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Au cas où subsisterait un malentendu quant à nos deux papiers précédents, nous prenons ici la précaution de réaffirmer que nous n’avons développé aucun « syndrome de Stockholm » vis à vis du régime de Pékin au cours de nos voyages. Qu’il soit bien clair qu’à nos yeux la Chine ne peut incarner un idéal à atteindre ou un modèle à suivre pour nous, Européens. « Suivre » ne pourrait d’ailleurs se résumer qu’à « singer » et nous manquons de la souplesse nécessaire pour cette acrobatie ! Il peut être utile en revanche de modifier notre regard sur elle dans la mesure où une urgence extrême nous contraint à intégrer sa pratique aux petites chances qu’a l’humanité de mettre sur pied un chantier à l’échelle planétaire, histoire de sauver quelques meubles, s’il se peut encore.
En France, grâces soient rendues à Nicolas Hulot pour avoir dévoilé l’imposture qu’il cautionnait depuis un an ! Sa démission a sans doute créé un « avant » et un « après » quant à la prise de conscience des problèmes à résoudre et ouvert une brèche dans l’opinion française. Un type respectable et peu suspect d’ambitions politiciennes vient annoncer en direct à la radio que la maison flambe de la cave aux combles, que tout le monde en haut lieu le sait et que lui en est réduit à dire « Pouce ! » parce qu’on lui a donné en tout et pour tout trois verres d’eau pour éteindre tout seul l’incendie, ça réveille, non ? Toutes les volontés d’agir sont les bienvenues. L’heure n’est plus aux chipotages ! À ce jour, chez nous, le Parti des « Verts », qui devait porter le projet de ce grand chantier, a-t-il fait autre chose depuis 40 ans que se déchiqueter en querelles et rivalités (de personnes) internes et faire de la figuration dans quelques gouvernements ? Ce constat est d’autant plus douloureux à énoncer que les dirigeant(e)s et, plus encore, les militant(e)s de l’écologie sont dans leur immense majorité des gens exemplaires par leur dévouement à la cause et leur abnégation. Quasi des saint(e)s ! Mais Péguy nous a prévenus : le saint a les mains blanches, mais il n’a pas de mains ! Quant aux choix écologiques qu’un gouvernement (de quelque couleur qu’il soit) revendique, ils ne peuvent se contenter d’une niche dans un ministère des beaux quartiers. Emmanuel Macron ironise volontiers sur la « poudre de perlimpinpin » des autres. Avec la nomination de N. Hulot au gouvernement, il l’a saupoudrée en connaisseur ! Si la préoccupation de la sauvegarde de notre planète (l’unique vivable à ce jour) n’est pas transversale, si elle n’imbibe pas toutes les décisions quels que soient les ors sous lesquels elles sont prises, si elle n’impose pas d’être sur le pied de guerre 24h sur 24 quant aux choix décisifs (du type « exploration du gaz de schiste ou de houille » ou « enfouissement des déchets nucléaires »), si elle doit « composer » et passer des compromis mi-chèvre, mi-chou (ou, pire, pot de terre contre pot de fer) avec de très puissants lobbies d’argent quand l’intérêt général humain devrait être son seul aiguillon, fermez le ban et, par la même occasion, le Ministère tombé aux mains de M. de Rugy, cela fera toujours une économie sur les fonds publics ! On devine toutes les questions qui se posent dans les hautes sphères (car ces gouvernants ne sont ni si aveugles ni si stupides), mais aussi, hélas, le silence assourdissant qui tient lieu de réponses ! Car personne n’a le moindre levier pour ébranler le plus petit premier obstacle. La COP 21 de Paris dont nous nous enorgueillissons n’a laissé derrière elle aucun mode d’emploi. Et pour cause : le problème est si global qu’il n’est du ressort de personne en particulier. Sans début ni fin et hérissé de lames de rasoir, il n’offre pas de « bout » par lequel le prendre. Alors prévaut la vieille tactique de l’autruche ! Celle que nous pratiquons le plus volontiers en solo et en chœur. Face à des questions comme « Peut-on stopper sa descente quand on est lancé à grande vitesse sur un toboggan ? ». Ou encore » Comment manipuler le retardateur de la mise à feu d’une bombe pour gagner quelques minutes sauves ? », on comprend que la tête sous le sable rassure. Vertige garanti et impossibilité de descendre collectivement du train en marche… Alors, à titre individuel, quelques hardis pionniers, pressentant que ce train va dans le mur, ont tenté d’élever des brebis sur le Causse du Larzac, de se lancer dans le maraîchage bio sur la ZAD de Notre-Dame des Landes et de développer la vente de produits sans intermédiaires (ni camions, ni réfrigération, ni marges des gros distributeurs) via les variantes des « ruches » un peu partout en France. Ce sont des initiatives à défendre et éventuellement propager, mais sans mesure avec l’enjeu. Il ne s’agit pas ici de tricoter une écharpe pour le Téléthon, entreprise dans laquelle toutes les bonnes volontés qui l’augmenteront de 5 rangs sont les bienvenues ! Les pouvoirs publics ne devraient pas pouvoir « se défiler » ! C’est une affaire d’État ! Ce pourrait, et devrait, être une affaire d’Europe, mais personne ne se sentant citoyen de cette machinerie technocratique sans âme, aucune motivation forte ne peut germer sur un terrain aussi aride !
