Retranscription de Du rififi à la US Supreme Court !, le 21 septembre 2018. Merci à Eric Muller et Olivier Brouwer !
Bonjour, nous sommes le vendredi 21 septembre 2018 et vous êtes chez Paul. Vous êtes « Chez Paul », l’article d’origine, méfiez-vous des contrefaçons !
Aujourd’hui, je vais vous parler de quelque chose qui se déroule aux États-Unis depuis pas mal de temps, mais dont je n’ai encore absolument pas parlé dans le cadre de cette affaire Trump. C’est une nomination qui se fait à la Cour Suprême des États-Unis.
Alors pourquoi j’ai reculé devant le fait de vous en parler ? C’est parce que quand on parle de la Cour Suprême des États-Unis, il faut commencer par faire une longue explication, sans quoi on ne peut pas situer cette institution à l’intérieur du paysage, de l’histoire même des États-Unis. Alors je vais essayer d’aller vite. C’est des choses que j’ai déjà mentionnées à l’occasion, mais, voilà, je refais un résumé.
Il y a donc, comme dans tous les pays, une cour suprême, mais il y a quelque chose de très particulier aux États-Unis, c’est que dans l’histoire des États-Unis, cette Cour Suprême a toujours été un organe de droite – de droite dure – voire même, à certains moments, d’extrême-droite. Pourquoi ? C’est simplement à partir du processus de nomination : le Président propose un candidat ou une candidate, qui sera nommé à vie, et il y a un processus d’audition, et ensuite un vote – si j’ai bon souvenir, c’est au niveau du Sénat américain [correct] – de confirmation du candidat.
Et pourquoi est-ce que cette organisation est de droite ou d’extrême-droite ? C’est parce que, traditionnellement – et ça ne vous surprendra pas parce que ce n’est pas propre aux États-Unis – quand c’est un gouvernement plutôt de gauche qui est en place, la nomination se fait dans un cadre où le gouvernement – et les institutions autour – essayent d’en faire un processus le plus équitable possible, ce qui fait que passera un candidat qui lui-même est plus ou moins conservateur, plus ou moins de gauche ou plus ou moins de droite. Alors que, quand c’est un gouvernement de type Républicain conservateur, là, la fin veut les moyens, et on essaye de faire passer en force un candidat de droite où d’extrême-droite. Et donc, ça ne vous surprendra pas, parce que c’est à peu près pareil dans tous les pays : il y a un souci de l’éthique qui existe à gauche [et] qui n’existe absolument pas à droite. Pourquoi ? Parce que les milieux d’affaires sont très représentés, en général, dans la droite, et là, comme vous le savez, il y a toujours une prétention – qu’on appelle ça la « rationalité économique » ou autre chose – que l’éthique vient après les considérations de profit. Bon.
Alors, pourquoi est-ce qu’il y a un enjeu tout particulier ? Parce que il y a, en ce moment, un candidat qui est vetted, qui est en train d’être approuvé, à qui on pose des questions, qui est un certain M. Brett Michael Kavanaugh, un personnage extrêmement de droite et en particulier un défenseur de pouvoirs absolus au président des États-Unis, qui lui reconnaît assez facilement des pouvoirs assez dictatoriaux, en dehors des processus démocratiques. Donc, c’est le candidat dont M. Trump a besoin, tout particulièrement en ce moment, puisque, s’il était impeached, si il y avait un processus de récusation de lui, ce ne serait pas mal d’avoir une Cour Suprême vers laquelle on peut se tourner, et demander à être soutenu parce qu’on est le président, et qu’on a donc raison d’office.
Et jusqu’ici, ce processus de nomination – que les Républicains essayent de faire passer avant les élections du 6 novembre – se passait comme sur des roulettes : il n’y avait pas le moindre problème. Quand est apparu, il y a quelques jours, le fait qu’une certaine Mme Christine Blasey Ford, un professeur dans une université – une petite université liée à Stanford, en Californie – s’était ouverte à la sénatrice de Californie (Mme Dianne Feinstein) il y a déjà pas mal de temps, que ce monsieur Kavanaugh avait fait une tentative de viol sur elle, quand ils étaient très jeunes. Mme Feinstein a beaucoup réfléchi avant d’en parler – et elle en a parlé tout à fait récemment – et cette personne, cette Mme Christine Blasey Ford est apparue en pleine lumière, au point qu’on lui demande, lundi [désormais repoussé à jeudi 27], de venir témoigner aux réunions de confirmation de M.Kavanaugh.
