Retranscription de Une belle panade ! Juin 1914 ou avril 1940 ?, le 26 octobre 2018. Merci à Eric Muller !
Bonjour, nous sommes le vendredi 26 octobre 2018, et ma vidéo sera intitulée : « Une belle panade ! »
Nous sommes dans une belle panade, à la fois sur le plan international, à la fois aussi à l’intérieur de pays en particulier, comme les États-Unis et le Brésil, et je dirai quand même un mot, à la fin, de la France et de la Belgique.
Sur le plan international, vous le savez, les alliances géopolitiques sont mises à mal par un meurtre, – un meurtre apparemment horrible – ayant eu lieu au consulat d’Arabie saoudite en Turquie, à Istanbul. La Turquie et l’Arabie saoudite sont dans des camps opposés dans les guerres qui déchirent le Moyen-Orient – guerre sur le terrain et guerres larvée. L’Occident est plutôt du côté de l’Arabie saoudite et contre la Turquie – encore que la Turquie fasse partie de l’OTAN, ce qui ne facilite pas les choses. Il y a là une poudrière. Les pays occidentaux ne savent pas sur quel pied danser par rapport à l’horreur qui a eu lieu, et tout ça se situe dans un cadre où un ensemble de pays sont en train de tomber dans le fascisme, ou sont dans un état de proto-fascisme et prêts à tomber dans le fascisme de type assez classique. En Europe : Hongrie et Pologne, des gens d’extrême-droite au gouvernement en Autriche, le risque, au Brésil, d’avoir un président qui est à la fois un fasciste et un ultralibéral, ce qui ne va pas arranger les choses ! Nous devons, bien entendu, essayer de garder ce qu’il reste de la forêt d’Amazonie, et ce monsieur va la mettre à l’encan, s’il a le pouvoir de le faire.
Aux États-Unis, nous sommes avec un pays où un proto-fasciste est président de la république fédérale des États-Unis. Des élections ont lieu le 6 novembre – ce qui est bientôt – aux États-Unis, et les deux camps sont montés l’un contre l’autre, dans un état de polarisation qu’on n’a sans doute pas vu aux États-Unis depuis la veille de ce que, eux, appellent la « Guerre civile » – parce que c’est une guerre civile – et que nous appelons « la Guerre de sécession », deux camps estimant qu’ils sont dans un état de légitime défense, parce qu’ils se considèrent comme physiquement menacés par l’autre. M. Trump est arrivé à convaincre ses troupes que la gauche veut l’exterminer, et que les attitudes insurrectionnelles sont justifiées – pour des gens en général porteur d’armes, les partisans de Trump – en raison de la menace physique que la gauche représente vis-à-vis d’eux. Ces gens sont convaincus que la gauche cherche à les exterminer. Un certain nombre de conservateurs ont réagi aux colis piégés qui ont été envoyés à des personnalités de gauche – dix jusqu’ici [ce sera 14 au total] – en disant : « Ce ne sont pas des méthodes à nous. C’est la preuve qu’il s’agit d’opérations faux pavillon, d’opérations lancées par la gauche contre elle-même, pour faire croire qu’elle est menacée ! »
J’avais réagi, sur un mode, je dirais, rigolard, à la nouvelle de ces colis piégés en inventant un faux message complotiste qui parlait, justement, de faux pavillon. La presse américaine attire l’attention sur le fait que, [ont] repris ce thème du faux pavillon, non seulement les représentants les plus biscornus de la fachosphère habituelle, mais aussi des personnalités de droite classique, de ce qu’on avait pris l’habitude d’appeler la « droite civilisée ». La « droite civilisée » aux États-Unis, ça n’existe plus : elle est en train de perdre toute civilisation : elle est en train de rejoindre massivement le camp de l’extrême-droite.
