PHILO EN 2 LEÇONS – 1. DIEU EST MORT – Retranscription

Retranscription de PHILO EN 2 LEÇONS – 1. DIEU EST MORT, le 27 décembre 2018. Merci à Cyril Touboulic !

Bonjour, nous sommes le jeudi 27 décembre 2018. Et si vous écoutez la radio, si vous regardez la télé, si vous ouvrez vos journaux, vous vous rendez compte que le monde en ce moment est complètement déboussolé. Le monde est de plus en plus constitué de pauvres d’un côté et de riches de l’autre : les pauvres se biturent et les riches se gavent, et les pauvres rêvent de cesser de se biturer pour pouvoir se gaver et ceux qui se gavent (les riches) se rendent compte que ça n’arrange absolument rien et commencent à se biturer comme les autres. C’est là où nous en sommes.

J’ai décidé de vous proposer quelque chose : c’est un cours de philo accéléré en deux leçons. Et la première leçon – c’est celle que je donne aujourd’hui – s’appelle « Dieu est mort » et la prochaine s’appellera « En réalité, nous avons toujours été tout seuls », alors ça c’est un peu plus long mais j’essayerai d’ici là de trouver une formulation plus courte [« Nous sommes des génies, profitons-en ! »]. Mais je commence par la première partie.

Si vous pensez à M. Albert Camus… M. Albert Camus considère qu’il y a essentiellement deux choses qui nous dérangent en tant qu’êtres humains : c’est le fait que nous allons mourir un jour et la deuxième c’est que nous voudrions que le monde autour de nous soit aussi rationnel que nous-mêmes. Qu’est-ce que ça veut dire « être rationnel » ? Ça veut que dire que nous nous représentons comme ayant une conscience, et il y a un organe dans cette conscience qui est notre volonté. Et notre volonté plus notre conscience nous permettent de penser à des choses que nous voudrions faire, alors nous formulons l’intention de faire ces choses et grâce à la volonté, dirigée par la conscience, nous allons réaliser nos rêves. Et nous aimerions que le monde soit comme nous, c’est-à-dire qu’il y ait une volonté qui organise les choses en fonction d’elle.

Et alors, nous avions eu beaucoup de chance jusqu’ici, parce que nous naissions dans un monde où les gens se bituraient et se gavaient aussi, mais où on pouvait au moins avoir une représentation qui nous permettait d’échapper à cela. Et c’était que la question de la mort elle était réglée, parce que c’était une illusion : le fait que nous soyons mortels, c’est une illusion parce qu’en réalité, quand nous disparaissons de ce monde-ci, nous réapparaissons de manière instantanée dans un monde parallèle dans lequel, là, nous vivrons éternellement. Bon, alors ce problème-là, il était réglé comme ça. Et par ailleurs, ce monde rationnel, eh bien, le monde était rationnel. Le monde était rationnel parce qu’il y avait effectivement quelqu’un comme nous – en fait, il faut inverser la proposition : c’est lui qui nous avait créé comme lui – et il a une volonté et une conscience de lui-même, et il exerce sa volonté pour réaliser ses désirs et, du coup, tout est organisé en fonction de ça.

Et puis, il s’est fait que cette histoire nous a paru de plus en plus étrange et nous nous sommes dits : « Et si ce personnage n’existait pas ? » Et vous le savez, il y a un certain Friedrich Nietzsche qui nous a dit : « Dieu est mort. » Et il y a un certain Ivan Karamazov qui, dans un roman de Fiodor Dostoïevski, nous a dit : « Si Dieu est mort, tout est permis. » Et un peu plus tard, un siècle plus tard, on a eu un philosophe français qui est donc ce M. Albert Camus, qui nous a dit : « Qu’est-ce qu’on fait à partir de là ? », en particulier à partir de ce « Si Dieu est mort, tout est permis ! ».

Alors si vous ne comprenez pas ce que ça veut dire exactement, je transpose légèrement : c’est le gosse qui découvre que le Père Noël n’existe pas et qui dit, du coup : « Eh bien, il n’y a pas de raison d’être sage ! » Une manière pour le gosse de se représenter facilement le fait à la fois qu’il ait crû au Père Noël et qu’il ne doit plus y croire, c’est de se dire que le Père Noël est mort, comme nous nous sommes dit à propos de « Dieu est mort, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ».

Et donc Camus, il reprend ça à partir de là, il dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? On s’aperçoit qu’on ne va pas vivre éternellement. Zut ! Il n’y a pas de monde parallèle. Qu’est-ce qu’on peut faire ? » Eh bien, la solution évidente, c’est de se flinguer tout de suite parce que à quoi ça sert même de regarder ce qui va se passer, tout ça n’a aucune signification. Et alors le monde qui n’est pas rationnel autour de nous ? S’il n’est pas rationnel, s’il n’y a pas quelqu’un qui organise ça en fonction de sa volonté – les désirs de sa volonté réalisés par ses intentions –, eh bien, ce monde, il n’est peut-être pas absurde mais le fait que nous soyons dedans, la condition humaine, est absurde à l’intérieur de ce cadre. 

