Le Média, Comment les « Élites » nous mènent au désastre – Paul Jorion, le 8 janvier 2019 – Retranscription

INTERVIEW Paul JORION

Théophile KOUAMOUO

« La nature humaine est ainsi faite : nous voulons sonder l’avenir en début de l’année surtout. C’est le temps de la prospective, des prévisions et des prédictions. Au Média nous avons voulu donner la parole à Paul Jorion qui est entré dans l’histoire pour avoir prévu plusieurs années à l’avance la crise des subprimes de 2008 et la grosse crise financière qui a suivi. Nous n’allons pas solliciter de sa part des prophéties en exclusivité mais plutôt demander à cet ancien trader qui est aussi anthropologue, bon connaisseur de l’informatique et de l’Intelligence Artificielle, enseignant à l’Université Catholique de Lille, de nous dire quelles sont les thématiques ou plutôt les signaux faibles qu’il scrutera le plus attentivement dans les mois qui viennent.

Avant de lui donner la parole, résumons ce que nous pensons comprendre de sa pensée aujourd’hui. Au-delà du système financier et de ce que sa déstabilisation peut produire comme chaos. Paul JORION considère globalement que l’humanité est sur la brèche et fait face à plusieurs périls qu’elle sous-estime : péril économique et financier, péril environnemental et écologique et même péril anthropologique. Les titres de ses derniers livres sont à cet égard très parlants « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie », « A quoi penser à l’heure du grand collapse ? », « Défense et illustration du genre humain ».

Bonjour Paul JORION.

Paul JORION

Bonjour.

Théophile KOUAMOUAO

Commençons cet entretien par une question d’actualité. Que nous dit la crise des Gilets jaunes sur l’état et le devenir de l’économie et de la finance, non seulement en France mais surtout à l’international. De quoi ce mouvement des Gilets jaunes est-il la parabole ?

Paul JORION

Il est représentatif d’un mouvement qui agite bien d’autres pays et, de manière générale, je dirais le monde occidental. Monsieur TRUMP, Président des Etats-Unis, c’est une manifestation de la montée du populisme et on pourra revenir sur ce que c’est exactement le populisme, le vote sur le Brexit en Grande-Bretagne, les Gilets jaunes en France, les élections en Italie qui ont produit un nouveau type de gouvernement populiste, mélange de gauche et de droite on peut dire, la montée des nationalismes dans des pays comme la Hongrie ou la Pologne. Tout cela montre un certain effondrement du monde occidental tel qu’on l’a connu. Il est en train de se reconstituer sous une forme qui est difficile à prévoir.

Théophile KOUAMOUAO

Alors nous avons ici au Média, plutôt un regard positif sur les Gilets jaunes, sur cette manière de mettre le peuple au cœur du débat politique alors que la Hongrie avec Victor ORBAN, les États-Unis avec TRUMP, l’Italie, toutes ces références pour nous c’est du nationalisme, alors que pour nous, les Gilets jaunes c’est le peuple au cœur du débat, c’est ce qu’il faut, ce dont les pays occidentaux ont besoin pour se remettre en cause, pour remettre en cause leur système économique. Finalement devons-nous regarder ces questions-là au-delà du bien et du mal ?

Paul JORION

Ce qu’il y a, dans l’ensemble des pays que j’ai mentionnés, c’est une polarisation, parce que vous voyez, en Hongrie et en Pologne, il y a des contestations en ce moment des gens qui sont au pouvoir. Non, il y a une polarisation au sein de nos populations dans le monde occidental et, de manière très typique, il y a eu un article que vous avez sans doute vu dans le journal Le Monde, où la rédaction du Monde était perplexe devant la réaction des lecteurs du Monde en parlant des Gilets jaunes. Il y a une polarisation dans nos sociétés.

Théophile KOUAMOUAO

Et c’est quoi les deux pôles ?

Paul JORION

Ces deux pôles, ce sont deux sociétés qui cessent de comprendre comment fonctionne l’autre, c’est-à-dire ce sont des choses que nous voyons dans les périodes que l’on appelle pré-révolutionnaires. La population se partage en deux parties et la mécompréhension devient absolument totale. Les uns ne comprennent plus ce que les autres veulent dire et c’est en général le prélude d’une restructuration qu’on espère, parce qu’on est là, qu’on espère douce, mais qui n’est pas nécessairement douce.

Quand vous dites que vous avez, d’une manière générale, une vision positive des Gilets jaunes, vous voyez bien que c’est un mouvement aussi où se trouvent des gens représentant des idées absolument différentes. La foule qui s’assemble le 14 juillet [1789] devant la Bastille, si nous avions fait des sondages à l’époque, nous n’aurions sans doute pas vu émerger une seule opinion sur la raison pour laquelle les gens étaient là. C’est ce que l’on voit en ce moment aussi, nous voyons des gens qui relèvent, dans une classification classique, des idées d’extrême gauche, des idées d’extrême droite et d’autres idées encore dans ce qui émerge là. Quand il s’agit de définir que réclament les Gilets jaunes, vous le voyez bien, c’est une liste un petit peu hétéroclite parce que c’est un mouvement naissant, c’est un mouvement qui n’a pas encore pu exprimer véritablement quelle était sa revendication et qui va peut-être se scinder lui-même entre plusieurs tendances.

Théophile KOUAMOUAO

Mais quand vous dites les pôles qui n’arrivent plus à se parler, qui n’arrivent plus à se comprendre, plus clairement, de qui s’agit-il d’un côté et de l’autre ? Est-ce qu’il y a d’un côté l’élite, l’élite politique intellectuelle économique et de l’autre côté le peuple ?

