Retranscription de Les Gilets jaunes et les autres. Pour une réflexion commune, 24 décembre 2018. Merci à Éric Muller et Armelle Pélaprat ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le 24 décembre 2018, c’est donc le jour du réveillon. Joyeux Noël, bonnes fêtes !
Comme vous vous en doutez bien, on me demande : « Qu’est-ce que vous pensez des gilets jaunes ? » Et alors, je me lance dans de longues explications de type, je dirais, anthropologique et sociologique, mais on me demande, à la fin, on me dit : « Oui, d’accord, c’est très bien, oui, on a compris, mais est-ce que vous êtes pour ou est-ce que vous êtes contre ? »
Et là, je suis bien embarrassé, parce qu’il y a parmi les Gilets jaunes des personnes qui ont toute ma sympathie, et non seulement ça, mais je suis d’accord avec ce qu’ils disent et je trouve ça formidable et je suis content qu’ils soient là et qu’ils disent ce qu’ils disent, et par ailleurs il y a d’autres gens, parmi les Gilets jaunes, qui sont des gens qui… eh bien, j’hésiterais vraiment à leur serrer la main, parce que ce n’est vraiment pas ma tasse de thé, ni ma tasse de café.
Alors, qu’en penser ? Eh bien, j’ai lancé un peu des débats sur le blog, je discute avec vous. Vous avez vu : en particulier, j’ai voulu parler de cet article qui avait paru dans le Monde, et des réactions extrêmement négatives de certains lecteurs du Monde à des personnes qui se disent Gilets jaunes et qui ont parlé de leur vie quotidienne, et là, j’ai souligné à plusieurs reprises, sous des formes différentes, que lorsqu’on parle de <i>polarisation</i> au Royaume-Uni, un pays qui est un peu à la dérive en ce moment, quand on parle de polarisation aux États-Unis, d’une manière qui est tout particulièrement dramatique ces jours-ci, eh bien, ces polarisations, elles semblent en tout cas être communes au monde occidental. On a là deux populations, deux parties de la population, qui ne comprennent plus rien à la manière dont l’autre fonctionne, dont l’autre raisonne, à « qui sont ces gens-là ? », et quand on donne la parole aux uns et aux autres… Et là, je dirais que les lecteurs du Monde qui jettent un regard condescendant sur les autres sont, je dirais, bien pire encore que les autres. D’une certaine manière, ceux qui sont en bas, ils comprennent encore un petit peu comment fonctionnent ceux qui sont d’en haut, et il y a encore, je dirais, un reste de sympathie, même si il y a une envie d’en découdre qui est là, véritablement. Mais le regard que les gens d’en haut jettent sur les gens d’en bas, celui-là, il n’est pas à prendre avec des pincettes. On a plutôt envie de se boucher le nez. C’est triste, c’est lamentable, qu’on ne comprenne pas qu’on est un privilégié d’un système, qu’on ne comprenne pas que la pauvreté des autres qu’on a en face, c’est en grande partie parce qu’on leur pompe ce qu’ils sont en train de produire, pour créer la richesse des autres…
Toute cette histoire, j’en ai déjà parlé souvent, toute cette histoire de l’État qui est endetté. L’État est endetté parce qu’il ne lève pas d’impôt, il ne lève pas d’impôt là où il faudrait le faire. Qu’est-ce qu’il fait, l’État ? Eh bien, il impose ceux qui ne peuvent pas payer, ceux qui sont en bas, ceux qui n’arrivent pas à échapper au système fiscal, et il emprunte, il emprunte pour compléter, et ce qu’il emprunte, ce sont des obligations d’État, et ces obligations, où est-ce que ça va ? Eh bien, ça va dans des assurances-vie, c’est-à-dire que ça va encore subventionner ceux qui ont déjà de l’argent et à qui on ne prend pas l’argent supplémentaire qu’on pourrait leur prendre pour partager avec les autres.
Alors, j’en étais là de mes réflexions quand – vous allez voir le cours de ma pensée – quand Grégory Maklès, il y a quelques jours, m’a dit : « Tu as vu ? <i>La survie de l’espèce</i> ça se vend bien en ce moment. » Alors, je suis allé regarder un peu et c’est vrai, ça se vend bien : les gens lisent ça !
