Kanye West à la Maison-Blanche, le 14 octobre 2018 – Retranscription

Retranscription de Kanye West à la Maison-Blanche, le 14 octobre 2018. Merci à Éric Muller !

Bonjour, nous sommes le 14 octobre 2018, et si vous me connaissez essentiellement par les livres que j’écris, dont le dernier s’appelle Défense et illustration du genre humain, le précédent s’appelait Se débarrasser du capitalisme est une question de survie, un autre livre avant s’appelait Le dernier qui s’en va éteint la lumière, vous serez surpris si je vous dis que mes deux prochaines vidéos, dont celle-ci, seront consacrées à M. Kanye West, le rappeur, et à Mme Taylor Swift qui est une chanteuse de variété américaine. Si vous êtes familiers de mon blog et de mes vidéos, vous serez moins surpris parce que je parle souvent de variété, et en particulier de la chanson américaine sous sa forme du style dit Country & Western et de manière générale de la Folksong, la chanson populaire, dont une des variétés, la Protest song, la chanson de protestation. Mais si je vous parle de ces deux personnalités du monde de l’entertainment, du divertissement, c’est essentiellement en rapport avec l’actualité de M. Donald Trump, président des États-Unis.

Que s’est-il passé ? Il y a deux jours, M. Kanye West a été invité à la Maison-Blanche et, pendant une vingtaine de minutes, il a eu un dialogue avec Donald Trump. Si je parle de dialogue, en fait, c’était un monologue de ce rappeur bien connu, personnalité qui a bien réussi dans son domaine, qui est à la tête d’une compagnie qui fait des millions de dollars. C’est quelqu’un qui ne vient pas de nulle part : ses parents sont des personnalités aussi à leur manière. Son père était un Black Panther – les Black Panthers, vous le savez sans doute, c’était un mouvement révolutionnaire, dans les années 60 aux États-Unis, qui essayait d’intervenir au niveau de ce qui restait de la ségrégation raciale et des autres types de disparité vis-à-vis de la communauté d’origine africaine, cette part de la population américaine qui est venue essentiellement par le trafic d’esclaves au cours de quelques siècles, et dont la déségrégation a conduit à des événements absolument dramatiques dans l’histoire des États-Unis, en particulier une guerre civile au 19ème siècle qui a produit plusieurs millions de morts [P.J. : c’est une erreur : le chiffre officiel pour la Guerre de sécession est de 620.000 morts].

Alors, qu’a dit ce M. Kanye West ? Il a tenu des propos dont il serait tentant de dire qu’il s’agissait d’un simple délire, qu’il s’agissait d’un radotage – le terme américain qui est utilisé par pas mal de journalistes, c’est rant. Par ailleurs, d’autres commentateurs, des commentateurs conservateurs, ont dit qu’on avait employé ces termes, qui relève de la psychiatrie, de la maladie mentale, uniquement parce que c’était un artiste qui était en faveur de M. Trump. Il est vrai que Kanye West est une des très très rares personnalités du monde du spectacle à tenir des propos enthousiastes à l’égard de M. Trump. Mais il est vrai qu’on a pu être déconcerté par le discours tenu par ce monsieur. Il a tenu un discours qui n’est pas inattendu d’une personne, je dirais, qui est très émotionnelle, très, je dirais, motivée par l’affect, quelqu’un qui en a gros sur le cœur. Les questions qui étaient débattues en principe, qui avaient justifié la réunion, c’était l’attitude des États-Unis vis-à-vis de la population noire en terme d’incarcération – vous savez qu’il y a beaucoup plus, proportionnellement parmi les Afro-américains, beaucoup plus de gens qui sont en prison ; les Afro-américains sont beaucoup plus pauvres que la population en général; quand on parle de food stamps, c’est-à-dire de ces coupons qui permettent d’acheter de la nourriture dans les magasins, une très grande partie des gens qui obtiennent ces coupons sont d’origine africaine, qui viennent de la population africaine, et ainsi de suite. M. Kanye West a tenu quelques propos à ce sujet, mais par ailleurs, il a surtout tenu un discours qui a frappé quand même par son incohérence – je crois qu’on peut dire ça sans affirmation partisane, sans s’affirmer, je dirais, pour M. Trump ou contre. Il est frappant qu’il y avait énormément d’incohérences, qu’il a dit énormément de coq-à-l’âne, il est passé d’un sujet à l’autre avec rapidité. Et là, c’est une chose qu’on peut observer en particulier parmi les personnes qui n’ont pas de formation particulière dans la parole en public. Il faut apprendre effectivement à parler d’une certaine manière si l’on veut convaincre. Il faut placer son discours sous la forme d’une démonstration pour qu’elle soit véritablement convaincante vis-à-vis d’autres. Sinon ça peut apparaître, effectivement, comme un discours incohérent.