Et c’est là que notre bât blesse ! Et qu’on se rend compte que nous n’avons pas le moindre équipement pour ce qui exigerait de nous des manches retroussées sur le champ ! Un Everest attend que nous entamions son escalade et nous sommes pour l’heure en bermuda et tongs ! Pas d’outils ad hoc dans notre panoplie dont, pourtant, c’est peu de dire que nous étions contents ! Au moment où il devrait donner la pleine mesure de son efficacité et appeler à la mobilisation, l’État est en panne. Le pauvre se racornit de jour en jour : depuis la flagrante iniquité du hold-up sur notre referendum de 2005, les directives européennes l’ont rongé comme un acide en rognant ses prérogatives et en lui imposant le corset de fer de leurs exigences budgétaires. Or, à puissance publique défaillante, gavage privé florissant ! Les multinationales et leurs lobbies ont pris toutes leurs aises dans des États entièrement à leur botte. Déjà que nous étions au pied de l’Everest en bermuda, les grands groupes du privé nous obligent désormais à porter leurs sacs dans la montée ! Naguère, nous étions fiers de nos institutions et nous les pensions armées pour défier le temps. Parfois même nous ne résistions pas à la tentation de les brandir en exemple pour l’édification de toutes les nations. Et voilà que, face au défi crucial qui se dresse en travers du chemin, ces chères institutions républicaines et démocratiques font un grand et gros « Flop ! ». Le char de l’Etat patine, emberlificoté dans des courroies de transmission qui ne transmettent plus et miné par quelques graves défauts de fabrication dont on s’était, de plus ou moins bon gré, fait une raison. Parmi eux, un calendrier électoral qui relance les dés tous les 5 ans condamnant d’avance toute prise de décision de long terme (comme le sont par nature les décisions écologiques !) au risque d’avoir la tête tranchée en cas de nouveau caprice des urnes baptisé « alternance » et, autre tare non moins regrettable, la vieille habitude que tout candidat qui en appelle aux suffrages de ses concitoyens est toujours fortement tenté d’adopter à son tour : la caresse dans le sens du poil et le gommage/lissage des sujets qui bousculent le confort établi (une authentique écologie ne fera pas d’omelette sans casser d’œufs). Bref, deux boulets supplémentaires aux pieds dans notre ascension de l’Everest. Le package commence à être lourd…
Il est évident que la Chine nous devance sur cette forte pente et que son équipement est mieux adapté, mais nous encorder à elle ne va du tout de soi et nous regimbons avec la dernière énergie à quitter nos tongs pour ses lourds croquenots, tant nous aimons pouvoir remuer nos doigts de pied ! Disons-le tout net, la voie chinoise nous est impraticable à l’heure qu’il est. Seul un scénario mondial du type « Soleil vert » pourrait nous faire entrer de force dans sa cordée. Se souvient-on que l’action de ce film d’anticipation de Richard Fleischer (1973) montrant une humanité en voie d’absolue déshumanisation pour avoir épuisé toutes les ressources de la planète se situait en 2022 ? Ouille ! Il n’est écrit nulle part non plus que la Chine réussira son pari et plantera son drapeau au sommet, il y a tant de crevasses où tomber en route ! Son modèle existe pour de vrai : c’est Singapour. Mais rien ne dit qu’elle est en capacité de négocier le changement d’échelle. Singapour, cité-état indépendante depuis 1965, incarne le rêve chinois. Troisième pays au monde pour son PIB et le pouvoir d’achat de ses habitants (juste