Paul JORION

On peut le représenter de cette manière-là. Comme vous le savez bien, quand on parle des « zélites » maintenant, on met un « z » devant le mot pour le remettre en question, de savoir s’il s’agit véritablement d’élites. En anglais, on dit « the establishment », l’Établissement, qui est une manière de dire les gens, comme on dit aussi en anglais, les bourgeois, « square », les gens qui sont en place. On le voit dans le discours du Président de la République en France. Ce sont des gens qui ne comprennent plus du tout de quoi il s’agit. Et quand il s’agit de proposer des mesures pour aller à la rencontre de ce qui est demandé, ça peut tomber absolument à côté de la plaque et le malentendu peut-être absolument total.

Il y a malheureusement, dans des cas de polarisation comme cela, deux représentations du monde, qui ne coïncident plus du tout. Il y a un sociologue politologue américain, Steve FRASER, qui attire l’attention sur le fait que dans des situations comme celles-là et avec le monde dans lequel nous sommes, un monde très technique où on parle de munitions intelligentes pour parler d’armement, dont les décisions vont être autonomes, déterminées par l’Intelligence Artificielle, il est bien possible, dit FRASER, de se retrouver dans ce que nous avons déjà vu dans l’histoire c’est-à-dire un moment où une partie de la population décide de se débarrasser de l’autre et peut le faire maintenant de manière industrielle, c’est-à-dire comme nous avons vu à partir de 1942 en Allemagne. Ce genre de danger, à mon sens, il est là.

Théophile KOUAMOUAO

Est-ce que céder, comprendre, accompagner les revendications de mieux-être du peuple qui s’exprime dans ce mouvement des gilets jaunes, peut avoir un impact sur le système financier tel qu’il est aujourd’hui ? Est-ce que, plus clairement, le système financier, notre système économique mondialisé peut se permettre en Occident, en France, en Europe de faire remonter en fait, le niveau de revenus, le niveau de possibilités plus globalement, alors même qu’il s’est engagé dans une sorte de logique d’augmentation des hauts revenus et de stagnation des bas revenus ? Est-ce que, accepter de remettre en cause le modèle qui lui va depuis la chute du mur de Berlin peut créer une crise systémique ?

Paul JORION

Vous savez que les « zélites » ont une religion à elles et cette religion a pour nom « science économique » et cette « science économique » c’est un discours de type dogmatique qui ne repose pas sur des faits comme c’était le cas autrefois. Je peux vous donner des exemples qui montrent que ces « économistes » entre choisir de confirmer les dogmes ou de respecter les faits, préfèrent le choix en faveur des dogmes. Et malheureusement ce discours, et ce n’est pas récent, cela date de la fin du XIXème siècle, quand le monde de la finance s’énerve, le monde des banques, s’énerve devant le discours existant que l’on appelle l’économie politique, avec un grand critique de l’économie politique, qui est Karl MARX, mais pas seulement lui, produit un discours qui est un discours de justification. Le monde financier produit, de manière délibérée, un discours de justification de sa propre pratique, qu’il délivre d’abord vers les politiques en demandant aux politiques « Tournez-vous, vous, vers le peuple et dites au peuple que tout cela est trop compliqué. Nous vous l’avons dit et vous transmettez ce message ». C’est un discours, malheureusement, qui n’a pas énormément d’alternatives. Il y a ici et là des économistes hétérodoxes, comme l’on dit. Il y a aussi des gens qui s’occupent d’économie qui sont des anthropologues ou des politologues, etc. Il n’y a pas de véritable discours constitué qui serait une alternative qui dirait véritablement ce qu’il faut faire maintenant dans une autre perspective que ce discours dogmatique des zélites qui nous disent, et c’est le fameux « TINA » de Margaret THATCHER, « There is no alternative ». Ces gens nous disent : « Il n’y a pas d’alternative ». Ce sont des gens entre eux, c’est un petit club, qui se nomment entre eux à des Prix Nobel d’économie, dont le prestige est réel parce qu’on considère que c’est un Prix Nobel, comme un Prix Nobel de médecine ou de littérature, des choses de cet ordre-là, et en fait simplement, c’est un petit club dogmatique qui répète les mêmes positions, mais vers lequel les zélites se tournent, les dirigeants d’entreprises et disent « Dites-nous quelle est la vérité » et qui présentent leur discours comme étant une vérité techniquement exacte, très difficile du coup à remettre en question.

Théophile KOUAMOUAO

Mais sont-ils seulement capables de la remettre en question ? Imaginons justement que socialement, ce n’est plus soutenable, le système économique tel qu’il se déploie, que la grogne du peuple est telle que les politiques sont obligés de leur concéder des choses importantes. Est-ce que le système financier tel qu’il se conçoit, tel qu’il s’organise, va s’effondrer ?