M. Kanye West a fait allusion au fait qu’il a été diagnostiqué, à une époque, comme étant bipolaire – comme on dit maintenant. On appelait ça autrefois « maniaco-dépressif » -, il a attribué ce diagnostic à une erreur de jugement, en disant qu’en fait, il avait été épuisé mentalement à cette époque, qu’il avait trop travaillé, il n’avait pas assez dormi… Malheureusement, son discours révèle, je dirais, des symptômes, des symptômes de ce diagnostic : ce n’est pas par hasard qu’on le lui a appliqué. Et la chose ne date pas d’aujourd’hui, parce qu’il a effectivement été traité en hôpital psychiatrique, il y a deux ans, à une époque où on a considéré qu’il tenait des propos absolument délirants et qu’il devait être traité. Par ailleurs, on sait que c’est une personne qui a eu des problèmes d’addiction aux opioïdes, donc aux substances de type morphine.

Alors, qu’a-t-il dit, je dirais, d’abord, de cohérent ? Il a défendu sa communauté, il a tenu des propos qui sont intéressants dans le sens où il n’a pas véritablement encensé M. Trump. Il a tenu un discours très intéressant en disant : « C’est le président qu’on a, et si nous voulons véritablement prendre au sérieux son slogan « Make America Great Again » (Faites à nouveau des États-Unis quelque chose de grand), eh bien il faut faire avec le président qu’on a, et le soutenir, et faire en sorte qu’il devienne un bon président et que l’on puisse véritablement s’identifier à ce slogan ». Et ce slogan, il a dit… Il a montré une casquette qu’il a fait faire customised, fait faire spécialement avec ce slogan, et il a dit « Pour moi, c’est une sorte de cape de Superman. Ça me donne des ailes, ça me donne du pouvoir de m’identifier à cela ! »

Alors ça, je dirais, c’est la partie cohérente, si l’on veut, de son discours. Par ailleurs, il a tenu des propos d’extrême-droite de type absolument classique. Et en particulier, il demande la suppression du vingt-troisième amendement de la constitution américaine [erratum  : treizième amendement] qui est celui, précisément, qui avait annoncé l’abandon de l’esclavage, ce qui est quand même paradoxal de la part d’une personnalité de la communauté afro-américaine.

Mais il a tenu par ailleurs des propos qu’on peut juger véritablement incohérents. En particulier, il a parlé de sa femme Kim Kardashian, qui est une personnalité du monde de la télé-réalité, qui est une personne dont on dit qu’elle est « célèbre pour être célèbre », c’est-à-dire qu’on fait allusion au fait de son charisme, de cette qualité particulière qui est celle de personnes dont on n’explique pas nécessairement leur célébrité autrement que par le fait qu’elles sont effectivement célèbres. Un certain pouvoir, quelque chose qui rayonne de la part d’une personne. Il y a une notion en comptabilité qui est à peu près du même ordre, c’est le goodwill, c’est la différence inexplicable entre la valeur actionnariale d’une compagnie sur les marchés boursiers et la valeur [économique] effective de l’entreprise.

