Retranscription de « Seulement nous ! » ou « Nous, tous ensemble ! » ?, le 31 octobre 2018. Merci à Cyril Touboulic ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le mercredi 31 octobre 2018, et voilà plusieurs semaines que je contemple l’actualité autour de moi (au niveau national, international), et que je me pose la question de comment rendre compte de l’ensemble des choses qu’on voit et qui semble partir dans toutes les directions. Comment rendre compte à la fois de la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen, les élections au Brésil, M. Trump et la manière dont il essaie de gérer un massacre à Pittsburgh dans une synagogue, et ainsi de suite ? Comment envisager tout ça ?
Et la perspective qui m’est venue à l’esprit à l’instant, c’est par rapport à un mécanisme global de notre espèce par rapport à la densité, par rapport au nombre que nous représentons. Parce qu’il y a la chose suivante dans certaines espèces – espèces animales -, il y a des mécanismes de la fécondité qui sont liés à la densité. Il y a le fait que, quand une espèce devient nombreuse, très dense à un endroit, elle cesse de se reproduire, ou alors se reproduit en toute petite quantité, alors que quand elle se trouve dans un espace où elle pourrait encore se développer, elle se développe au maximum. Par exemple, on le voit pour certains poissons, que le nombre des œufs qu’ils pondent dépend énormément de la quantité d’autres individus de cette espèce qui se trouve autour d’eux.
Et nous n’avons, nous mammifères, hommes en particulier, nous n’avons pas cette capacité : il n’y a pas ce mécanisme naturel qui intervient chez nous. Il y a peut-être des choses qu’on voit en arrière-plan, comme par exemple la mauvaise qualité du sperme et des choses comme ça, qui sont peut-être de cet ordre-là, qui sont peut-être en train de se produire, mais nous n’en avons pas véritablement conscience et, en tout cas, le fait n’est pas avéré.
Alors, que se passe-t-il quand nous sommes trop nombreux ? Eh bien, nous provoquons des guerres qui ont le résultat de diminuer, de manière considérable, des parties de la population. Par exemple, si on pense à la guerre de 14, qui a conduit à des massacres très, très nombreux. De notre côté, en tout cas, sur notre partie de la carte, ce sont essentiellement des jeunes hommes en âge de se reproduire qui ont été éliminés en grande quantité, parfois 100.000 à la fois dans une seule journée.
Quand j’essaie de regarder cette question de populisme, d’ultra-libéralisme, les gouvernements qui se disputent, [quand] je regarde les questions qu’on me pose – je viens de regarder la liste des conférences que j’allais faire et on en pose pas mal sur, voilà, Se débarrasser du capitalisme, est-ce que c’est nécessaire ?, on me pose des questions évidemment sur mes livres du genre Le dernier qui s’en va éteint la lumière et Défense et illustration du genre humain, livres où je parle justement de l’avenir de l’humanité – et quand je regarde tout ça, eh bien, je vois qu’il y a (et je vais donner cela comme titre à mon exposé) le choix entre le nous tous et le seulement nous.
Quand certains de mes amis prônent le protectionnisme, le souverainisme, ce sont des solutions du type seulement nous, ce sont des tentatives de continuer à vivre dans des cadres plus ou moins survivalistes, en disant : « Notre petit groupe s’en sortira peut-être. » C’est une réflexion qui avait déjà été faite par Saint-Just pendant la Révolution, que nous avons une tendance assez naturelle dans notre espèce à nous traiter entre nous comme les espèces se traitent entre elles, c’est-à-dire par une guerre généralisée entre espèces, et nous avons une tendance, à l’intérieur même de notre espèce animale, à essayer de reproduire cela, c’est-à-dire notre groupe contre les autres. Et donc, on se trouve, je dirais au-delà de ces questions d’ultra-libéralisme, socialisme, populismes divers, de droite et de gauche, je crois qu’on se trouve devant deux types de solution.