après le Qatar et le Luxembourg), quatrième place financière mondiale et deuxième port après Shanghai pour le trafic maritime et les exportations, Singapour est une Suisse d’Asie croulant sous les orchidées. La discipline y règne sous surveillance constante et tout menu papier jeté à terre est immédiatement passible d’une lourde sanction. Le taux de délinquance doit plafonner à 0,0001 et la vente du chewing-gum qui, on le sait, finit toujours par souiller les trottoirs nécessite un certificat médical. Wikipedia propose de qualifier au choix Singapour de « démocratie autoritaire » ou « dictature bienveillante« . La Chine a emprunté à Singapour l’étroit maillage de règles contraignantes et de ponctions financières endiguant l’accès à l’automobile individuelle. Toutes deux ont la même conception de la censure dans les médias, sur Internet et les réseaux sociaux : empêcher (ou/et punir) toute atteinte à « l’harmonie religieuse et culturelle« . Juguler toute dysharmonie. Quant à la manière de gouverner à Singapour, elle est très simple : depuis l’indépendance, le même clan familial qui est aussi un parti (Parti d’Action Populaire) est aux manettes. Le dirigeant Lee Kuan Yew n’hésite pas une seconde à mettre tranquillement hors jeu nos propres conceptions du pouvoir : « Aucun dirigeant singapourien ne peut se permettre de faire passer la théorie politique avant les besoins concrets de stabilité et de progrès méthodique« . Capitale mondiale du capitalisme confucianiste, Singapour est à sa façon un « meilleur des mondes« , mais plutôt, à nos yeux d’Occidentaux, un improbable mix de Pyongyang et de Dubai ! En tout cas la Chine y trouve son inspiration en y retrouvant sa marque de fabrique. Il est vrai que la population (5 millions et demi d’habitants, soit 1/5 de la seule ville de Shanghai !) est aux trois quarts chinoise. Le problème que Xi Jinping essaie aujourd’hui de négocier au mieux est le vertigineux changement d’échelle : passer des 719 km2 de Singapour aux quelque 9 millions et demi de la Chine ! Élargir à un sous-continent l’accès à la prospérité tout en ménageant les ressources de la planète et obtenir l’adhésion de tous sur la base d’un pouvoir vertueux soucieux d’intérêt général. Pas gagné !
Mais pas gagné non plus chez nous ! Et il s’en faut de beaucoup. On se souvient du conte de l’apprenti sorcier ? En l’absence du sorcier, son apprenti a mis en marche la marmite magique qui fait de la soupe toute seule. C’est qu’il n’est pas peu fier de son exploit ! Malheureusement, il en est à ses premières leçons et, s’il connaît l’abracadabra de la mise en marche, il n’a pas encore appris celui qui stoppe la généreuse cocotte. Celle-ci continue donc à faire imperturbablement de la soupe jusqu’à l’inondation, voire le tsunami potager ! C’est presque un lieu commun que de dire qu’on en est là : le sorcier n’est jamais revenu à la maison, l’apprenti a fini par se tirer en Californie pour créer sa start-up et nous, nous vivons sous la menace permanente de la soupe ! Casser la marmite, dites-vous ? Hé ! pas aussi facile qu’on pourrait le croire car elle est juchée sur un pont de paille : dès qu’on fait mine de toucher un fétu, l’effet de jeu de mikado fait trembler tout l’édifice sur ses bases, donc la décision d’une nouvelle tentative est reportée sine die ! Le courage nous manque, ce qui prouve que, contrairement au bobard qu’on sert aux enfants, la soupe ne fait pas grandir et ne rend pas plus fort !
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