« Eviter l’effondrement : mettre la finance au service de la transition écologique »
Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin
Pour l’ouvrage collectif des 10 ans de Trans-Mutation
Le think tank I4CE (Institute for Climate Economics) chiffre à 6 000 milliards d’euros au niveau mondial les investissements annuels nécessaires ces quinze prochaines années pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré et financer la transition écologique. Mais nous sommes aujourd’hui très loin du compte. Et ces chiffres ne prennent pas en compte la deuxième exigence écologique majeure avec la réduction des gaz à effet de serre : la préservation de la biodiversité. Aucun chiffrage sérieux n’existe, mais le défi exige certainement des investissements tout aussi importants.
Une transition rapide vers les énergies renouvelables et une réduction drastique de la consommation par ménage sont nécessaires. Tout l’enjeu est de financer cette transition écologique. Les investissements publics sont une solution, mais conjointement, l’augmentation des investissements verts doit également venir du secteur privé. Or, pour cela, une « révolution copernicienne » de la finance doit être menée de toute urgence. Il est urgent que la finance joue enfin son rôle premier : tel un système sanguin, elle doit allouer au mieux les ressources existantes à l’économie réelle et non plus se contenter de se les attribuer à elle-même dans une perspective de kidnapping du profit.
Socialiser la finance comme toute autre communauté humaine
Avec la « dérégulation », on a cru qu’il était suffisant de faire confiance aux acteurs financiers pour allouer au mieux les ressources existantes. Mais de tout temps et en tout lieu, nos sociétés humaines vivent dans une double régulation des comportements : le Droit et la répression d’un côté, la morale et la socialisation de l’autre. Alors que par l’éducation nous cultivons depuis notre plus tendre enfance une voix intérieure : la « conscience » qui nous guide dans nos choix de tous les jours pour tendre vers un comportement socialement acceptable, la police et la justice sont là pour nous remettre à notre place en cas de déviance. Et pourquoi cela devrait-il faire exception dans la finance ? Les capitalistes sont-ils par simple effet de la providence, tous des saints ? Non ! Tout du moins pas plus que dans les autres communautés humaines.
Inverser le rapport de force : la Planète reine, et la finance, sa servante
Il faut donc que nous guidions la finance vers la vertu, comme nous encourageons nos enfants dans cette voie, en maniant à la fois la carotte et le bâton. Tel Moïse descendant de la Montagne, porteur des Tables de la loi, il faut savoir prescrire et proscrire un certain nombre de comportements pour les mener sur la voie de l’intérêt général.
Inventer une Constitution pour l’économie
Nous appelons à la rédaction d’une Constitution pour l’économie au niveau que les juristes appellent « cosmopolitaire », c’est-à-dire d’application générale à l’ensemble des êtres humains. Il s’agit de prôner une « sortie par le haut », autrement dit une transformation radicale des institutions, au niveau le mieux intégré du genre humain, sans nécessiter pour autant une révolution violente. « Constitution pour l’économie » car il s’agit avant tout de rétablir la finance dans son rôle conforme à sa finalité, de servante de l’économie.
Les commandements du décalogue sont lapidaires : on est très loin avec les Tables de la Loi des 848 pages du Dodd-Frank Act que les Américains votèrent en 2010, et qui constitue à leurs yeux la réforme de la finance que les événements de 2008 réclamaient. Et c’est cette forme-là qu’il convient en effet d’adopter : il doit s’agir d’une réforme authentique fondée sur un très petit nombre de principes faciles à énoncer et par conséquent à comprendre, mais dont de multiples implications retombent en cascade en termes de ce qui est autorisé ou au contraire interdit. Il faut viser l’économie des moyens : changer la plus grande part possible de nos comportements, sans mobiliser pour autant des moyens démesurés, comme lorsqu’on parle en termes militaires de « frappes chirurgicales ».
Son premier principe : interdire la spéculation pour investir à long terme
Aujourd’hui, où se dirige le capital financier ? Vers la spéculation, c’est-à-dire les paris « directionnels » sur les produits financiers, qui constituent le plus rentable à court, voire très court, terme. L’intérêt de la planète, lui, se construit sur le long terme et a été complètement négligé. Il s’agit d’interdire la spéculation telle qu’elle était définie dans l’article 421 du code pénal français jusqu’en 1885, comme « les paris à la hausse ou à la baisse sur le prix des produits financiers », pour restituer enfin aux investissements longs, la valeur qu’ils représentent effectivement pour l’espèce humaine dans son ensemble.