Paul JORION

Je peux vous dire une chose, c’était une discussion. C’était un plateau comme nous étions là, il y avait une discussion, j’avais en face de moi un banquier. C’était sur France Culture et ma surprise, c’était que ce banquier me donnait raison sur absolument tout ce que je disais. A la fin, quand nous nous sommes retrouvés dans les couloirs, je lui ai demandé : « Mais je suis quand même un petit peu surpris que vous me donniez raison sur tout. Alors pourquoi le milieu de la banque ne soutient-il pas mes positions si vous êtes représentatif et vous êtes d’accord ? ». Il me dit « Le marché n’est pas prêt » et il ajoute « Le jour où le marché sera prêt pour ce genre de propositions, ne craignez rien, il vous suivra », c’est-à-dire que dans la logique de cette personne-là, il y a un moment où les marchés qui sont entièrement pragmatiques, qui vous disent que les prix ont une « objectivité », ils s’aligneront avec le monde tel qu’il est. Je ne suis pas sûr que dans la réalité les choses se passeront comme cela parce qu’il y a des intérêts, il y a des gens qui ne seront pas prêts à abandonner telle ou telle position. J’ai travaillé 18 ans dans la banque, la plupart des gens qui étaient mes collègues, dans toutes les positions, étaient plutôt des gens de gauche, mais leurs positions comme gens de gauche ne s’exprimait pas dans l’idéologie même de l’entreprise, qui était une entreprise de type capitaliste, économie de marché, libérale et même ultra-libérale si l’on veut.  

Théophile KOUAMOUAO

Est-ce que les marchés, la jonction dont les différents intérêts qu’on appelle les marchés, peuvent avoir peur au point céder ?

Paul JORION

Il faut savoir. Les gens qui sont sur les marchés, sont des gens qui sont dans une logique de profit. Les actionnaires sont dans une logique de dividendes, c’est pour obtenir des résultats bien particuliers. Si maintenant le peuple exige et obtient que l’on diminue de manière considérable les dividendes distribués par les entreprises parce que, par exemple, on réalignerait les salaires par rapport à une réelle productivité, par rapport à ce que c’était autrefois, si on avait vraiment le souci de recréer un véritable pouvoir d’achat dans la population, il faudrait augmenter les salaires. Cela ferait diminuer d’autant les rémunérations, les bonus pharaoniques des dirigeants d’entreprises, cela ferait baisser les dividendes aussi. Il y a une mesure très simple que nous pouvons proposer. Vous savez, une règle comptable dit : Les salaires sont un coût et les dividendes, c’est un partage des bénéfices qui ont été constitués. C’est une règle comptable, ce n’est pas dans la Constitution. Si nous réalignions cela dans la représentation qui était celle de l’économie politique, où on disait « pour faire fonctionner une entreprise, il faut différents types d’avances, il faut les avances que constitue le Directeur de l’entreprise en assurant la supervision et la coopération des gens qui sont là. Il y a les avances faites par le Capital où l’on apporte l’argent, il y a les avances qui sont faites par les Salariés en termes de travail ». Si l’on redéfinissait cela de la manière suivante, si nous disions « la richesse supplémentaire créée doit être redistribuée à l’ensemble des partenaires qui font des avances », on aurait une définition entièrement différente, qui ne serait pas de dire que d’un côté il y a ceux qui partagent les bénéfices, et les bénéfices, plus un bénéfice est grand mieux c’est, et les autres, qui sont simplement des sources de coûts. Nous redéfinissons cela et le rapport de force, sur le papier déjà, est différent. Nous pouvons faire cela. C’est une proposition que je fais et à ce moment-là, il faut rééquilibrer les choses. La difficulté, c’est que même si nous arrivons à faire cela, vous le savez, nous sommes dans un environnement où l’emploi disparait de manière séculaire, cela n’est pas récent, à cause de la mécanisation. Et la mécanisation, ces années récentes, à partir de l’introduction dans les entreprises de l’ordinateur individuel, au tout début des années 80, les emplois disparaissent. Au départ, cela a été la main d’œuvre non qualifiée qui a été remplacée par les robots. Ce sont les sténodactylos qui ont été remplacées par du logiciel, mais maintenant vous le savez, avec l’Intelligence Artificielle, les médecins qui font du diagnostic, vont être remplacés par des machines qui le font.

Théophile KOUAMOUAO

Nous reviendrons là-dessus Paul JORION, mais revenons un peu à l’économie et à la finance et je vous pose une question cash. En 2018, il y a déjà eu des frétillements, des frémissements, on s’est demandés, est-ce qu’il y aura un krach boursier, un krach financier, une crise mondiale ? Elle n’a pas eu lieu. En fait, ce que nous retiendrons c’est qu’il y a eu une grosse correction des marchés. Est-ce que vous pensez qu’en 2019 le risque est grand qu’il y ait un autre 2008 ?

Paul JORION

Oui, et il y a plusieurs raisons pour cela. D’abord c’est parce qu’il y a un risque permanent et nous croyions déjà qu’il s’esquissait en décembre. C’est ce qu’on appelle une crise obligataire. Une crise obligataire c’est quand il y a énormément de dettes en circulation. Cette dette a été émise en tant qu’obligations, c’est-à-dire l’Etat emprunte et l’Etat paie un coupon, c’est-à-dire les intérêts qui vont être versés. Il y a énormément de ces obligations en circulation. Elles constituent entre autres, des portefeuilles que nous appelons l’assurance-vie et ce qui se passe, c’est que si l’économie va mieux, les taux d’intérêts vont augmenter. Quand l’économie [va mieux], quand beaucoup de richesse est créée, le capitaliste qui apporte du capital va être mieux rémunéré. Si le taux d’intérêt augmente, on va émettre de nouvelles obligations à un taux plus élevé, c’est-à-dire qu’automatiquement cela va dévaloriser toutes celles qui sont en circulation parce que l’investisseur, d’un point de vue comparatif, préfèrera avoir une obligation à du 4 % qu’à du 2,5 %. Nous aurons ce que l’on appelle, dans tous les portefeuilles bancaires, de citoyens qui ont justement des comptes assurances-vie, etc., tout cela va baisser de valeur. Le prix va baisser automatiquement parce que l’on pourrait avoir ailleurs des intérêts plus importants.