Ce sont des situations qu’on a connues en Europe. Sommes-nous en juin 1914 ou en avril 1940 ? La question se pose. Vous le savez, au moment où éclate la première guerre mondiale et la seconde guerre mondiale, les alliances ne sont pas très clairement écrites sur le terrain. Les alliances qui se manifesteront sont des choses, je dirais, un petit peu d’après-coup. Au moment même, on choisit son camp en fonction d’impondérables, au niveau du terrain. Je ne veux pas dire qu’il n’y avait pas deux grands camps, deux grands axes, mais les alliances effectives se font à la dernière minute. Et vous le savez, dans le cas de la guerre de 40… La guerre de 40 éclate avec les États-Unis non impliqués, et avec l’Union Soviétique ayant passé un accord avec l’Allemagne nazie. Et les choses se reconfigurent – il faut attendre un an pour les États-Unis, je ne sais plus exactement combien il faut attendre pour l’alliance entre la Russie… l’URSS et l’Allemagne – mais tout ça ne se fait pas de manière instantanée. [La pacte germano-soviétique « Molotov-Ribbentrop » sera dénoncé le 22 juin 1941. Le 8 décembre 1941 les États-Unis déclarent la guerre au Japon ; le 11 décembre, en application du pacte tripartite, l’Allemagne et l’Italie déclarent la guerre aux États-Unis.] Ce serait la même chose, à mon avis, si la guerre éclatait dans les jours qui viennent – ce qui ne semble pas entièrement impossible.
Nous sommes face a des problèmes d’une telle complication, d’une telle complexité, les mesures qui seraient nécessaires demanderaient une telle coordination qu’il est toujours beaucoup plus tentant pour l’espèce humaine, dans ce cas-là, de simplifier la donne, simplifier la donne par une « bonne guerre » qui exige une destruction d’être humain considérable, donc fait baisser la pression démographique, et exige de longues périodes de reconstruction pendant lesquelles tout va bien. Le Produit Intérieur Brut est en excellente santé dans les périodes de reconstruction, au point que nous avons appelé cela nous-mêmes « les trente glorieuses ». Nous reconstruisons, et l’Amérique, dans un cadre de géopolitique, d’alliances en train de se reconstituer, fait des dons considérables – le plan Marshall – qui permettent que tout aille bien.
Alors, tout cela est loin derrière nous, et nous nous retrouvons dans des situations extrêmement difficiles, avec des régimes fascistes, proto-fascistes, des affrontements stériles entre les partisans du statu quo, voilà, de ce qu’on faisait avant – c’est-à-dire essentiellement le « pouvoir de la banque » – et en face de ça, des populistes qui, en général, n’ont que des idées assez fantaisistes sur ce qu’il faudrait faire, et sont toujours tentés par les solutions autoritaires pour mettre en place des solutions qui sont fondées sur de mauvaises analyses. Et avec, bien entendu, des circonstances atténuantes sur le fait que, les gens des oppositions populistes, on les a empêchés, pendant des années et des années, d’avoir accès à l’information correcte, et parfois, il y a tout un outil de propagande qui empêche qu’on ait les bonnes explications, comme, par exemple, ce qu’on appelle la « science » économique. Je précise toujours « science » entre guillemets puisqu’il s’agit d’un outil dogmatique et de propagande visant à nous expliquer que les choses sont autrement que la manière dont elles fonctionnent réellement.
Alors, je viens de parler des États-Unis, les choses ne sont pas nécessairement… un petit, voilà, un petit vent d’espoir en Belgique. J’ai fait un article, d’ailleurs, dans la revue Trends-Tendances en Belgique – article qui a paru hier – sur le fait que je félicite les électeurs belges aux élections communales – qui datent d’il y a quinze jours maintenant – d’avoir voté massivement pour Ecolo, mettant l’accent sur les questions écologiques, et pour un parti qui s’appelle Parti des travailleurs de Belgique [Parti du Travail de Belgique]. C’est un ancien parti communiste qui n’a pas encore, à mon avis, tiré toutes les leçons de la fin du communisme, et ce qu’on aurait pu tirer de l’échec du communisme soviétique, mais qui, en attirant l’attention sur la question du travail, fait un excellent boulot. Vous vous souvenez peut-être que j’ai fait une intervention sur la question du travail il y a un mois, dans le cadre d’un colloque organisé par le parti des travailleurs de Belgique dans une grande fiesta, une grande « fiesta » qu’ils avaient organisée. Donc félicitations aux électeurs belges, aussi du côté… Bon, ils ne se précipitent pas dans les solutions, des propositions nationalistes, identitaires, frileuses, etc. ils ont fait – à mon sens -, ils ont signalé une bonne chose, un bon courant. Il faut signaler au passage, aussi, le fait que le Parti socialiste belge (sauf dans la partie flamande du pays) a bien résisté, parce que, à mon avis, bon, il y a là aussi, de ce côté-là, il y a là quelques bonnes idées, bien que il faille se méfier des partis « socialistes » qui, souvent, ont perdu tout sens de ce que le mot voulait dire au fil des années.
