À propos du débat sur rfi le 28 décembre. On le trouvera ici. Ouvert aux commentaires.
L’argument que j’ai défendu sur ce blog en faveur du revenu de base est qu’il permet de refuser l’exploitation de l’homme par l’homme, plus exactement le chantage sur lequel elle se fonde (grâce à la privatisation de la propriété par les uns et la privation de la propriété pour les autres) : « ou tu acceptes mes conditions ou tu meurs ». Benoît Carrère le dit plus modérément en se référant à Thomas Paine : « pour pouvoir s’exprimer librement, il faut être libre économiquement ».
À cela, Paul Jorion répond qu’il peut témoigner que le système capitaliste a bien plus d’un moyen de venir à bout de cette indépendance monétaire, qui lui paraît donc illusoire. Et il a raison. Souvenez-vous qu’il a publié sur ce blog le texte de « Marx aujourd’hui » où l’on rappelait que le système capitaliste a toujours une longueur d’avance dans la lutte qui l’oppose à ses victimes. La crise de 29 par exemple, résolue en accordant un pouvoir d’achat au prolétariat sous condition que sa consommation s’inscrive comme productive de capital. Et aujourd’hui il est bien plus facile au système capitaliste d’asservir les citoyens qui croiraient avoir acquis avec un revenu de base la faculté de s’investir hors de son emprise. Il lui suffit par exemple, comme le dit Paul Jorion, de maîtriser les communications ou les transports ou le prix du loyer ou le prix de l’énergie, etc. pour mettre à sa merci tous ceux dont il assurerait par ailleurs la subsistance par un revenu de base. Non seulement le capitalisme peut asservir le prolétariat mais il peut entretenir les exclus grâce au revenu de base.
Benoît Carrère répond qu’il y a effectivement deux visions du monde qui s’opposent, celle des capitalistes qui veulent maintenir leur système en régulant la pauvreté et celle qui fait du revenu de base un moyen d’émancipation de l’homme ou tout au moins utile pour mettre fin à la domination la plus violente.
Mais Benoît Carrère suggère une autre idée : le revenu de base, c’est aussi un premier pas pour un changement dans les comportements et les rapports humains. Paul Jorion lui fait remarquer que l’on ne peut pas se contenter d’espérer en un changement rapide de comportement étant donnée l’expérience du socialisme utopique du XIXe siècle qui montre selon moi qu’il est vain de se référer à des valeurs éthiques dont on ne maîtrise pas rationnellement la genèse. Et de préciser qu’il faut mettre d’abord à l’abri du capitalisme prédateur un domaine non monétarisable qui obéisse donc à d’autres impératifs que celui du profit. Il propose de préserver un domaine économique où soit instaurée la gratuité des biens premiers. Toutefois, cette solution de transition qui rejoint celle des partisans des Communs, butte aussi sur une difficulté qui fait débat. La gratuité dans un système capitaliste où personne n’est responsable de personne conduit à la corruption, et dans un système où les ressources sont à la disposition de tous à une absence de considération sur la valeur des choses et au gaspillage. La proposition de la gratuité ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur la responsabilité, question à laquelle j’ai apporté une contribution en réponse à la thèse de Christian Laval et Pierre Dardot sur le Commun.
De même que la proposition du revenu de base ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la capacité du système capitaliste de l’intégrer à sa propre croissance si l’on ne définit pas une interface entre l’économie de profit et une autre économie, de même la proposition de la gratuité ne peut faire l’impasse sur la question de la responsabilité.
Paul Jorion pense que le coût du revenu de base est très supérieur à celui de la gratuité des biens premiers. Benoît Carrère lui répond que si l’on met les recettes en face des coûts, ce n’est pas évident. Ce qui n’est surtout pas évident, c’est la nature de la valeur dont la monnaie devra être dite l’équivalent dans un autre système que le système capitaliste (Cf. Monnaie de renommée et monnaie de réciprocité, également publié sur ce Blog).
Si l’on reste dans le système capitaliste, Paul Jorion a sans doute raison car nombre de bénéficiaires du revenu de base cesseront de participer à la croissance du capital. Dès lors, comment le capitalisme accepterait-il un tel coût improductif ? Mais si comme il le propose on se met à l’abri des prédateurs et que l’on invente un autre domaine libre de toute exploitation de l’homme, la valeur y recevra une autre définition que celle que prétend lui donner le capitalisme, et il est possible que les recettes soient équivalentes aux dépenses. Mais Benoît Carrère ne propose pas d’instaurer une interface ni de construire un nouveau système de valeur.
On peut prolonger l’idée de Benoît Carrère puisqu’il s’agit pour lui d’un premier pas, et prolonger l’idée de Paul Jorion d’un domaine de gratuité, par celle d’une interface qui mettrait une limite absolue au système capitaliste (une limite au profit). Il va de soi que Paul Jorion et Benoît Carrère parlent d’une nouvelle économie où la nature des relations humaines serait différente de celle de l’économie capitaliste. Mais sans la nommer.
Cf. D. Temple, L’économie politique – I – L’économie humaine, L’économie politique II – Apologie du marché, L’économie politique III – La transition post-capitaliste .
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