Théophile KOUAMOUAO

Est-ce que les obligations pourraient, comme la crise des subprimes américaine nous amener à une crise globale ?

Paul JORION

En 94, il y a eu une crise globale. Ce n’était pas aussi grand qu’en 2008 ou en 1929, mais en 94, beaucoup de gens comme moi, qui débutaient dans la finance, ont perdu leur emploi à ce moment-là parce qu’il n’y a plus d’argent : les bilans sont en baisse et de manière catastrophique. Mais la difficulté dans laquelle nous sommes c’est qu’il est dangereux que l’économie s’améliore parce que cela peut provoquer une crise obligataire, mais vous savez qu’il y a une autre raison pour laquelle les taux d’intérêts peuvent augmenter. Les taux d’intérêts peuvent augmenter aussi parce que l’économie entre dans une période difficile et que les prêteurs vont demander un taux d’intérêt plus élevé. Pourquoi ? Pas parce que l’économie va mieux, mais parce que les prêteurs vont intégrer, dans les intérêts qu’ils réclament, une prime contre le risque de non-solvabilité, le risque de non-remboursement. Donc nous sommes dans une situation, si ça va beaucoup mieux, c’est très grave, cela va créer une crise obligataire, si ça va beaucoup plus mal également, parce que dans les deux cas, les taux d’intérêts augmentent.

Théophile KOUAMOUAO

Alors que faut-il surveiller en 2019 justement pour sentir venir cette crise qui ne vient pas ou alors qui se masque ?

Paul JORION

Il y a encore d’autres éléments. Il y a le système financier en tant que lui-même, qui est fragile par nécessité et du fait que l’on a, après la crise de 2008,  émis énormément d’obligations et que les Etats ont lancé énormément, dans une perspective qu’on appelle keynésienne, mais qui n’est pas vraiment keynésienne, c’est de relancer l’économie en lançant beaucoup d’argent dans l’économie, on est dans une situation qui est extrêmement fragile, qui est fragile par nécessité à l’intérieur même du système financier. Mais ceci dit, le système financier aussi est extrêmement menacé dans la situation actuelle par le fait qu’il y a la deuxième grande monnaie au monde, l’euro, est un système qui n’a pas été terminé. C’est un système qui est mal conçu et qui a déjà connu deux grandes crises, en 2010 et 2012, et rien véritablement… si quelques petites choses de surface, on parle d’intégrer tel ou tel élément, on a créé des fonds supplémentaires, mais il n’y a pas encore de véritable tentative de faire de l’euro une véritable monnaie. Elle est toujours fragile. C’est la monnaie d’un système fédéral, mais ce système n’est pas un système fédéraliste. On a copié bien entendu le dollar, mais il y a des tas d’éléments qui manquent. Il n’y a pas de budget, il n’y a pas de ministre de la finance au niveau de l’euro. On ne peut pas émettre d’obligations au niveau de la zone toute entière. Il n’y a aucune intégration des différents types d’intérêts [des différents pays]. Il y a des paradis fiscaux à l’intérieur du système. Le Luxembourg est un paradis fiscal depuis les premières tentatives…  

Théophile KOUAMOUAO

Aux Etats-Unis, il y a le Delaware, par exemple.

Paul JORION

Oui, mais aux Etats-Unis, vous avez un système où chaque année on rééquilibre entièrement le système du dollar. Il y a aux Etats-Unis 17 districts financiers. Il y a 50 états qu’ils ont regroupés en 17 districts. Ces 17 districts, chaque année on regarde… de fait vous imaginez bien qu’au cours d’une année, la Californie extrêmement riche aura subventionné d’une certaine manière, aura soutenu financièrement, je ne sais pas, l’Alabama, le Mississipi, des états beaucoup moins riches.  

Théophile KOUAMOUAO

Alors que ce qui se passe ici, c’est que l’Allemagne, par exemple refuse de subventionner la Grèce ou le Portugal.

Paul JORION

Exactement. Nous avons un système qui a été conçu sur ce système là, américain, que l’on appelle Target 2, mais il n’y a pas de rééquilibrage chaque année. Alors que voyons-nous ? Imaginez un instant qu’aux Etats-Unis, tous les mois de janvier, que les Californiens hurlent « les gens de l’Alabama sont des fainéants et on les soutient financièrement, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? ». Il n’y a pas cela aux Etats-Unis bien entendu. C’est une nation, tout le monde trouve normal que la nation fonctionne comme un ensemble. Chez nous non. Vous avez trouvé dans les journaux, chaque fois qu’il y a la moindre crise, dans les journaux allemands on trouvera « c’est nous qui soutenons le système à bout de bras ! », mais bien entendu, comme la Californie soutient à bouts de bras le reste des Etats-Unis, mais nous n’avons pas intégré cela dans nos institutions. A chaque moment, nous pouvons relancer la bagarre générale.

Théophile KOUAMOUAO

Donc, si je comprends bien, le système financier mondial est très fragile, mais notre système monétaire européen donc notre système financier, il est dysfonctionnel ?

Paul JORION

Il est dysfonctionnel et il est un facteur de risque pour l’ensemble du reste.

Théophile KOUAMOUAO

Et jusqu’à quand la contradiction pourra être soutenable ? 2019, 2020, 2022 ? Est-ce que le moment de vérité est proche selon vous ?

