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Si un authentique processus d’effondrement devait être en cours, et si l’on voulait se donner les outils pour le contrôler (à la fois le « monitorer » et le maîtriser), il serait essentiel de distinguer les événements qui participent à proprement parler de cet effondrement (« pathologiques »), de ceux qui se situent toujours à l’intérieur de la perpétuation de nos formes d’organisation (« normaux »), même lorsque celles-ci sont en crise profonde (périodes pré-révolutionnaires ou révolutionnaires).
Le bon fonctionnement de nos systèmes politiques nécessite que les contrepouvoirs interviennent à point nommé dans les fonctions qui leur ont été prévues (explicitement ou implicitement), en tant qu’organes de contestation canalisée et comme remparts précisément contre des contestations qui déboucheraient sur un effondrement.
En conséquence, dans un climat de cyber-guerre généralisée, afin de provoquer le plus de dégât, l’ennemi a intérêt à concentrer ses coups non pas sur les pouvoirs, mais sur les contre-pouvoirs, dont la presse constitue un exemple crucial.
De nombreux articles s’intéressent ces jours-ci aux attaques contre les journalistes et à la genèse de la notion de « post-vérité » dont l’implication est qu’il n’existe pas de « fait » en tant que tel. La légitimation de la notion de « post-vérité » constitue sans aucun doute le moyen le plus efficace de neutraliser entièrement la presse en suggérant que rien ne permet de distinguer le travail des journalistes de toute (autre) entreprise de propagande.
Un article du Washington Post en date du 10 décembre : Agents of doubt. How a powerful Russian propaganda machine chips away at Western notions of truth, par Joby Warrick et Anton Troianovski, rapporte ainsi que lorsque tourna mal la tentative de meurtre du transfuge Sergei Skripal, la machine de propagande russe ne se contenta pas – comme il aurait été d’usage autrefois – de contrer la version officielle britannique (un assassinat perpétré par des agents appartenant aux services secrets) en propageant un récit alternatif unique, proche de la version gouvernementale officielle, mais répandit par une multitude de canaux (traditionnels et réseaux sociaux), en ensemble d’explications concurrentes, sans souci de cohérence entre elles, mais plutôt pour suggérer, dans une image d’ensemble, l’impossibilité de savoir ce qu’il en était vraiment. Les journalistes du Washington Post affirment avoir découvert à propos de l’affaire Skrypal, 46 « histoires » (storylines) distinctes diffusées par la machine de propagande russe. En matière de désinformation, la bombe à fragmentation aurait ainsi remplacé la bombe de type classique.
En conclusion, le collapsologue appliqué concentrera son regard sur les contrepouvoirs et leur capacité à continuer de remplir leur rôle. Le capacité de la presse à justifier son rôle de contrepouvoir dépendra de sa capacité à relégitimer dans les mois qui viennent la notion de « fait ».
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