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? Et vous connaissez les solutions qu’a proposées Camus : l’homme révolté et Sisyphe heureux. Alors l’homme révolté, ça veut dire quoi ? Eh bien, le monde est absurde mais ça ne fait rien, il ne faut pas accepter ça. Il faut se révolter. Il faut être contre. Il faut se réveiller tous les matins en disant : « Ce truc-là, ça ne va pas m’abattre. On avance, quand même ! » Et cette réaction-là, à quoi ça ressemble ? C’est le gosse qui a découvert que Saint-Nicolas ou le Père Noël n’existait pas et qui pique sa crise. C’est bon pour les nerfs, ça ne va pas arranger les choses, mais enfin, voilà. Une autre possibilité, c’est de se dire : « Eh bien, il faut s’en accommoder », c’est un peu ce que dit Nietzsche avec la tragédie. C’est ce que dit Camus : « Sisyphe, il sait qu’il pousse son rocher jusqu’en haut et puis quand il arrivera tout en haut, ça va rouler jusqu’en bas… il va recommencer » et pendant ce temps-là, il va se dire : « Eh bien, pourquoi pas, hein ? C’est comme ça qu’on est. »

Alors, l’homme révolté et Sisyphe heureux, on appelait ça cyclothymie ou maniaco-dépressif, maintenant on dit « bipolaire ». C’est que parfois on va s’énerver et parfois on va dire, bon, « l’imbécile heureux » : l’alternance de l’imbécile heureux et du type qui pique sa crise.

Il y a une autre possibilité par rapport à cette constatation que Dieu n’existe pas ou que Dieu est mort, c’est de prendre sa place. Il y a une alternative à la philosophie de l’absurde de Camus et nous l’avons découverte récemment. Et pourquoi est-ce que nous l’avons découverte ? Eh bien, c’est parce qu’on s’aperçoit que finalement les médecins, les biologistes, travaillent sur cette idée de longévité et ils vont, peut-être, nous arranger cette histoire de mortalité en nous permettant d’être immortels ! Ce sera une autre solution que de trépigner, ce sera d’arranger ça : si ça nous chipote qu’on soit mortels, eh bien, on va arranger ça. Et si ça nous chipote que le monde autour de nous ne soit pas rationnel, on va arranger ça. Nous sommes très malins, on va le faire rationnel et on a des machines pour faire ça. Et on a tout compris, on a des ordinateurs qui vont nous aider à mettre tout ça en place.

Donc, constatation que l’Homme est mort… pardon, que Dieu est mort [rires] ! Constatation que ou bien on trépigne et on se fait une raison – ça c’est la philosophie de l’absurde de Camus – ou bien, on arrange les choses : on supprime la mortalité et on rend le monde rationnel, c’est la solution du transhumanisme qu’on nous fait aujourd’hui.

Alors, est-ce que c’est la bonne approche ? Eh bien, ce n’est pas la bonne approche parce que le monde, il n’est pas véritablement absurde. Vous savez bien, si je prends mon verre là et que je le laisse tomber, eh bien, il va se casser. Ce n’est pas absurde : il y a des lois de la nature. La seule chose qui nous dérange dans cette histoire, c’est qu’il n’y ait pas de finalité, qu’on nous dise pas : « Il y a un but et on va vers ce but », parce que c’est comme ça que nous arrangeons les choses : nous organisons nos désirs en fonction d’un but à atteindre et s’il n’y pas de but autour nous, ça nous dérange profondément. Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de but ? Eh bien, c’est qu’il y a effectivement de la causalité dans la nature : les particules élémentaires se repoussent et s’attirent et ça a fait qu’il y a eu des atomes, et puis que les atomes se sont mis en molécules. Une fois que les molécules se mettent ensemble, ça peut nous produire même des acides aminés, et ces acides aminés mis dans la bonne combinaison ou dans le bon ordre, ça va nous produire la vie. Et quand la vie a été bien mise ensemble et que ça avance pendant un certain temps et qu’on arrive non pas au point culminant mais on arrive à quelque chose quand même qui tient debout, qu’il y ait des êtres humains, ceux-là font pareil : ils commencent à créer des machines et ces machines les prolongent. Et on va encore au-delà : on va créer quelque chose qui n’est pas aussi sensible que nous au fait qu’il faille de l’oxygène, qu’il faille manger des aliments, qu’il faille boire de l’eau potable et ainsi de suite, et nous pouvons nous prolonger de cette manière-là.

Donc le problème, contrairement à ce que dit M. Camus, ce n’est pas que le monde soit absurde – il n’est pas absurde du tout, on sait comment il fonctionne –, c’est le fait que, nous, nous le trouvions absurde maintenant. Et pourquoi est-ce que nous le trouvons absurde ? Parce que nous ne le voyons pas tel qu’il est. Nous le voyons d’une perspective où nous avions à une époque cru en un Dieu, et que ce Dieu arrangeait tout et que nous avons fait une crise quand nous avons vu qu’il n’était pas là. Nous avons dit : « Tout devient possible. » Comme dit Karamazov : « À ce moment-là, on peut tuer tout le monde autour de soi », et même Camus qui n’était pas un imbécile, il envisage ça comme une proposition envisageable. Non ! C’est parce que nous venons d’une perspective dans laquelle il y avait un dieu qui s’occupe à la fois de la mortalité qui nous chipote et aussi du fait que aimerions bien que tout soit bien organisé autour de nous en fonction d’un but… et ce n’est pas ça : nous avons un monde qui est autour de nous, qui n’est pas un monde absurde du tout, qui est bien organisé mais qui ne nous dit pas d’avance où nous allons.

Alors je termine ma première leçon là-dessus et à la suivante nous allons réfléchir au fait de qu’est-ce qu’il faut faire quand on se rend compte qu’on a toujours été tout seuls.

À bientôt !

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