Alors, ça m’a donné envie d’en parler un peu sur le blog, et j’ai mis – hier et avant-hier – j’ai mis deux vieilles couvertures – c’est pas des vieilles couvertures, c’est des projets de couverture qui n’avaient pas été utilisés parce qu’on savait – Grégory et moi – qu’un éditeur même très courageux, là, il renâclerait. Mais là, on a pu les mettre sur le blog. Là je les ai remises avec plaisir. Que ça s’appelle <i>La survie de l’espèce</i> et qu’on voit le plus souvent qu’elle n’a pas survécu, ça fait partie, bien entendu, de l’humour que l’on trouve à peu près dans toutes ses pages. Alors, quand je dis que c’est un livre qui fait rire à s’égosiller, non pas du tout, voilà, ça fait plutôt à réfléchir.
Ce qui m’est venu ce matin, c’est plutôt de remettre ce passage, très didactique et à la fois je crois extrêmement drôle, où on nous explique comment fonctionne notre société, et en particulier ce système où on arrive encore, sous prétexte d’aider les gens, en leur disant que « le crédit repart ! »… On leur a dit : « Mais attention, le crédit repart. Vous allez pouvoir emprunter. Il n’y a pas de problème ! » C’est-à-dire que vous allez pouvoir utiliser une partie de cette faible partie que vous avez comme argent, vous allez encore pouvoir payer des intérêts à des gens qui ont déjà des sommes qu’ils ne savent pas où les mettre et qui, du coup, les mettent dans des fonds spéculatifs plutôt que dans des choses qui aident à l’économie.
Alors, les deux trains de ma pensée se sont rejoints là : comment réunir autour d’une réflexion qui ne soit pas simplement des choses qui passent comme ça sur lesquelles on tombe tout à coup, par exemple sur une chose que je connais bien parce que ça fait partie de ma vie quotidienne, c’est, quand j’habitais pendant 12 ans en Californie, c’est ce qu’on appelle là-bas le référendum d’initiative populaire. Alors en français, « RIP » évidement ça ne ferait pas très joli, ça ferait « <i>Requiescat in pace</i> » « repose ici en paix » mais, voilà, c’était un truc sympathique. Ça fait avancer les choses le référendum d’initiative populaire. Ça a fait avancer les choses sur la question de la marijuana, mais, de manière encre beaucoup plus importante, ça a fait avancer les choses en matière de « mariage pour tous ». Ce sont des moyens de faire venir de nouvelles idées qui ne descendent pas d’en haut, ce ne sont pas des trucs écrits par des lobbys qui sont passées comme ça aux parlementaires qui n’ont rien eu d’autres à se mettre sous la dent et qui votent ces trucs-là. Non ce sont des choses qui peuvent apparaître effectivement à la base, et, monter monter monter. La question est un peu aussi, après, c’est de faire comprendre de quoi on parle exactement et ça demande à ce qu’on se mette d’accord entre soi pour faire avancer des trucs, c’est une bonne chose, ça fonctionne aussi un peu de la même manière en Suisse. Je suis pour. J’ai vu fonctionner ça pendant douze ans, en Californie, de visu et j’ai été associé, bien entendu, à lancer des projets de ce type-là, en particulier dans les milieux politiques et la société Quakers où on était très actifs de ce côté-là. Alors c’est une bonne chose mais est-ce qu’on change une société de fond en comble avec ça ? Sur des principes importants je ne crois pas, on peut faire avancer des choses, des causes qui sont importantes et qui tiennent à cœur aux gens, je ne suis pas sûr qu’on peut…. La Californie c’était sympathique mais ce n’est pas encore ce qu’on voudrait faire. Et je ne suis pas sûr que dans des trucs où il faut faire voter une majorité de la population pour faire avancer les choses, je ne suis pas sûr que ce soit « révolutionnaire » pour employer un mot qui est d’actualité.
Ceci dit il est important qu’on ait des idées, qu’on propose des choses nouvelles. Vous savez, moi, ce petit livre qui s’appelle « Vers un nouveau monde » qui m’a été demandé par ce que j’appelle, moi, l’aile gauche du parti socialiste belge, c’est un petit livre où j’ai mis pas mal d’idées sur la gratuité, l’interdiction de la spéculation. Quoi encore ? Inscrire l’État-providence dans la constitution, une constitution pour l’économie, un projet sur l’Europe qui ne soit pas tout à fait ce qu’on a en ce moment mais tout à fait autre chose, et ainsi de suite.