Alors, c’est le branle-bas de combat. Il y avait déjà eu quelque chose de cet ordre-là autour de la Cour Suprême. C’était il y a pas mal d’années, quand une dame, Anita Hill avait mentionné le fait que, la personne, le juge qui allait être nommé – dont le nom ne me revient pas à l’instant [Clarence Thomas], mais que je mentionnerai par la suite * – l’avait harcelée sexuellement pendant un très très grand nombre d’années.
Alors, où en est-on ? Eh bien, on est dans un autre climat, le climat après #MeToo : une grande prise de conscience que des choses qu’il ne faut pas faire, qu’il faudrait mettre ça à l’avant-plan, et que souvent, si ces choses-là n’ont pas été mentionnées, c’est dans le climat d’intimidation culturel, social, qui fait que quelqu’un qui est victime, voilà, de tentatives de ce type (ou [a fortiori] d’acte réussi) se sent sali, et ne se sent pas de force d’aller rendre cela public d’une manière ou d’une d’autre, en allant à la police, sachant qu’il y a aussi, comment dire ? une hostilité a priori, dans notre culture, au fait d’aller se plaindre de ce genre de choses. C’est en train de changer, ce qui est une excellente chose. J’ai moi-même consacré un billet sur le blog, vous vous en souvenez, qui avait d’ailleurs paru, ensuite, dans Le Monde, le journal Le Monde, en janvier [le 30 janvier] – si j’ai bon souvenir – de cette année-ci.
Alors, voilà que le processus de nomination de M. Kavanaugh est tout à fait ralenti. Donc, cette dame dit que, quand elle avait 15 ans, M. Kavanaugh, dans un état d’ébriété absolument avancé – au point qu’il serait tout à fait plausible qu’il ne se souvienne même pas de la scène – l’avait plaquée sur un lit, avait essayé de la déshabiller, et l’avait maintenue avec sa main – une de ses mains servant de bâillon – et qu’il y avait un témoin, qu’il y avait un autre soûlard à leurs cotés. Donc 15 et 17 ans.
Ce qui pose la question de la tolérance que nous avons pour des comportements tout à fait inadmissibles. À cette époque-là – tout cela se passait dans le cadre de lycées extrêmement huppés, si j’ai bon souvenir c’était dans le Maryland [correct] – ça se passe toujours comme ça : il y a une tolérance.
L’autre jour, quand j’étais à l’hôtel à Strasbourg, je n’ai pas mentionné ça, mais une grande partie de la première nuit, je n’ai pratiquement pas pu dormir – ni sans doute les autres personnes de l’hôtel – parce qu’il y avait des jeunes, des jeunes complètement déchaînés sur la place devant la cathédrale, qui hurlaient. Et quand j’ai appelé la réception en demandant ce qui se passait, on m’a dit « Ben, ils hurlent, et voilà ». J’ai dit « Qu’est ce qu’on peut faire ? », on m’a dit « Non, c’est des jeunes qui hurlent… » Manifestement, ils étaient complètement éméchés, aussi.
Je crois que ce sont des parents, qui sont passés par le même stade, qui ont de la tolérance envers ça.
À la décharge de Mme Christine Blasey Ford, le fait, d’ailleurs, que la deuxième personne qu’elle mentionne – le témoin en état d’ébriété qui n’intervient pas mais qui est là, dans la pièce, alors qu’on essaye de la violer – est un type qui a écrit, d’ailleurs, un livre. C’est un certain Mark Judge, qui a écrit un livre sur ses années de frasques, sur le fait qu’il est devenu un alcoolique, et que, voilà, pendant toutes ses années de lycée et d’université, il s’était conduit de cette manière-là.
Et, comme je vous dis : je ne comprends pas la tolérance que nos sociétés ont pour ce type de comportements. On dit… Oui, il y a des proverbes, je suppose : « Il faut que jeunesse se passe » ou des machins comme ça, mais ça ne justifie pas cela. J’ai l’impression, en effet, que les gens qui protègent cela ce sont des gens qui ont fait la même chose autrefois, et que leur tolérance est là.
