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Un mec qu’on croyait sérieux, du genre qu’on appelle « éclairé », bardé de diplômes d’anthropologie, ayant tété Aristote au biberon, matheux de première bourre, nourri aux développements les plus pointus de la pensée contemporaine, lanceur d’alerte sur les égarements de l’espèce humaine jouant avec les allumettes du chambardement climatique, balèze en méandres de la finance mondiale au point d’avoir exactement décrit par anticipation dès 2005 le désastre dit « des subprimes » et ses répercussions planétaires et, en qualité d’ « honnête homme » sous tous rapports, invariablement soucieux de mesure dans l’expression de ses opinions philosophiques et politiques, eh bien, croyez-le si vous pouvez, ce mec-là a, dans les ultimes pages de son dernier opus*, osé placer l’actuel président chinois Xi Jinping dans la short list des très grandes figures propres à « illustrer le genre humain » et à prétendre à une reconnaissance universelle !
On a dû s’en étrangler dans les rédactions à la réception du « service de presse ». « Bigre ! » a-t-on grincé en se refilant de bureau en bureau cette patate chaude et finalement il n’y a pas eu foule pour « gérer » l’incongruité ! Car, ne nous y trompons pas, le sujet gêne aux entournures et Xi Jinping est un chien dans notre jeu de quilles. Les avancées incontestables de la Chine au fil de ces deux dernières décennies vers une planification écologique têtue font d’elle à coup sûr (si toutefois il en est encore temps !) le « modèle » à suivre dans notre contexte de verdicts concordants (15.000 savants mondiaux en novembre dernier) de désastre annoncé. Bien sûr, en Occident, on admet mal ce leadership humiliant, alors on cancane et on glose sur tous les manquements et faux pas (encore nombreux) où la Chine trébuche dans sa démarche. Mais l’arrivée tonitruante de Trump comme pièce maîtresse du puzzle mondial a fait baisser d’une octave le chœur de ceux qui voyaient systématiquement la paille dans l’œil de la Chine et si rarement la poutre du côté de l’outre-Atlantique ! Nous sommes toujours aussi peu prêts à nous enrôler sous la bannière de la Chine mais nous n’avons plus en magasin d’autre modèle à proposer, car il va de soi que le gangster dingo aux mauvaises manières campé sur son négationnisme climatique ne saurait détenir la boussole nous offrant une issue de secours ! Ce que la Chine de Xi Jinping nous dit et que nous renâclons à entendre, c’est que l’entreprise de sauvetage nécessite un remède de cheval. Et ce remède, le président Xi, faute peut-être d’un autre savoir-faire, le concocte « à la chinoise » en appliquant la recette plurimillénaire qui a assuré la pérennité de l’Empire du Milieu : le choix d’un objectif d’éducation très largement déployé, mais adossé à la coercition d’une autorité forte émanant d’un pouvoir très ferme sur ses bases. C’est le sens qu’il faut donner à la révision de la Constitution chinoise visant à prolonger (indéfiniment ?) le mandat donné à Xi à l’issue du 19ème Congrès. C’est le sens qu’il faut donner au fichage méthodique de tous les individus. C’est le sens qu’il faut donner à la gigantesque campagne d’éducation-moralisation de la vie publique à grand renfort de caméras intrusives et punisseuses. C’est le sens qu’il faut donner au renforcement de la lutte anti-corruption et au durcissement de la répression des « crimes » portant atteinte à l’environnement. C’est enfin le sens qu’il faut donner aux restrictions que le pouvoir devra nécessairement exercer quant à la multiplication des facteurs de pollution (comme la voiture individuelle). En somme peu de carotte et beaucoup de bâton ! Sauf à faire entrer dans notre propre logiciel que la contribution active à la protection d’un avenir commun sur cette planète peut s’avérer une authentique « carotte » compensant bien des coups de bâton ! Nous écrivons ces lignes deux jours après la publication de deux nouvelles : en France, la démission de Nicolas Hulot du gouvernement d’ E. Philippe et en Chine, l’annonce officielle de la fin de la politique de l’enfant unique. Que cette concomitance de hasard est bienvenue ! La lourde coercition exercée par le Pouvoir chinois sur la natalité pendant 40 ans a été très dure et contraignante pour l’ensemble du peuple chinois, mais pouvons-nous nier que le reste du monde en a éminemment bénéficié et que la Chine a agi là en acteur mondial responsable ? N’y a-t-elle pas gagné ses galons en matière de prise de conscience à moyen et long terme du destin de l’humanité toute entière (même si sa visée première, nous le concédons, était moins ample) ? Quant à Nicolas Hulot, sa démission est très éloquente pour démontrer sans recours à grandes phrases l’imposture que constitue un Ministère de l’Environnement et du Développement durable au sein d’un gouvernement qui ne se donne aucun moyen d’agir sur le réel et s’est paralysé les mains à force de serrer affectueusement les pognes des lobbyistes du monde entier unis par l’Internationale du Fric. Pouvoir gouvernemental châtré, friable, velléitaire, et, qui plus est, constitutionnellement révisable et chamboulable tous les cinq ans : impuissance assurée à l’échelle planétaire requise !
Avouons-le, nous voilà bel et bien coincés ! Nous touchons exactement où le bât blesse. L’endroit précis où s’enracinent (et s’expliquent, voire se justifient) les pudeurs, réticences et effarouchements de l’opinion occidentale. Le fossé devant lequel nous renâclons tous. Car il faut avoir l’estomac et le culot du mec dont nous parlons ici pour ne pas broncher devant l’obstacle et offrir ainsi tout de go à Xi Jinping un ticket pour le panthéon des grands hommes. N’a-t’on pas affaire en effet à un personnage peu recommandable selon nos critères et que notre nomenclature classe automatiquement sous la rubrique « dictateur / tyran / despote » dont il apparaît bien qu’il coche à peu près toutes les cases ? Sans être très emballés par le petit cérémonial français des remontrances quant aux droits de l’homme bafoués qui s’inscrit au programme de toute visite officielle à Pékin, nous ne pouvons nier qu’il y aurait une certaine dose d’impudence de notre part si nous semblions, si peu que ce soit, faire bon marché de la négation chez les autres de libertés dont nous sommes fort aise d’user chez nous. Quant à dire que la spécificité de la mentalité chinoise (pour ne pas dire « l’âme » pendant qu’on y est !) justifierait ce type de pouvoir à poigne, non seulement l’argument frôlerait le racisme, mais ce serait nier l’universalité des droits de l’homme dont nous, Occidentaux (mais, encore plus, Français) avons fait notre principal credo et que, jusqu’à ce jour, nous estimons émancipatrice dans tous les cas de figure.
Devrons-nous réviser la table de nos valeurs et en mettre une partie sous le boisseau pour faire face efficacement à l’inédit péril qui nous menace ? Cela fait partie des hypothèses. « Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat« . Devant l’urgence du danger, si vient le jour où elle sera enfin assumée chez nous en tant qu’urgence absolue, « celui qui croyait en la Démocratie et celui qui n’y croyait pas » devront sans aucun doute, pour avoir une petite chance de l’emporter, accorder leur pas pour marcher à l’unisson au « commun combat« .
(à suivre…)
* « Défense et illustration du genre humain » Paul Jorion. Ed. Fayard (mai 2018)
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