Paul JORION

On a dit en 2010 au moment de la grande crise avec la Grèce, on a dit « oui, oui, on a compris le problème, on va résoudre cela ». On n’a pas fait, après en 2012, on a de nouveau eu une grande crise. Comment est-on sortis de la crise de l’euro ? Monsieur DRAGHI, à la tête de la Banque Centrale Européenne, a dit « Nous ne permettrons à aucun pays de sortir de la zone euro. Nous soutiendrons chaque pays pour leur permettre de rester là ». Monsieur WEIDMANN, à la tête de la BUNDESBANK, a posé la question, on en a parlé moins chez nous, on en a  beaucoup parlé en Allemagne, « qu’est-ce que c’est que ce Monsieur qui se présente comme le Président de la République d’Europe ? Qui est-il pour dire cela ? ». Monsieur DRAGHI, ce jour-là, a sauvé le système. Il s’est conduit en Président de l’Europe.

Théophile KOUAMOUAO

Sans en avoir la légitimité, il s’est donné les moyens.

Paul JORION

Exactement. Et Monsieur WEIDMANN a raison aussi de dire « Il nous faudrait quelqu’un qui soit véritablement là, Ministre du Budget et des Finances de l’Europe, Monsieur DRAGHI, ne l’est pas ». Monsieur WEIDMANN sera probablement le prochain Directeur, gouverneur de la Banque Centrale Européenne et à ce moment-là, je suis sûr, lui jamais, il ne pourrait pas se dédire, jamais lui ne pourra prendre le pouvoir de cette manière-là, mais il faut bien savoir que ce jour-là, Monsieur DRAGHI, en prenant le pouvoir a sauvé le système.

Théophile KOUAMOUAO

Ce qui est drôle c’est qu’a priori, tel que je vous entends, c’est que pour sauver le système, quoi qu’on pense du système, il faut aller vers une Europe fédérale, vers des Etats-Unis d’Europe, sauf que que les Européens, tous dans la pensée, que les Européens ne veulent pas tuer leur nation pour en accoucher d’une autre et surtout les Allemands, qui ne font même pas la moitié arithmétique des Européens, perdraient à une sorte de démocratie européenne où les plus pauvres auraient la parole prépondérante c’est-à-dire les Polonais, les Grecs, les Espagnols, les Portugais décideraient de ce qu’on doit faire de la grosse caisse du PICSOU allemande.

Paul JORION

Et donc ce que vous nous dites, je suis d’accord avec vous, on va immanquablement un jour ou l’autre vers un effondrement de l’euro.

Théophile KOUAMOUAO

Alors la guerre commerciale engagée par Donald TRUMP en 2018 de manière très claire, va se poursuivre en 2019, est-ce qu’elle risque d’affecter l’économie globale ?

Paul JORION

Bien entendu aussi. Le problème ce n’est pas tellement Monsieur TRUMP, le problème c’est Monsieur Peter NAVARRO qui est son conseiller. Monsieur Peter NAVARRO est quelqu’un d’intéressant, c’est un fantaisiste en économie. Moi a priori, j’ai beaucoup de sympathie pour les fantaisistes en économie, ils viennent avec un vent un petit peu nouveau, mais Monsieur NAVARRO a une représentation de l’économie mondiale qui est celle de la fin du XVIIIème siècle. C’est une représentation qui ne correspond pas à la réalité absolument pas, et on le voit de la manière dont le monde entier prie tous les jours pour que Monsieur TRUMP tombe et que nous retombions dans un système qui n’est pas nécessairement le système idéal à mon propre point de vue, mais au moins qui est un système de collaboration où avec l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce, des choses de cet ordre-là. Je vous dis, je vous souligne tout de suite que je ne suis pas entièrement partisan de ce genre de choses, mais au-moins il y a des tentatives d’intégration dans le système. Si on veut introduire une dose saine de protectionnisme, il faut commencer par agir sur les capitaux spéculatifs. Il faut empêcher les sommes purement spéculatives d’aller toujours à l’endroit où les dividendes sont les plus élevés, où les taux d’intérêt sont les plus élevés. C’est ce que l’on appelle une carène liquide dans un bateau. Quand un bateau commence à couler, il y a de l’eau au fond et l’eau va toujours se porter du mauvais côté, elle va toujours aller du côté où elle entraine le bateau vers le fond et c’est ça qui est en train de se passer en ce moment. Il faudrait à mon sens, c’est une proposition de KEYNES à l’époque de BRETTON WOODS en 44, il faudrait empêcher la circulation libre des capitaux purement spéculatifs.

Théophile KOUAMOUAO

Cela Donal TRUMP n’en veut pas.

Paul JORION

Il n’en veut absolument pas.

Théophile KOUAMOUAO

Donc en fait, il veut le beurre et l’argent du beurre. Il veut le protectionnisme économique mais le libéralisme financier en fait.

Paul JORION

C’est quelqu’un qui a des connaissances insuffisantes dans absolument tous les domaines. C’est quelqu’un qui ne lit pas. Tout le monde dit qu’il n’a pas de livres. Dans sa bibliothèque à la Maison Blanche, il y a trois livres, ce sont les livres que quelqu’un d’autre a écrits sur lui, oui ce sont les seuls livres qui sont là. C’est quelqu’un d’absolument ignare. Il a quelques recettes pour faire fonctionner une entreprise. Il s’est entouré simplement de nationalistes, dans le mauvais sens du terme, comme conseillers, qui sont des gens qui ont une représentation insuffisante des véritables mécanismes financiers.  