Alors, par rapport, justement, à ce qu’avait pu dire sa femme Kim Kardashian à l’époque où elle avait rendu visite à la Maison-Blanche, c’est-à-dire où elle avait demandé une grâce présidentielle pour une personne (pour une femme noire qui s’est trouvée très très longtemps en prison pour des crimes essentiellement liés à la drogue), elle avait plaidé auprès de Trump pour que cette personne soit libérée (ce que Trump avait fait), mais il y avait là, je dirais, une plaidoirie de type cohérent. M. Kanye West a demandé, de la même manière, que l’on libère une personnalité du monde noir de Chicago, un certain Larry Hoover, qui est une personne qui est en prison avec six [peines] successives d’emprisonnement à vie, en justifiant uniquement à partir d’un argument très très curieux qui consiste à dire : « Je sais qu’il existe une théorie des mondes alternatifs, des mondes parallèles, et dans un autre monde, je serais M. Larry Hoover et lui serait moi, et à partir de là, il faudrait donc le gracier. »

C’est un argument… J’ai présenté à différentes époques (et vous trouverez même ça sur Wikipédia), une sorte de défense du principe d’interprétation de la physique quantique qui voudrait qu’existent peut-être des mondes parallèles, mais je n’utiliserais pas ce principe pour justifier le fait qu’il faille libérer une personne dont les crimes sont bien établis sous prétexte que, dans un monde parallèle, ça pourrait être moi ! Dans ce monde-ci, il existe un monde moral, qui a des règles morales, qui sont peut-être tout à fait différentes dans des mondes parallèles, mais qui ne justifient pas qu’on libère quelqu’un parce que « dans un monde parallèle, il pourrait être moi », personnellement, et que les choses s’expliqueraient de cette manière.

Par ailleurs, un autre ensemble d’arguments particulièrement incohérents : M. Kanye West a présenté l’image d’un avion, d’un avion futuriste, en disant qu’il serait beaucoup mieux pour l’image des États-Unis que M. Trump voyage dans cet avion-là plutôt que dans celui qu’il a en ce moment. Or les journalistes sont allés voir qu’est-ce que c’est que cette image : cette image, c’est une image effectivement de fiction, qui apparaît dans la thèse d’un ingénieur. Il ne s’agit pas du tout, comme le disait M. Kanye West, d’un avion à propulsion par l’hydrogène, il s’agissait simplement d’une représentation futuriste d’un avion. Ce M. Kanye West a donc fait un plaidoyer dont les Républicains retiendront essentiellement le fait qu’il était en faveur de M.Trump, et dont les Démocrates souligneront essentiellement, par ailleurs, qu’il s’agit d’une personne qui a des problèmes mentaux tout à fait manifestes, qu’il s’agit d’une personne qui devrait traiter d’abord, par priorité, ses problèmes de psychose, plutôt que d’essayer de donner des conseils sur la politique américaine.

Mais, j’ai regardé différentes tribunes libres, de gens de droite et de gauche, comme dans le cas de M. Brett Kavanaugh (récemment nommé à la Cour suprême), le clivage, la polarisation est absolument totale : on donnera raison à une personne ou à une autre simplement en fonction de où on se situe dans cette polarisation de la vie politique américaine. Les gens plutôt de gauche insisteront sur le fait qu’on a écouté pendant vingt minutes une personne qui a essentiellement des problèmes de santé mentale qui devraient être traités d’urgence, et de l’autre côté, on a des gens qui vous diront, du côté républicain, qu’il s’agissait là, simplement, d’un artiste persécuté parce qu’il est en faveur de M.Trump.

Comment est-ce que le public va juger cela ? Difficile à dire, mais j’ai le sentiment qu’une fois de plus, c’est en fonction d’aprioris, d’aprioris personnels de type psychologique, que la décision sera prise.

Alors, comme je vous l’ai dit, le cas de Mme Taylor Swift, je vais le traiter séparément.

En attendant, passez une bonne fin de dimanche, et à très bientôt.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta