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“Aux États-Unis, un arrêt des activités gouvernementales (en anglais government shutdown) est une situation politique dans laquelle le Congrès échoue à autoriser suffisamment de fonds pour les opérations gouvernementales. Dans ce cas, l’administration fédérale cesse tout service à la population à l’exception, dans un premier temps, des services dits « essentiels ». Toutefois, comme le Congrès doit autoriser toutes les dépenses, il n’y a aucune loi protégeant un service gouvernemental d’un arrêt.
La Constitution des États-Unis prévoit que le Sénat et la Chambre des représentants doivent approuver le budget fédéral, qui par la suite va vers le président pour sa signature. Si le président utilise son droit de veto sur le budget fédéral des États-Unis, ce dernier retourne au Congrès, où le veto peut être annulé par deux tiers de votes contraires.
Un arrêt des activités gouvernementales survient généralement lorsque le président et une, voire les deux chambres, n’arrivent pas à trouver un accord concernant les allocations budgétaires avant la fin du cycle budgétaire en cours.”
C’est ainsi que, confronté au refus des Démocrates, désormais majoritaires à la Chambre des Représentants US, d’approuver les dépenses nécessaires à la poursuite de la construction du mur entre les Etats-Unis et le Mexique, Trump a menacé publiquement les leaders démocrates d’un “government shutdown”.
Ce qui frappe dans cette séquence, c’est la brutalité verbale avec laquelle le président Trump traite la nouvelle présidente de la Chambre des Représentants US (the Speaker of the House), Nancy Pelosi, et le chef de l’opposition démocrate au Sénat US, Chuck Schumer. La courte vidéo est éloquente.
Le président Trump ne nous surprendra pas par sa brutalité habituelle mais plutôt par la manière dont elle s’exprime publiquement. Les leaders Démocrates sont appelés par leur prénom devant la caméra, ce qui me semble, même selon les standards américains, constituer un manque de respect face à leur fonction. Mais surtout, la théâtralisation de la séquence est extrême, ça ressemble diablement à une tentative d’humiliation publique des deux leaders Démocrates.
S’agit-il s’agit d’un développement psychiatrique nouveau ? C’est en tout cas sidérant. Tout le monde dans le Salon ovale a l’air consterné et embarrassé par une sorte “d’éléphant-bébé Trump” qui se comporte comme un caïd de cour de récré face aux intellos de la classe. Les leaders démocrates ont ce “sourire typique” de personnes qui assistent en fait, incrédules, premièrement à l’auto-humiliation publique, selon les normes de la common decency, d’un agresseur mais deuxièmement, à une attitude humiliante envers eux-mêmes, qu’ils peuvent avoir le luxe de s’abstenir de relever car l’humiliation la plus grande est subie par l’agresseur.
Pour donner une analogie, c’est équivalent à se faire traiter de “connard” en pleine rue par un inconnu : l’humiliation la plus grande est bien du côté de l’agresseur, et ce sont souvent des expressions gênées et pas des répliques qui s’expriment. “Cet agresseur est-il fou !?”
Pour des gens éduqués, Trump n’a même pas cette sorte de façade de dignité et de politesse qu’ont certains criminels en col blanc. Mais pour ses électeurs, peut-être cela apparaît-il comme la parfaite incarnation de leur rancoeur et de leur hargne brutale ? L’expression d’une certaine impossibilité de verbaliser les émotions, de passer par la parole et pas par le passage à l’acte ?
En tout cas, on sait déjà historiquement que la brutalité n’est pas la meilleure manière de gouverner des mandataires politiques et des fonctionnaires qui ont l’honneur, l’orgueil et la dignité de citoyens libres… Paul Jorion a fait référence à l’éthologie des grands singes, et parlé des groupes de chimpanzés qui présentent grosso modo deux profils différents de mâles dominants : des « diplomates » ou des « tyrans ». Il nous a expliqué leur proportion respective (la plupart sont des “diplomates”) et leur succès respectif dans la “direction” du groupe de singes (la tyrannie n’est pas le plus stable des systèmes). Et le sort qui peut attendre les mâles tyranniques dans un environnement chaotique est aussi instructif.
On retrouve donc ici encore de la part de Trump une transgression qui dépasse le respect dû même entre dominants et dominés (tout est relatif ici), dans une société hiérarchisée, c’est la common decency à nouveau qui est enfreinte.
Or n’y a-t-il pas tout de même dans l’inconscient collectif américain issus de colons en terre « sauvage », ce me semble, une idée que le président des Etats-Unis est lui aussi, un citoyen, primus inter pares, mais inter pares parmi les autres « colons ». Et un grand respect pour la fonction qui « anoblit » (“Mister President”, ou “Madame Speaker”, et pas « Nancy »)…
On m’a appris qu’à l’apogée de la République romaine antique, un citoyen romain condamné à mort par le pouvoir était mieux traité que ça, selon une certaine perspective de l’honneur, de la dignité… On lui disait par exemple « vous êtes condamné à mort, voici un glaive, nous vous laissons seul dans cette pièce ». Est-ce qu’à bord des navires de ligne de la Royal Navy britannique, le capitaine ne s’adressait pas à ses marins en faisant précéder leur nom de “Monsieur” ? J’ai aussi un excellent souvenir de professeurs d’universités qui nous appelaient “Monsieur + Nom de famille”, nous jeunes étudiants et qui nous vouvoyaient. Appeler même un jeune étudiant “Monsieur”, c’est indiquer en lui le citoyen actuel ou en devenir. Dans l’espace public, nous sommes des “Madames” et des “Messieurs”, nous sommes des citoyens avec le titre qui va avec.
Cette transgression permanente, cette humiliation permanente des pairs citoyens et politiques est le propre des pires dictateurs (Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein, etc.). Elle ne peut que générer une résistance intérieure dans un démocratie, donc dans la fonction publique américaine, comme on l’a entendu à plusieurs reprises.
Dans le même ordre d’idée, fallait-il que le Président Macron tutoie de jeunes étudiants ou lycéens qui l’apostrophaient, certes justement en le tutoyant ? L’élégance française est-elle ici respectée ? Mais quelle opportunité perdue de restaurer la dignité de la fonction ! Est-ce qu’un Mitterrand, indépendamment du fait qu’on l’apprécie ou non, serait tombé comme ça dans ce piège ? Il aurait dit peut-être « Monsieur l’étudiant, je vous prie de bien vouloir ne pas me tutoyer s’il vous plait », restaurant ainsi la dignité de sa fonction et l’esprit d’élégance français.
Le tutoiement immédiat et généralisé, la brutalité trumpesque qui se répand en politique et dans la société, sont-ce uniquement des mots ? Ou bien les mots et les formes du discours reflètent une sémantique d’importance politique ? Une sémantique qui tend à retirer à la dignité humaine commune du citoyen, à l’honneur et à la dignité d’une fonction politique, à créer une promiscuité irrespectueuse des territoires vitaux de chacun, des territoires des esprits et des corps, et à normaliser progressivement la transgression de ces esprits et de ces corps, et au final la brutalité dans les rapports sociaux et politiques ?
D’abord la brutalité des mots, et puis celle des actes ?
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