Et, pour lancer la discussion je vais continuer sur le blog, je vais continuer à parler de cet ouvrage que les gens achètent en ce moment et ils ont raison d’acheter et que j’ai remis un peu d’actualité sur le blog : « La survie de l’espèce » de Paul Jorion et Grégory Maklès et je me demande si ce petit ouvrage ne pourrait pas être un moyen de rassembler la discussion. Parce que, dans ce petit livre, il faut bien le dire, il y a beaucoup d’idées. Elles sont expliquées de manière extrêmement simples parce que c’est de la BD. Elles sont expliquées d’une manière humoristique parce qu’on a le sentiment qu’on fait mieux comprendre aux gens comment ça marche quand on les fait rire à propos de leurs misères. Ils disent : « Ouais c’est ça, j’aurais jamais vu mais c’est exactement ça ! ». Regardez en particulier le mur derrière lequel le capitaliste joue au Monopoly. Chers amis c’est comme ça dans la vie, hein, c’est comme ça ! L’ouvrier, lui, a un tout petit tas devant lui. Le patron il a un gros tas mais le capitaliste, derrière sa muraille, c’est encore autre chose « It dwarves the rest ! » comme on dit en américain : ça rend nain tout le reste tout autour. Alors si vous voulez faire un beau cadeau à un Gilet jaune et le faire réfléchir et lui proposer autre chose que des messages simplement, que c’est probablement un arabe ou probablement un juif et si c’est pas un juif c’est encore un autre métèque, etc. qui est responsable de nos misères, pour faire monter la discussion d’un cran, faites-moi plaisir – ça fera plaisir à Grégory et ça me fera plaisir aussi, on ne deviendra pas millionnaires comme ça m’enfin bon, ça fait avancer le schmilblick – choisissez votre Gilet jaune favori et offrez-lui un exemplaire de « La survie de l’espèce » [rires]. J’ai du mal avec la <em>survie</em> de l’espèce parce que c’est un livre, justement, qui est consacré aux dangers d’extinction et de la société dans laquelle nous sommes en train de vivre. C’est un petit ouvrage didactique du type… c’est un manifeste. Quand on a réfléchi on s’est dit on va faire ça du genre du Manifeste du parti communiste de Messieurs Marx et Engels. Mais on va pas le faire avec des lignes en noir sur un fond blanc. On va le faire un truc avec des images, avec une BD, une BD comique qui racontera la même histoire. Alors voilà. Si vous même vous ne l’avez pas lu et bin il faut le lire quand même. Le moment est venu. Il y a des choses qui pouvaient paraître pas abstraites mais un peu théoriques en 2009 quand on a commencé à l’écrire, heu, maintenant je vous assure que la partie de Monopoly autour de la table avec le capitaliste, le patron et l’ouvrier, je vous assure que les gens qui sont sur les ronds-points en ce moment, ils la trouveront surement pertinente. Ils trouveront que ça parle de la vie de tous les jours.
Voilà, c’est une idée parce que je vois que, sinon, la réflexion s’éparpille et qu’elle a toujours tendance comme la loi de la gravité le lui conduit à tomber au plus bas parce que c’est là que la bille roule le plus facilement, c’est au fond du puits. Et nos expériences passées, récentes, autour de nous, dans notre pays, nous montrent que le pire est toujours possible.
Alors voilà, c’est une petite annonce publicitaire pour « La survie de l’espèce » mais j’espère que vous aurez compris que ce n’est pas ça c’est une réflexion de ma part sur comment faire avancer les choses, comment concentrer nos efforts à tous sur des choses qui en valent la peine, en ayant compris les mécanismes élémentaires qui font que nous en sommes là où nous en sommes.
Voilà, allez, passez une bonne journée. Un excellent réveillon ce soir. Bonnes fêtes à tous. Paix sur la terre, aux femmes, aux enfants et aux hommes de bonne volonté !
Allez ! A bientôt !
Laisser un commentaire