En France, la situation est tendue aussi. Elle n’est pas aussi polarisée – vous le voyez bien – qu’aux États-Unis, mais il y a aussi – et ça aussi on le voit – une très très grande méfiance entre, voilà, les partis, je dirais, conservateurs, de type « pouvoir de la banque », qui est considéré peut-être comme une solution de repli, où se trouvent aussi des gens, d’anciens socialistes qui ont perdu tout sens de ce que le mot socialisme voulait dire, et en face de ça, différents types de populisme, de droite, de gauche, ou pire que ça encore, d’un mélange entre les deux, avec tous les défauts que j’ai signalés tout à l’heure, de mauvaises explications, de repli identitaire, de tendance à se découvrir des boucs-émissaires – et quand ce ne sont pas les immigrants qui passaient par là, ce sont les journalistes.
Attention ! attention ! ce sont les régimes fascistes, proto-fascistes et autres de ce type-là, qui s’en sont toujours pris aux journalistes ! Messieurs, Dames, qui vous affirmez « de gauche », ne faites absolument jamais ça ! vous vous mettez automatiquement au rang des oppositions d’extrême-droite ! Faites machine-arrière, si vous le pouvez encore !
Alors, tout cela n’est pas… vous allez me dire : « Tout cela n’est pas optimiste ! » Bien entendu, tout cela n’est pas optimiste ! Si j’appelle ça « panade », c’est à juste titre.
Qu’est-ce qu’il y a comme positif ? Il y a ! Il y a une prise de conscience qui est en train d’avoir lieu – en dehors de tout ça, en dehors de ces cadres-là – sur le fait qu’il faudrait quand même essayer de sauver notre espèce à la surface de notre planète.
Alors, c’est encore très très minoritaire, il y a des évolutions qui ont lieu. Je vais essayer, tout à l’heure, de mettre en ligne un courrier qu’on m’a envoyé qui me paraît très très intéressant dans ce sens-là. Il y a cette « rébellion contre l’extinction » – j’espère que ça va démarrer – mais, bien entendu, il y a des cadres politiques locaux, il y a encore des religions qui donnent des cadres – qui sont des cadres fantasmagoriques qui ne permettent pas aux gens d’avoir une approche lucide des problèmes qui se posent. Et puis, il y a ce que Pierre-Henri Castel dénonce dans son livre sur le mal, c’est la tentation de la solution du pire, voilà, c’est le fait de se dire : « Maintenant, comme tout est en train de se déglinguer, on se partage uniquement le butin de ce qu’il reste ! », attitude que l’on voit malheureusement – et on espérerait mieux de ce côté-là – on la voit dans le milieu des affaires où au lieu de réagir dans la bonne direction : essayer de préserver ce qui reste, on se dit « On va se partager entre nous le butin qui reste, et après nous le déluge ! », avec des petites solutions au niveau familial, survivalistes, sur des iles en Polynésie, en Nouvelle-Zélande, des bunkers dans l’Idaho et je ne sais quoi encore, une solution qui permettrait à ces braves gens de vivre encore deux ou trois ans de plus que nous – qui aurions été éliminés par la lame de fond.
Que faut-il faire ? Il faut se rebeller. Il faut se mettre tous ensemble. Il faut dire que ça ne doit pas se passer de cette manière-là. C’est du « quitte ou double », « ça passe ou ça casse » pour l’espèce, maintenant ! Il faut s’organiser ! Mais malheureusement, les dérives identitaires, complotistes, survivalistes et autres nous poussent dans une très très mauvaise direction. Une très mauvaise direction ! Est-ce qu’on n’y arrivera ? On va voir, mais il faut essayer. Il faut essayer, et sans se dire que c’est simplement un baroud d’honneur, que c’est simplement « pour la gloire », que c’est simplement l’amour des causes perdues. C’est important. C’est important aux yeux de… pas aux yeux du monde ou de l’univers, mais aux yeux de ceux qui viendront après, et de nos propres enfants, de nos petits-enfants qui sont là. Il faut quand même qu’on leur montre, eh bien, qu’on y tient, qu’on y tient à notre planète et à nous-mêmes. Je me promenais l’autre jour au bord de l’eau, et je me disais, voilà : « Est-ce que je fais partie des derniers à regarder ça avec émotion ? » … Émotion…
Voilà. Alors j’aimerais bien que, contrairement à ce que pense Pierre-Henri Castel, que dans trois cents ans, il y ait encore des gens qui aient la même émotion devant ces paysages, avec des oiseaux et d’autres petits animaux, et nous qui nous promenons, avec nos chiens.
Voilà. Allez, à bientôt.
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…