Alors, qu’est-ce qui va se passer ? Eh bien, on ne sait pas, là, tout à coup. Ce processus qui était sur les rails est en train de dérailler. Mme Christine Blasey Ford a dit qu’elle ne venait pas devant le Sénat avant que le FBI, la police, fasse véritablement une enquête sur ce qui s’est passé. Elle veut se protéger, ce qui semble tout à fait justifié. Et là, un grand soutien ! C’est une sénatrice de Hawaï, une madame Mazie Hirono, qui est d’origine japonaise. Elle est d’ailleurs née Japonaise, et c’est pendant son enfance que ses parents l’ont emmenée à Hawaï, où elle est devenue américaine. Et cette madame Mazie Hirono, on va en parler, parce qu’elle se prononce là-dessus avec une extrême franchise, très très sympathique, disant à certains hommes qui émettent des doutes ou qui grommellent : « Taisez-vous ! et levez-vous pour défendre des causes qui le méritent ! », des choses de cet ordre-là. Voilà. C’est très sympathique.
Tout cela est très représentatif de ce qui est en train de se passer aux États-Unis : M. Trump continue d’être soutenu, je dirais, essentiellement par des hommes blancs, vieux, sans éducation, et tout le reste de la population est en train véritablement de se soulever contre lui. Quand on regarde les femmes afro-américaines, c’est à 99 % qu’elles rejettent M. Trump ! Les femmes blanches, là aussi, il y a des majorités de l’ordre de 60, 70 %. Il n’y a encore que de vieux hommes qui peuvent s’identifier à Trump pour le soutenir, tous les autres se lèvent. Il va d’ailleurs y avoir, dans le raz-de-marée – sans doute – démocrate… Ce sera aussi un raz-de-marée de minorités et de femmes, probablement, qui apparaîtront, parce que c’est là qu’il y a des candidats et des candidates qui se lèvent dans une sorte de croisade spontanée contre ce personnage qui représente vraiment, comment dire ? le pire, le pire de l’humanité.
Mauvaise nouvelle pour lui dans la journée d’hier : M. Michael Cohen – son avocat : on a révélé autour de son avocat, M. Michael Cohen, qu’il avait déjà passé, lui aussi, plusieurs dizaines d’heures à parler à la commission Mueller.
C’est une chose que je vais faire dans les jours qui viennent, je n’ai encore jamais fait ça. J’ai parlé, déjà, de ce monsieur Robert Mueller – ancien directeur du FBI, procureur spécial d’une commission d’enquête sur une collusion éventuelle de l’équipe Trump avec la Russie. Je vais vous faire un portrait, maintenant, détaillé de ce personnage. J’ai rassemblé une documentation à partir de pas mal d’articles et de certains livres, des livres même assez anciens, qui parlent de lui à l’époque où il était directeur du FBI – c’était avant M. James Comey – et qui est un personnage qui a une histoire tout à fait particulière. C’est un personnage exemplaire : c’est l’anti-Trump. C’est l’anti Brett Kavanaugh. On imagine mal M. Mueller ivre à un moment quelconque de son histoire. Je souris, parce qu’il y a une anecdote, une anecdote qui est racontée dans un des livres **. J’écrirai ça, mais enfin, je ne peux pas m’empêcher de vous la raconter : il se trouve avec un groupe de gens – pour une réunion, ils sont à la Nouvelle-Orléans – et il dit : « Il ne faudra peut-être pas se réunir dimanche matin », et tout le monde lui dit : « Oui, bien entendu, parce qu’on va tous faire la fête au quartier français à la Nouvelle-Orléans, samedi soir ! » Et il regarde d’un air un peu surpris, en disant : « Non non, mais c’est parce que beaucoup d’entre nous auront envie d’aller à l’église ! »
Voilà : ça c’est M. Mueller. Mais je vous en dirai bien davantage dans le petit papier, ou le long papier, que je vais lui consacrer. Parce que, il est apparu jusqu’ici en arrière-plan, mais le jour va venir où ce sera la personne dont on parlera : quand il sortira exactement tout ce qu’il a dans ses dossiers, ce sera la personne dont on parlera – et sans doute longtemps. Il y aura des livres écrits sur lui, spécifiquement dans cette affaire de cette commission.
Voilà. Allez. À bientôt !
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* « Anita Faye Hill (née le 30 juillet 1956) est avocate et universitaire américaine. Elle est professeure de politique sociale, de droit et d’études féminines à l’Université Brandeis et membre du corps professoral de la Heller School for Social Policy and Management de Brandeis. Elle est devenue une personnalité nationale en 1991 lorsqu’elle a accusé Clarence Thomas [qui sera nommé juge à la Cour suprême], son superviseur au département américain de l’Éducation et à la Equal Employment Opportunity Commission, de harcèlement sexuel. »
** Garrett M. Graff, The FBI at War in the Age of Global Terror, Little, Brown & Co 2011, p. 413
« Qui peut le plus peut le moins » avait dit jadis Aristote. En appliquant ce principe il est normal que certains…