Théophile KOUAMOUAO

Mais quelque part, Donald TRUMP a pris acte de la grande souffrance des Américains de la classe moyenne, qui voient leurs revenus baisser, même s’ils ont toujours du travail et qui voient leur utilité sociale baisser puisqu’en fait il a pris acte de la détresse des anciens ouvriers spécialisés de l’Amérique triomphante et il s’est dit « en fait, si nos usines ont fermé c’est parce que les Chinois en ont créé donc il faut fermer notre porte pour recréer des usines ». C’est un peu cela, enfin il a tiré profit de cette révolte des peuples même s’il s’est bien gardé d’enrôler tout le peuple américain dans son explication et qu’il a subdivisé le peuple en facteurs raciaux et ethniques pour quand même maintenir une forme de supériorité de l’élite sur ce peuple-là en le subdivisant. Mais quelque part, il a fait ce pas, cela c’est quand même quelque chose que l’on peut mettre à son crédit même si, quelque part vous, vous avez parlé de la robotisation, est-ce qu’éventuellement, si l’Amérique se réindustrialise elle va recréer des emplois comme par le passé ?

Paul JORION

L’Amérique ne va pas se réindustrialiser et plus aucun pays ne va se réindustrialiser parce que vous pouvez voir les grandes lignes d’assemblage maintenant dans les usines de voitures. Que voit-on sur les grandes lignes d’assemblage où il y avait autrefois 1 000 personnes, maintenant nous voyons trois êtres humains.  

Théophile KOUAMOUAO

Donc en fait, l’Amérique peut se réindustrialiser mais sans ouvriers spécialisés.

Paul JORION

Elle ne peut pas se réindustrialiser du tout ! Nous sommes dans un monde où on ne va plus jamais réindustrialiser. Ce que vous dites sur TRUMP, finalement il a eu une bonne idée, il va protéger d’une certaine manière la classe ouvrière. Il faut savoir, les chiffres aux Etats-Unis, sur les derniers 20 ans, si l’on prend l’ensemble des emplois qui ont disparu, il y en a 13 % qui sont dus à la délocalisation, au fait qu’un ouvrier américain a été remplacé par un chinois, par un vietnamien, par un indonésien. Les 87 autres pourcents de la disparition c’est dû à la mécanisation, c’est dû aux robots, c’est dû aux logiciels, c’est dû à l’Intelligence Artificielle maintenant. La politique de Monsieur TRUMP c’est de mettre des murs. Il veut mettre un grand mur entre le Mexique et les Etats-Unis, et pour ce qui est de l’emploi industriel, il veut mettre un grand mur autour des Etats-Unis pour que les emplois ne sortent pas, pour qu’il n’y ait pas de délocalisation. Il est dans une perspective de la fin du XVIIIème siècle. 87 % des emplois qui ont disparu, cela n’a rien à voir avec une délocalisation, c’est parce que l’on a remplacé des êtres humains par une machine. C’est de ça qu’il doit s’occuper.

Théophile KOUAMOUAO

En réalité, il doit augmenter les impôts, taxer les robots pour pouvoir financer le niveau de vie des Américains.

Paul JORION

Qui est-ce qui a proposé la taxe robots que Monsieur HAMON a reprise dans son programme ? C’est moi. Je l’ai appelée « taxe Sismondi » parce que je reprenais l’idée de SISMONDI à cette époque-là. Qu’est-ce que c’est l’idée de SISMONDI ? C’est l’époque où l’on parle des luddites, des gens qui vont casser des machines parce qu’ils sont remplacés par des machines. SISMONDI dit « La personne remplacée dans son travail par une machine n’en bénéficie absolument pas, c’est uniquement le propriétaire de la machine qui va en bénéficier. Il faut que la personne remplacée dans son travail par une machine bénéficie à vie d’une rente perçue sur la richesse créée par cette machine qui remplace cette personne. Pourquoi ? Parce que la mécanisation c’est pour le bien de l’humanité dans son ensemble ». J’ai repris cette idée en la collectivisant, si vous voulez. On fera un impôt sur le travail des machines de la même manière qu’on imposait l’ouvrier qui travaillait, il payait des impôts. On peut faire exactement la même chose. Là on dit « ce n’est pas possible ». Ce n’est pas possible parce que tout simplement, une machine, dans la comptabilité que l’on a, ce n’est pas considéré comme un être humain, c’est pour cela qu’elle n’apparait pas de la même manière, mais il suffirait de modifier une ou deux règles comptables pour que nous puissions arriver à le faire. Ce qu’il faut, avec cette taxe, pourquoi cette taxe robot est très importante, c’est parce qu’il faut, et l’on en parlait déjà aux Etats-Unis dans les années 70, et c’était le bon moment d’en parler, il faut bien penser à la chose suivante, que le salariat, les gens qui gagnaient leur vie simplement en travaillant, le salariat, est en train de disparaitre, et c’est-à-dire que les conditions dans lesquelles les salariés se représentent à chaque fois sur le marché de l’emploi sont de plus en plus difficiles, dans un environnement aussi où les syndicats sont en train de disparaître. On est dans une situation où on va se retrouver avec une population qui ne travaillera pas, qui recevra simplement ce que l’on appelle les gains du capital : les propriétaires des machines et de l’autre côté l’ancien salariat, mais qui n’aura plus rien à faire.

Théophile KOUAMOUAO

Il y aura des oisifs riches et des oisifs pauvres ?

Paul JORION

Exactement, exactement.

Théophile KOUAMOUAO

Vous parlez beaucoup de transhumanisme, d’une sorte de monde où l’homme que nous connaissons aujourd’hui aurait disparu au profit d’hommes augmentés et de robots, qu’il y aurait une forme de « singularité ». Est-ce que ce ne serait pas une perspective lointaine, est-ce que vous ne voyez pas les robots comme nos ennemis, une sorte de nouvelle race qui nous brisera les reins ? Est-ce que ce n’est pas trop pessimiste ?

Paul JORION

C’est-à-dire qu’il y a plusieurs possibilités. Une des possibilités c’est effectivement la possibilité de type TERMINATOR, c’est-à-dire que les machines deviennent très intelligentes, il y a la singularité, les machines se rendent compte que nous somme en fait des gêneurs, de la même manière que les capitalistes vont considérer que les salariés sont des gêneurs et les machines peuvent décider du coup, de se débarrasser des êtres humains qui sont devenus une gêne. C’est un scénario de science-fiction, mais il y a un autre scénario, qui dans l’état où se trouve le capitalisme n’est pas un scénario du tout improbable. Ce n’est pas un scénario improbable. C’est le scénario où nous arrivions, grâce à notre génie technologique dont nous voyons le résultat tous les jours. J’ai travaillé dans l’Intelligence Artificielle à une époque, à cette époque-là, il y avait encore des goulots d’étranglement, il y avait des casse-têtes, des choses que nous ne pouvions pas résoudre. A mon sens, ils ont tous disparu. Ce qui est possible, c’est que nous nous trouvions dans un monde de plus en plus dégradé, dans un monde dans lequel les êtres humains ont de plus en plus de mal à vivre, mais que les machines, que nous avons fabriquées, qu’elles puissent survivre. Nous avons déjà sur la planète Mars, maintenant il y a trois objets qui sont en train de se promener, il y en a un qui vient d’être déposé par les Chinois de l’autre côté de la lune, qui n’ont besoin ni d’eau propre, non polluée, qui n’ont pas besoin d’oxygène dans l’atmosphère, qui n’ont pas besoin que des gaz de serre n’existent pas dans cet environnement parce qu’il n’y en a pas, qui n’ont pas besoin de s’alimenter toute la journée. Ils s’alimentent d’une seule chose, on leur met des petites piles nucléaires, mais l’essentiel de leur énergie leur vient du soleil.

Théophile KOUAMOUAO

Mais il n’y a que les hommes qui peuvent créer ce monde. Il n’y a aucun intérêt. On n’a pas intérêt à se suicider au profit des machines.

Paul JORION

On n’a pas intérêt à le faire, mais je peux vous donner quand même pas mal d’exemples, vous pouvez m’en donner aussi, de tas de choses que l’humanité n’avait pas intérêt de faire, mais qu’elle a fait quand même. C’est ce que HEGEL appelait la ruse de la raison. Parfois nous faisons des choses, nous êtres humains, sans avoir la moindre idée en réalité de ce que nous faisons. C’est plusieurs siècles plus tard que l’on se rend compte qu’on est en train de le faire. Il n’est pas impossible que plusieurs siècles plus tard on nous regarde et que l’on dit « Voilà, ils avaient compris qu’ils étaient condamnés, mais ils étaient en train de créer la génération suivante, ces choses qui allaient les remplacer ».

Théophile KOUAMOUAO

A moins que nous puissions transférer nos âmes dans des machines et là, les gens qui voudraient survivre et devenir éternels, transféreraient leurs âmes dans les machines et tueraient le reste.

Paul JORION

Bien sûr. L’étape avant ce serait que nous devenions tous immortels ce qui n’arrangerait en rien les problèmes dont nous parlons aujourd’hui !

Théophile KOUAMOUAO

Là on va un peu loin, mais revenons à nos réalités de 2019. Est-ce qu’en 2019 justement, les bonnes résolutions de la COP 21 seront définitivement considérées comme jetées à la poubelle ?

Paul JORION

Si Monsieur TRUMP reste aux Etats-Unis, s’il continue de nommer des gens qui sont des représentants essentiellement des lobbies, des grandes firmes pétrolières, des choses de cet ordre-là, oui, on va à la catastrophe parce que non seulement on ne va pas dans la bonne direction, mais on est en train de régresser. Il faudrait, pour le bien de nous tous, il faudrait surtout que Monsieur TRUMP disparaisse rapidement ! Mais, pour répondre à votre question, vous le voyez, c’est un débat, je l’avais même ce matin avec quelques amis, est-ce qu’on peut encore essayer de sauver, non pas la planète parce que la planète durera très longtemps, la vie des êtres humains à la surface de la planète ? Est-ce que nous pouvons encore le faire dans les cadres classiques ? Est-ce que l’on peut encore le faire, pour donner l’exemple, en essayant de faire nommer des gens au Parlement Européen ou que des amis à nous deviennent ministres ? Le système, ce n’est pas qu’il soit sclérosé ou fossilisé, mais c’est un système qui fonctionnait pour le « business as usual : », pour une espèce qui était en vitesse de croisière, mais nous ne sommes plus une espèce en vitesse de croisière. Nous avons, comme toutes les espèces, ce que l’on appelle la capacité de charge de l’environnement par rapport à nous c’est-à-dire cet équilibre qui doit exister entre une espèce animale vivante et l’environnement autour d’elle. Nous sommes en train nous, en tant qu’espèce, de détruire entièrement cela, nous le savons. Mais est-ce que les mesures que nous pouvons prendre du type de la COP 21 est-ce qu’elles iront assez vite ? Est-ce qu’elles seront assez radicales ? D’autres personnes posent la question de savoir : est-ce que ce ne seront pas en dernière minute des gouvernements autoritaires qui pourront prendre ces mesures parce qu’il faudra aller tellement vite que des gouvernements de type démocratique n’arriveront pas à le faire. Il y a une illustration qui est très instructive en ce moment. La Chine arrive à gérer son environnement beaucoup mieux que nous. Pourquoi ? Parce que c’est un système autoritaire !