Face à des pressions énormes sur notre environnement, qui sont liées au fait que nous sommes nombreux et que nous atteignons comme espèce les limites, ce que le biologiste appelle la capacité de charge d’une espèce rapport à son environnement – cette capacité qu’une espèce a à vivre ou non à l’intérieur de son environnement, avec le nombre de représentants, d’individus qui est celui actuel – nous nous retrouvons dans une situation où deux types de solution se proposent : ou bien nous résolvons les problèmes à l’échelle de l’espèce, ou bien nous essayons de les résoudre à l’échelle de nous, comme un petit groupe, un sous-groupe à l’intérieur de cela, en se disant : « Nous allons nous en sortir, il faudra peut-être se débarrasser des autres, mais c’est le prix à payer pour notre survie à nous ! »
Alors, que répondre à cela ? Que les problèmes qui se posent à nous, si on les pose en tant qu’espèce, par rapport à la capacité de charge de l’environnement, par rapport à notre espèce, il devrait être absolument clair à tout le monde que ce sont des problèmes qu’on ne peut plus résoudre qu’en parlant du nous global, c’est-à-dire de l’ensemble de ce que nous représentons, parce que les problèmes d’environnement ne pourront pas… l’utilisation exagérée de l’environnement autour de nous en terme de ressources, ce sont des problèmes que nous ne pourrons pas résoudre certainement en tant que petits groupes, sauf à imaginer que notre petit groupe l’emportera sur tous les autres et que nous arriverons dans une sorte de Fort Chabrol à survivre au milieu du chaos généralisé.
C’est le même rêve, c’est la même fantasmagorie survivaliste des gens les plus riches parmi nous qui se créent des bunkers au milieu d’un désert quelconque ou qui imaginent qu’ils vont pouvoir survivre en Nouvelle-Zélande ou sur des îles du Pacifique. C’est cette illusion que « notre petit groupe pourra s’en sortir tout seul », alors que, à mon sens, il n’y a qu’une seule possibilité maintenant, dans l’état où nous nous trouvons, c’est de résoudre le problème au niveau de l’espèce. Et pas seulement de l’espèce – de la nôtre, mais de toutes les espèces que nous avons mises dans une sorte de dépendance par rapport à la nôtre, en raison de l’hégémonie qu’est devenue celle de notre espèce par rapport à l’environnement dans son ensemble, de toutes les autres espèce qui dépendent de nous : que le nombre de vaches dépend essentiellement de ce que nous pouvons faire avec des vaches, que le nombre de chevaux dépend juste de ce que nous pouvons faire avec des chevaux, et que les espèces qui ont réussi c’est essentiellement celles que nous utilisons, nous, autour de nous : que ce soit comme animaux de compagnie, comme des chiens ou des chats, ou des vaches que nous mangeons, ou des porcs que nous mangeons, et des choses de cet ordre-là.
Il n’y a malheureusement pas de choix si l’on réfléchit à la manière de résoudre le problème de l’humanité comme une espèce maintenant : il n’y a pas d’autre choix que d’envisager le « nous » le plus global et d’essayer de résoudre le problème à ce niveau-là. Parce que toutes les autres tentatives en terme de sous-groupes qui pourraient s’en sortir d’une manière ou d’une autre aux dépens des autres – en se débarrassant des autres, ce sont des solutions qui ne donneront absolument rien : elles seront du même ordre justement que celles qui ont été utilisées dans les guerres que nous avons faites involontairement en 1914, en 1940, et ainsi de suite. Des tentatives, je dirais médiocres, de réguler le nombre d’êtres humains à la surface de la terre, et en particulier s’attaquer toujours aux classes qui sont les classes les plus reproductives : celles qui justement vont déterminer le nombre d’êtres humains qui viendra ensuite.
Je me demande s’il ne faut pas prendre le problème à ce niveau-là, l’envisager vraiment à ce niveau-là : est-ce que nous choisissons maintenant des solutions qui valent pour l’ensemble de l’espèce en se mettant tous ensemble ? Ou est-ce que nous laissons avoir lieu cette dérive que nous voyons autour de nous, des populismes, des nationalismes, des souverainismes, c’est-à-dire cette illusion qu’un groupe isolé pourra l’emporter face à l’ensemble des autres ? On a vu ça au cinéma, c’est le deuxième Mad Max (1981), celui des petits groupes qui se disputent des citernes qui contiennent encore un petit peu de pétrole ou de carburant qu’on pourra utiliser pour notre propre survie, et on a des petits groupes qui se disputent pour ça. Ou alors, dans le cadre du roman et du très beau film aussi qui s’appelle The Road (2009), quelques bandes constituées de dizaines de personnes au maximum ou bien de familles isolées qui essayent de s’en tirer. Ce survivalisme de tout petits groupes, il est condamné d’avance. Il y a encore une petite chance pour les solutions globales, pour le fait qu’on se mette d’accord tous ensemble pour essayer de sauver l’espèce, parce que nous avons besoin de mettre TOUTES nos ressources ensemble si nous voulons nous en tirer.
Voilà, une petite réflexion, je dirais de type « méta-« , essayer de mettre au-dessus de ce que je vois des débats politiques en ce moment : populisme, ultralibéralisme ou peut-être refaire apparaître du socialisme. En fait, tout ça se résume à : « Seulement nous » ou bien « Nous, tous ensemble ».
Voilà, allez, à bientôt.
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