Comment distinguer le spéculateur de l’investisseur ? Un critère évident permet de faire la différence entre ces deux comportements : alors qu’il s’agit d’un transfert de risque quand il s’agit d’investissement, la spéculation, qui fera apparaître un gagnant et un perdant du pari sous-jacent, crée un risque ex-nihilo : un risque inexistant avant que ce pari n’ait lieu.
Son deuxième principe : mettre l’homme et l’environnement au passif de la comptabilité des entreprises
Au premier abord, nous aurions tendance à dire qu’il s’agit avec nos règles comptables de catégorisations purement « techniques ». Mais une telle représentation est erronée. Les codes admis, les formulations admises ne sont pas neutres : elles portent en elles des valeurs, des jugements, reflétant rien de plus que les rapports de force existants entre les différentes catégories sociales composant nos sociétés.
Le principe fondamental des règles comptables devrait être la préservation non seulement du capital financier mais aussi la préservation de l’homme et de la nature qui l’environne et à laquelle il appartient. D’un point de vue comptable, n’est pris en compte seulement, que le capital financier en dissimulant la détérioration des conditions de vie et de l’environnement naturel. Une constitution de l’économie devrait ainsi stipuler qu’existent sur un plan comptable trois éléments à mettre au passif : le capital financier, l’homme en tant que tel et la nature dans son ensemble, en tant qu’elle est l’environnement de l’homme, car il n’y a pas d’économie florissante sans intégration harmonieuse de ces trois éléments.
Son troisième principe : mettre les Etats au centre de la réorientation des capitaux financiers vers la transition écologique
Aujourd’hui, les projets verts peinent à se faire financer, en particulier ceux des petites et moyennes entreprises (PME), alors qu’il n’y a jamais eu autant de richesse disponible dans l’économie qu’aujourd’hui. Inspirons-nous pour cela du plan Juncker à l’initiative du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), un fonds initialement doté de 10 milliards d’euros, qui a permis de garantir plus de 335 milliards d’euros d’investissements dans toute l’Union européenne sur trois ans. Fondé sur le même mécanisme, un fonds spécifique que l’on pourrait nommer le Fonds européen pour les investissements verts (FEIV), pourrait être envisageable au niveau européen pour garantir des investissements verts à une échelle au moins aussi grande.
Pour éviter l’effondrement, il est urgent que la finance se mette au service du défi majeur au XXIe siècle (s’il n’y en avait qu’un !). Il est urgent que la finance serve enfin massivement la transition écologique !
Socialiser la finance comme toute autre communauté humaine
Avec la « dérégulation », on a cru qu’il était suffisant de faire confiance aux acteurs financiers pour allouer au mieux les ressources existantes. Mais de tout temps et tout lieu, nos sociétés humaines vivent dans une double régulation des comportements : le Droit et la répression d’un côté, la morale et la socialisation de l’autre. Alors que par l’éducation nous cultivons depuis notre plus tendre enfance une « voix intérieure » qui nous guide dans nos choix de tous les jours pour tendre vers un comportement socialement accepté, la police et la justice sont là pour nous redresser en cas de déviance. Et pourquoi cela devrait-il faire exception dans la finance ? Les capitalistes sont-ils des tous saints ? Tout du moins pas plus que dans les autres communautés humaines !
Inverser le rapport de force : la Planète reine, la finance servante
Il faut donc que nous aidions les financiers à être vertueux, comme nous poussons nos enfants à l’être, en magnant la carotte et le bâton. Tel Moïse descendant des montagnes, porteur des tables de la loi, il faut savoir prescrire et proscrire un certain nombre de comportements pour les pousser dans la voie de l’intérêt général.
Inventer une Constitution pour l’économie
Nous appelons à la rédaction d’une Constitution pour l’économie. Il s’agit de prôner ce qu’on appelle aujourd’hui une « sortie par le haut », quand on évoque un changement radical par une transformation des institutions qui ne nécessite pas pour autant une révolution violente. « Constitution pour l’économie » car il s’agit avant tout de rétablir la finance dans son rôle conforme à sa finalité, de servante de l’économie.
Les commandements du décalogue sont lapidaires : on est très loin avec les Tables de la Loi des 848 pages du Dodd-Frank Act que les Américains votèrent en 2010, et qui constitue à leurs yeux la réforme de la finance que les événements de 2008 réclamaient. Et c’est cette forme-là qu’il convient en effet d’adopter : il doit s’agir d’une réforme authentique fondée sur un très petit nombre de principes faciles à énoncer et par conséquent à comprendre, mais dont de multiples implications retombent en cascade en termes de ce qui est autorisé ou au contraire interdit. Il faut viser l’économie des moyens : changer la plus grande part possible des comportements, sans mobiliser pour autant des moyens énormes, comme lorsqu’on parle en termes militaires de « frappes chirurgicales ».
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