Théophile KOUAMOUAO

Et on contrôle la population.

Paul JORION

Exactement. Alors on peut aller beaucoup plus vite, on peut prendre des mesures plus radicales, mais il y a un prix à payer, ce sont les libertés individuelles. Il n’y a pas à sortir de cette équation là en ce moment.

Théophile KOUAMOUAO

Mais finalement, est-ce que les personnes qui nous dirigent n’ont pas intérêt à pousser la contradiction environnementale si loin que nous céderions à ces personnes toutes nos libertés en échange de notre survie comme nous sommes déjà prêts à leur céder un peu de nos libertés en échange de notre sécurité avec la lutte contre le terrorisme ?

Paul JORION

Oui, c’est un danger et en fait, c’est un danger tout à fait réel, parce que Monsieur Joseph TAINTER, qui s’est intéressé à l’écroulement de la société maya au Mexique il y a longtemps, a dit que l’hypothèse la plus probable c’était que dans un système hiérarchisé comme le nôtre, avec des élites d’un côté et le reste du peuple ailleurs, que probablement ces élites ont cru trop longtemps qu’elles pourraient elles se sauver individuellement et que le reste était un problème relativement mineur. J’ai travaillé à une époque pour une institution qu’on appellerait aujourd’hui un « hedge fund ». Le patron de mon « hedge fund » possède trois îles en autarcie. C’est très bien pour l’environnement parce que tout cela ce sont des énergies renouvelables, etc. Il a, je crois, le troisième yacht du monde en termes de taille, etc. Avec son argent, il a essayé de créer un monde autonome, un monde d’autarcie et je suis sûr que lui considère qu’il n’y a aucun problème pour personne parce que sa famille est protégée, lui est protégé également. Le problème c’est si un jour quand même il y a une grande guerre nucléaire avec un « hiver nucléaire », même dans son île, il n’y aura plus de soleil au-dessus.  

Théophile KOUAMOUAO

Il peut peut-être acheter des espaces sur Mars.

Paul JORION

Il fait partie de ces gens sûrement, ce n’est pas un imbécile. Je n’aurais pas travaillé pour lui du tout. C’est que certainement, je ne l’ai pas vu récemment, mais c’est certainement quelqu’un qui réfléchit dans ces termes-là, oui, tout à fait. Dans cette  perspective transhumaniste où finalement c’est relativement indifférent pour les transhumanistes, si l’on sera éternel, ou si nous aurons, comme vous le disiez tout à l’heure, notre âme transférée dans un robot qui sera bien mieux que nous parce qu’il ne risquera pas les maladies cardio-vasculaires et il ne risquera pas le cancer et ainsi de suite.

Théophile KOUAMOUAO

En 2019, qu’est-ce qu’un citoyen de bonne volonté peut faire pour défendre le genre humain tant qu’il est encore temps ?  

Paul JORION

Je crois qu’il doit participer à ce que les Anglais appellent la rébellion contre l’extension. Je crois qu’il doit mettre tous les moyens dont il dispose pour lui, pour ses enfants et pour les enfants de ses enfants qu’il ne connaîtra jamais, mais qui viendront à l’avenir, pour sauver l’espèce, et pour cela, il faut absolument que nous tapions tous du poing sur la table. Les moyens traditionnels pourquoi pas, nous pouvons encore voter pour un parti qui va présenter ce genre de choses, mais penser aussi aux autres moyens non traditionnels, et à tous les niveaux, que ce soit le niveau d’essayer de pousser au niveau étatique à ce que des gens favorables à ce type d’idées soient au pouvoir, mais aussi au niveau local bien entendu. Au niveau local, la difficulté c’est qu’il y a des problèmes de chronologie. On peut dire « oui, tel problème va être résolu si tout le monde passe de la voiture au vélo – ou à la trottinette maintenant », mais que, quand on regarde sur quelle période l’on peut le faire, que ce soit peut-être sur 200 ans, alors qu’il y a des problèmes dans l’environnement, comme le réchauffement climatique, qu’il faut résoudre bien avant 200 ans. Il y a un problème de chronologie à ajuster de ce point de vue-là. Mais chacun à son niveau, à mon sens, doit faire quelque chose. Nous ne pouvons pas simplement mettre la clé sous la porte, de dire « Après nous le déluge ». Bien sûr, l’inconvénient pour nous en tant qu’espèce, c’est qu’individuellement nous mourrons un jour et que l’on peut se dire « je laisse aux autres le problème de résoudre les problèmes importants comme nous le faisons nous sur les déchets radioactifs. Nous disons « nous allons avoir des descendants à ce point des génies que ce problème insoluble pour nous, ils le résoudront à notre place ne sachant pas dans quel type de monde ils vont vivre et s’il y aura simplement la possibilité de continuer à travailler sur ces problèmes-là.

Théophile KOUAMOUAO

Bonne année 2019 en espérant que les générations futures verront l’année 3019 !

Paul JORION

Tout à fait.

Théophile KOUAMOUAO

Et merci beaucoup

Paul JORION

Merci à vous.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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