement ?
Voici ce que dit exactement le second paragraphe de la lettre de révocation de Comey :
J’apprécie grandement que vous m’ayez informé, à trois reprises, que je ne fais pas l’objet d’une enquête. Je suis néanmoins d’accord avec le constat du ministère de la Justice que vous n’êtes pas en mesure de diriger efficacement le Bureau.
Avant de nous intéresser à l’insistance de Trump pour mentionner dans la lettre, l’« enquête russe », pourquoi l’insistance de Rosenstein au contraire pour qu’elle n’y apparaisse pas ?
L’explication la plus plausible est celle qui infirmerait le scoop du New York Times : le ministre-adjoint de la Justice était conscient que le Président pourrait être accusé d’entrave à la justice si la révocation de Comey semblait être motivée par l’« enquête russe ». En déconseillant à Trump de suggérer un lien entre les deux, il le protégeait contre les conséquences d’une malencontreuse erreur de jugement.
Mais une autre explication est compatible avec la thèse d’une culpabilité incontestable de Trump dès mai 2017, qui ferait de sa future mise sur la touche une affaire d’ores et déjà réglée à l’époque : que le Président sera poussé vers la sortie sans que son inféodation à la Russie soit jamais révélée publiquement, et ce pour des raisons de « décorum », de fierté nationale, pour éviter l’ignominie de la révélation un jour d’un chef de l’État américain agent de la principale puissance rivale.
Maintenant, pourquoi l’obstination de Trump à vouloir lier la révocation du chef du FBI à l’« enquête russe », et sa volonté d’en remettre une couche le lendemain en affirmant au ministre des Affaires étrangères russe et à l’ambassadeur russe à Washington : « Je viens de virer le patron du FBI. C’était un fou, un vrai fêlé. J’étais vraiment sous pression à cause de la Russie. C’est une affaire réglée ! » ?
Une explication possible est la personnalité même de Trump, complétée de quelques préceptes couramment admis dans le milieu des affaires et dans le monde du pouvoir en général : « Plus c’est gros, plus ça passe ! ». Plus je glapirai « witch hunt », chasse au sorcières, moins les accusations apparaîtront plausibles.
Quelle est la version des mêmes faits que James Comey a proposée de son côté ? On la trouve dans son livre autobiographique, A Higher Loyalty. Truth, Lies, and Leadership, paru en avril 2018 :
Je lui expliquai […] que nous avions informé les dirigeants du Congrès quelles étaient précisément les personnes faisant l’objet d’une enquête et que nous avions dit à ces dirigeants du Congrès que nous n’enquêtions pas sur le Président à titre personnel. Il me dit à plusieurs reprises : « Il faut que ce fait soit connu ». Ce que je ne dis pas au Président – principalement parce que j’étais conscient qu’il n’aimerait pas l’entendre – c’était que le FBI et le ministère de la Justice étaient réticents pour plusieurs raisons à affirmer publiquement qu’aucune enquête n’était en cours sur le Président Trump, principalement parce qu’il serait ensuite de notre devoir de corriger ces affirmations au cas où leur statut devait évoluer. (pp. 258-259)
Comey marche là manifestement sur des oeufs, dissimulant sa responsabilité personnelle derrière la contrainte « structurelle » de ne rien dire pour ne pas avoir ensuite à se dédire. À quoi il ajoute, pour ne pas être accusé plus tard d’avoir menti, ce « nous n’enquêtions pas sur le Président à titre personnel ». Ce « à titre personnel » lui permettra à l’avenir de protester contre toute accusation de mauvaise foi que c’était l’équipe Trump tout entière qui faisait l’objet d’une investigation – ce qui ne mange pas de pain puisque l’article du New York Times vendredi nous apprenait que quatre membres de l’équipe Trump étaient déjà sur l’écran radar du FBI pour collusion avec la Russie avant même l’accession de Trump à la présidence.
Trump aura-t-il compris que Comey louvoyait et qu’il y avait dans ses propos une sérieuse dose d’enfumage, et qu’il était bien lui l’objet d’une investigation ? Il est ignare et très loin d’être le génie qu’il affirme être mais il n’est pas pour autant un imbécile. Lit-il la Bible, ou en a-t-il au moins entendu parler ? C’est possible. Serait-ce dans les Écritures que s’éclaire son « J’apprécie grandement que vous m’ayez informé, à trois reprises, que je ne fais pas l’objet d’une enquête » ?
Évangile selon saint Luc. 22, 54-62
Ils se saisirent de Jésus pour l’emmener et ils le firent entrer dans la maison du grand prêtre. Pierre suivait de loin. Ils avaient allumé un feu au milieu de la cour et ils étaient tous assis là. Pierre était parmi eux. Une servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : « Celui-là aussi était avec lui ». Mais il nia : « Femme, je ne le connais pas ». Peu après, un autre dit en le voyant : « Toi aussi, tu en fais partie ». Pierre répondit : « Non, je n’en suis pas ». Environ une heure plus tard, un autre insistait : « C’est sûr : celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen ». Pierre répondit : « Je ne vois pas ce que tu veux dire ». Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois ». Il sortit et pleura amèrement.
S’il s’agit chez Trump d’une référence biblique quand il écrit dans sa lettre de révocation de Comey – et franchit de nombreux obstacles pour s’assurer qu’elle y soit bien : « J’apprécie grandement que vous m’ayez informé, à trois reprises, que je ne fais pas l’objet d’une enquête », elle prend la forme d’une accusation : « Au bilan, et comme cela deviendra visible un jour aux yeux de tous, vous n’êtes nullement l’honnête homme que vous prétendiez être ».
merci pour cette vidéo . Décidément Wes Roth est compétent. en conclusion chacun voit la paille dans l’oeil du voisin…