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N’est-il pas paradoxal, pour ne pas dire inquiétant, qu’à quatre mois du Brexit (le 29 mars 2019), tous les scénarios demeurent encore possibles ? Du divorce par consentement mutuel dans des termes apaisés, à la séparation brutale du Royaume-Uni et de l’Union européenne dans la zizanie et le chaos, en passant par un second référendum appelant les citoyens britanniques à se prononcer sur la même question qu’en octobre 2016, en ayant cependant cette fois une représentation plus claire – et quelque peu cauchemardesque – de ce qui se passerait en cas d’échec ou même de divorce réussi.
Plus inquiétant encore le fait que – selon les sondages – dans un grand nombre de pays membres de l’Union européenne, si les populations étaient consultées aujourd’hui par référendum, elles voteraient pour un -exit à leur façon : Italexit, Frexit, et ainsi de suite.
Il serait simpliste – et désormais irresponsable – d’évoquer un pont aux ânes : des populations insuffisamment éduquées pour comprendre la grandeur du projet européen ou, dans un semblant de mea culpa de la part des autorités, que leur effort d’explication est insuffisamment didactique quand ils expliquent à des sujets récalcitrants une aventure en réalité exaltante.
Allons plutôt droit au but : qu’est-ce qui, dans l’intégration européenne, fait si peur à une part significative des Européens ? La réponse n’est pas difficile à trouver puisqu’elle est inscrite partout comme graffiti sur les murs, est affichée sur des pages Facebook ou est diffusée sous forme de tweets : c’est l’immigration, laquelle vient au premier rang des préoccupations des Européens et constitue leur principal motif de rejet de l’intégration européenne telle qu’elle se conçoit aujourd’hui. Et un rejet plus marqué encore d’une intégration plus poussée prônée par des Europhiles enthousiastes.
Bien sûr, les représentations du monde musulmane et chrétienne (ou l’empreinte persistante du christianisme là où les églises ont été désertées) ne font pas bon ménage, mais ce n’est pas de cela essentiellement qu’il s’agit quand il est question d’immigration au sein-même de l’Europe. L’immigration anxiogène, c’est, de manière générale, celle qui (réelle ou fantasmée) permet à de nouveaux concurrents prêts à se satisfaire de salaires de misère, de venir rivaliser avec les salariés locaux sur un marché de l’emploi déjà déprimé.
« It’s the economy, stupid ! », soulignait Bill Clinton en campagne : « c’est de l’économie qu’il s’agit, imbécile ! », et il faudrait dire ici, à propos du rejet de l’Union européenne dans certains nations : « C’est du marché de l’emploi qu’il s’agit, imbécile ! »
Si nos dirigeants veulent éloigner le spectre du populisme, de ses gilets jaunes et autres soulèvements spontanés de populations en colère que l’on appelait autrefois « jacqueries », il leur faut impérativement tenir compte désormais de ceci : le rejet de l’intégration européenne par de nombreux Européens résulte de l’incapacité des gouvernements à prendre à bras le corps la question du travail qui disparaît parce qu’il recule devant la montée de l’automation (dont l’Intelligence Artificielle ne constitue encore qu’une part infime, même si c’est la plus spectaculaire) et l’inquiétude qui grandit dans les populations devant la carence qu’elles constatent dans le traitement de cette question : par une réduction du temps de travail arrivant bien trop tard, plutôt que par une transition vers une dissociation du travail et des revenus devenue inéluctable.
Il ne s’agit plus d’ajouter une couche de « social », comme on passe une couche de vernis, à une Europe qui s’est satisfaite jusqu’à présent de mettre en place un marché satisfaisant les marchands, mais peu de monde à part eux précisément, car le contexte global est celui d’une véritable et tragique éradication des classes moyennes. Il ne s’agit pas de compléter par de l’assistanat visant les plus démunis, une Europe satisfaisant les souhaits des plus nantis, mais de mettre d’abord à plat et de résoudre ensuite la question du salariat en voie de disparition et pour cela mettre à l’ordre du jour pour de bon les questions de fond que sont la taxe-robot (proposition faite par moi en 2012 sous le nom de « taxe Sismondi »), le revenu universel de base et la gratuité pour l’indispensable.
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